POURQUOI ÉCOUTER DE LA MUSIQUE ?
D’abord pour y prendre du plaisir, bien sûr ; une musique qui n’apporterait aucun plaisir ne serait pas digne d’être écoutée. Ensuite, pour apprendre quelque chose : sur le compositeur, sur un nouvel interprète. Pour se souvenir, aussi, peut-être. Enfin, si l’on a de la chance, pour atteindre le nirvana.
Stravinski par Boulez
Stravinski est à la musique ce que Picasso est à la peinture : le créateur aux multiples manières, qui est toujours où on ne l’attend pas ; et il offre à l’auditeur, dans tous les cas, le plaisir, la découverte et plus rarement, dans certaines œuvres, la sérénité. On doit à un film actuellement projeté dans les salles sur ses amours supposées avec Coco Chanel un regain d’intérêt pour la musique de Stravinski. Tant mieux, si le 7e art contribue à faire connaître la musique classique. C’est l’occasion pour DGG de publier une somme des œuvres enregistrées par Pierre Boulez entre 1980 et 1996 avec les orchestres de Chicago, Cleveland, le Philharmonique de Berlin et l’Ensemble InterContemporain 1.
On trouve dans cette compilation, outre les blue chips que sont L’Oiseau de feu, Petrouchka, Le Sacre du printemps, Le Chant du rossignol, la Symphonie de psaumes, Ebony Concerto, le Concerto Dumbarton Oaks et L’Histoire du soldat (en version sans récitant), des œuvres plus rarement jouées : Feux d’artifice, Quatre Études pour orchestre, la cantate Le Roi des étoiles, Symphonies d’instruments à vent, Symphonie en trois mouvements, et une vingtaine de pièces courtes pratiquement inconnues du grand public, comme le Concertino pour quatuor à cordes, Epitaphium pour flûte, clarinette et harpe, de nombreux lieder dont Deux Poèmes de Verlaine, les Berceuses du chat et une inattendue Élégie pour JFK, enfin un Scherzo fantastique, œuvre de jeunesse délicieuse, qui rappelle Tchaïkovski et Dukas. En revanche, les œuvres néoclassiques, Pulcinella et Le Baiser de la fée, n’ont pas trouvé grâce auprès de Boulez et ne sont pas enregistrées.
Tout d’abord, le style de direction de Boulez, d’une rigueur absolue (Boulez aurait mérité d’être polytechnicien), et qui distingue chaque groupe d’instruments, voire chaque instrument lorsque c’est possible, musique dans l’espace en quelque sorte, est parfaitement adapté à la musique de Stravinski où l’orchestration joue un rôle aussi important que la musique elle-même, et qui, contrairement à d’autres, ne saurait se satisfaire d’une direction impressionniste. Cette réussite parfaite est d’autant plus paradoxale que Boulez, obsédé par la promotion de la musique dodécaphonique, a vitupéré jadis la musique de Stravinski, y compris Le Sacre, comme « consolidation du langage tonal ».
Au total, un panorama superbe et d’une absolue perfection, servi par une prise de son exemplaire, de la musique de Stravinski.
Chopin : les Nocturnes par François Chaplin.
Tout pianiste joue Chopin tôt ou tard. Après un Debussy de grande qualité, sobre et précis, on n’attendait pas Chaplin dans Chopin, encore moins dans les Nocturnes 2, qui ne donnent guère à l’interprète l’occasion de briller et d’épater l’auditoire. Eh bien, c’est excellent. Il y a plusieurs façons de jouer les Nocturnes : romantique à l’excès, avec rubatos ad libitum ; mondaine, distanciée ; habitée, hallucinée (comme les jouait Samson François).
Chaplin les joue avec beaucoup de simplicité et de finesse, sans chercher à solliciter le texte, en faisant simplement chanter le piano et avec un sens très fin du toucher ; et le résultat est que vous y trouvez ce que vous cherchez, selon votre humeur du moment : du plaisir dans tous les cas et, si vous êtes touché par la grâce, l’évocation inespérée d’un instant oublié de votre adolescence.
Musique plus ou moins sacrée
Vous ne connaissez sans doute pas Marcos Portugal (1762−1830), compositeur portugais qui fit carrière au Brésil au début du xixe siècle. Sous le titre Matinas do Natal, l’Ensemble Turicum et un groupe de très bons chanteurs ont enregistré les Matines de Noël, 1811 3, musique joyeuse et rien moins qu’austère qui doit beaucoup à Mozart et à la musique italienne. L’orchestre joue sur instruments d’époque, mais du xixe siècle, non de l’époque baroque, instruments au timbre chaud et velouté, et le résultat est une jolie musique sans prétention et pleine de charme.
Sous le titre Bach Violin and Voice, La violoniste Hilary Hahn, le baryton Matthias Goerne et la soprano Christine Schäfer jouent avec l’Orchestre de chambre de Munich des extraits de cantates, de Passions et de la Messe en si de Bach, qui associent le violon et les deux voix 4.
Pas d’arrangement hasardeux : le violon joue en symbiose avec l’orchestre, apparemment en se superposant aux premiers violons, dialoguant parfois avec une flûte. Pas non plus de quoi effaroucher les puristes : jouer séparément des parties de diverses cantates était courant à l’époque et Bach lui-même ne s’en est pas privé.
Ici, la qualité des interprètes, que l’on connaît bien (on se souvient de Hilary Hahn dans les concertos de Brahms, de Chostakovitch, de Prokofiev, de Bach, de Matthias Goerne dans Schubert) et la magie transcendante de la musique de Bach – rappelez-vous l’aphorisme de Cioran : « Si quelqu’un doit quelque chose à Bach, c’est bien Dieu » – font que, croyant ou non, ce disque vous réjouira l’âme.
1. 6 CD Deutsche Grammophon.
2. 2 CD ZIG ZAG.
3. 2 CD Paraty.
4. 1 CD Deutsche Grammophon.