Pourquoi et comment rattraper le retard de la France dans la filière de l’hydrogène « vert »
La France affiche l’ambition, louable et volontariste, de figurer dans le peloton de tête des acteurs de l’HYDROGENE VERT aux niveaux européen et mondial. En retard, notamment sur l’Asie, elle doit IMPÉRATIVEMENT et IMMÉDIATEMENT améliorer le pilotage de ce projet et augmenter massivement ses moyens financiers pour profiter de cette occasion de réindustrialiser le pays et renforcer son indépendance énergétique. Rencontre avec Christophe Rouvière, Président et cofondateur de Natureo Finance.
L’impératif de l’hydrogène décarboné et ordres de grandeur
Le premier avantage de l’hydrogène vert ou décarboné (produit respectivement à partir d’une électrolyse de l’eau avec de l’électricité renouvelable ou nucléaire) est de contribuer à la décarbonation de l’industrie qui utilise 95 % de l’hydrogène produit et qui est d’origine fossile à 99 %. Le deuxième avantage est de contribuer à la décarbonation des transports et à la réduction des émissions des particules fines. En conséquence, l’hydrogène décarboné devrait, selon l’AIE, permettre de réduire les émissions annuelles de CO2 de 7 gigatonnes d’ici à 2050 dont 45 % environ pour les seuls transports. Enfin son troisième avantage est de faciliter (grâce à son stockage) l’intégration des renouvelables dans le mix électrique ce dont nous avons grand besoin.
L’intérêt pour l’hydrogène décarboné s’est accéléré après la parution du rapport de l’Agence Internationale de l’Energie commandé par le Japon (IEA, The Future of Hydrogen, June 2019) dans lequel l’hydrogène est vu comme le vecteur énergétique indispensable pour réussir la transition énergétique.
Le marché mondial de 90 millions de tonnes d’hydrogène produites en 2020, soit un équivalent à 270 Mtep, est à comparer à une consommation mondiale d’énergie primaire de plus de 14 Gtep, soit environ 2 %, bien que l’hydrogène ne soit qu’un vecteur énergétique. Cela donne une idée de l’ampleur de l’ambition du plan hydrogène européen annoncé le 8 juillet 2020 qui est de « couvrir » 10 % à 14 % des besoins énergétiques européens en hydrogène vert d’ici 2050 (en 2020 l’Europe a eu une consommation énergétique de 1,2 Gtep et la France de 220 Mtep). Le 30 septembre dernier Thierry Breton a même déclaré que « l’hydrogène pourrait représenter jusqu’à 25 % de toute l’énergie que nous consommerons » en 2050, soit pour une consommation stable de 1,2 Gtep, l’équivalent de 100 millions de tonnes d’hydrogène.
Des premières mesures insuffisantes pour combler notre retard face aux asiatiques et bientôt aux nord-américains.
Les 18 milliards de dollars investis par la Chine sur 18 mois dès 2018 dans l’écosystème de l’hydrogène mobilité lui ont donné une grande avance. En 2018, la Chine mettait en circulation plus de 1 400 bus à hydrogène et aujourd’hui des dizaines de milliers de bus et de camions. Autre particularité des Chinois, leur capacité à déployer massivement des écosystèmes de bus, de camions et d’électrolyseurs alors que la technologie n’était pas encore au point, leur permettant de gagner du temps et de réduire les coûts rapidement. De fait, les leaders mondiaux actuels dans la mobilité hydrogène sont les Chinois pour les véhicules lourds et les électrolyseurs, les Japonais (Toyota), les Sud-Coréens (Hyundai) et les Canadiens (Ballard) pour les piles à combustibles. Par ailleurs les Américains se rapprochent rapidement (Plug Power) grâce à des mécanismes simples quand ceux européens sont complexes.
Philippe Boucly (X72), Président de France Hydrogène et Valérie Bouillon-Delporte, « Madame Hydrogène » de Michelin, première Vice-Présidente de France Hydrogène et ancienne Présidente de Hydrogène Europe, ont beaucoup œuvré pour que le plan hydrogène français annoncé en septembre 2020 atteigne 7,2 puis 9 milliards d’euros d’ici 2030. Mais aujourd’hui il semble que le plan a du mal à se mettre en place et les projets dans la mobilité ne sortent pas. Et s’il faut se féliciter de l’annonce récente de la Première ministre de la construction de 10 usines grâce à un financement européen de 2,1 milliards d’euros, il faut rappeler que le plan a été annoncé il y a deux ans déjà !
Quatre défis majeurs découlent de l’ambition hydrogène française :
- Un défi énergétique : l’hydrogène décarboné est produit par électrolyse de l’eau avec de l’électricité décarbonée. Or, 70 % du coût de l’hydrogène est fonction du prix de l’électricité nécessaire à le produire. Il faudra donc trouver des mécanismes d’ajustement pour rendre l’hydrogène décarboné compétitif dans un contexte où l’énergie nucléaire sera de plus en plus chère ;
- Un défi de financement et de subventions à l’achat des camions, des bus et des cars comme c’est le cas pour les stations de recharge (les Allemands apportent une subvention couvrant 80 % du surcoût par rapport au diesel) ;
- Un défi de financement des quelques 80 PMI présentes sur la chaîne de valeur et indispensables pour compléter cette filière industrielle naissante dans les transports. Chez Natureo Finance nous avons accompagné ou accompagnons une dizaine d’acteurs européens de la chaîne de valeur et nous savons faire preuve de créativité pour trouver les rares investisseurs privés capables de financer des start-up industrielles ;
- Un défi de création d’écosystèmes pour la mobilité lourde. Sans une approche qui coordonne l’ensemble des acteurs de l’écosystème il sera impossible de faire émerger rapidement des projets.
Des atouts à coordonner par un(e) Haut(e)-Commissaire au Plan Hydrogène, un Comité Stratégique « Hydrogène Vert » et à renforcer grâce à des investissements massifs
Un tissu industriel déjà bien en place
Nous pouvons compter sur des acteurs comme Air Liquide dont le Président, Benoît Potier, croit à l’hydrogène depuis toujours et d’autres grands industriels comme Total, EDF, Michelin, Engie, Renault, Stellantis, Plastic Omnium, Valeo et Faurecia, Arkema,… et une communauté de PMI et de start-up de l’hydrogène. Mais sans coordination et sans financements additionnels le rêve de créer une « France Hydrogène » risque de ne pas aller très loin.
Créer un poste de Haut(e)-Commissaire au plan Hydrogène, à plein temps
Pour rattraper notre retard, nous devons impérativement accélérer maintenant les investissements. Ce(tte) Commissaire au Plan Hydrogène, dépendant directement de la Première ministre et qui travaillerait en coordination avec le Haut-Commissaire au Plan François Bayrou et le coordonnateur du développement de l’hydrogène décarboné et de la décarbonation de l’industrie, Hoang Bui, rattaché au SGPI, pourrait s’atteler à cette tâche. Sa mission devrait être de fixer un plan triennal très ambitieux, digne de ce qui a fait nos succès d’hier dans l’aéronautique, le nucléaire et le ferroviaire. Il ou elle devra être choisi(e) pour sa compétence organisationnelle, sectorielle et ses succès passés et non par seul choix politique.
Créer un comité stratégique hydrogène vert, rattaché à la Première ministre
Ce comité Stratégique « Hydrogène Vert » serait composé des principaux acteurs/décideurs clés de la filière dont on se serait assuré l’adhésion et quelques experts, présidé par un ancien grand manager, public ou privé, ayant réussi précédemment un ou plusieurs projets très ambitieux avec succès.
Mettre en place des tableaux de bord mensuels de progrès avec les principaux indicateurs vers la réussite du premier plan et communiquer massivement ces progrès collectifs et les principaux succès individuels.
Déverrouiller les freins à l’investissement massif, indispensable et urgent, dans l’écosystème hydrogène
Une fois ce premier plan établi il sera important de lui donner les moyens financiers de son ambition. Pour éviter d’alourdir la dette publique, l’État pourrait inciter fortement l’investissement dans la filière pour les grands gestionnaires d’actif et faire levier sur l’épargne des Français :
Favoriser au maximum les investissements privés dans les jeunes entreprises du secteur de l’hydrogène, l’État garantissant tout ou partie du capital selon la nature du risque (moins de 100m€ investis en 2021, hors Bourse, dans nos start-up du secteur de l’hydrogène).
Permettre aux épargnants d’investir en dette et donc à coût réduit, dans les projets territoriaux d’infrastructure de production et de distribution d’hydrogène avec une garantie de l’État sur le montant investi.
Cet apport massif de capitaux, sans oublier les nécessaires dispositifs d’aides à mettre en place comme les Allemands, créerait les conditions de volume, de prix et de compétitivité pour l’émergence de cette filière qui pourrait créer plus de 100 000 emplois à terme. Si l’exécution est bien menée, il est fort probable que la garantie accordée par l’État ne lui coûtera quasiment rien.
Conclusion
Le développement très ambitieux de ce PROJET HYDROGÈNE VERT et de sa filière est bien une opportunité exaltante de réindustrialiser la France et de contribuer à la réussite de sa transition énergétique.
Les propositions que nous faisons s’inspirent d’une conviction profonde :
« Les HOMMES, l’ORGANISATION, la VITESSE et souvent les MOYENS FINANCIERS font de plus en plus la différence pour réussir des projets, surtout très ambitieux. « EXECUTION IS STRATEGY ».
Il devient donc urgent de mettre en place un premier plan triennal de grande envergure accompagné d’un plan d’investissement massif pour rattraper notre retard. Après, il sera trop tard !