Poursuivre et réussir la transformation numérique des territoires
En matière de déploiement des infrastructures numériques, en Europe ainsi que dans le monde entier, le succès de la France en la matière fait l’unanimité. Grâce à une concertation fructueuse entre l’ensemble des parties prenantes, le pays poursuit le déploiement du numérique afin que tous les Français puissent en bénéficier. Philippe Le Grand, Président d’InfraNum, la fédération qui regroupe les entreprises de la filière des infrastructures numériques, nous en dit plus et revient également sur les chantiers qui vont mobiliser les acteurs de ce secteur, l’État et les collectivités. Rencontre.
Qui est InfraNum ?
Créée il y a maintenant 10 ans, InfraNum est la fédération qui regroupe l’ensemble des acteurs des infrastructures numériques et des entreprises engagées sur le déploiement et l’exploitation des infrastructures numériques. Nous représentons le secteur devant les pouvoirs publics, mais également devant les autres secteurs d’activité afin de permettre à la filière d’être entendue, de se coordonner et de faire en sorte que ses activités puissent se développer.
InfraNum regroupe près de 230 membres : des opérateurs commerciaux, des opérateurs d’infrastructures, des intégrateurs qui déploient les réseaux, des fonds d’investissement, des organismes de formation, des bureaux d’études, des équipementiers… Toutes les composantes de la filière sont ainsi représentées au sein de la fédération. Les entreprises qui nous rejoignent sont des grands groupes, des ETI, mais aussi des PME.
Afin de représenter la filière auprès de vos différentes parties prenantes, quelles sont les grandes lignes de la feuille de route d’InfraNum ?
Nous couvrons le secteur des infrastructures numériques qui est identifié comme la réponse industrielle au Plan France Très Haut Débit qui a été lancé en 2013, il y a déjà plus de 10 ans. Nous sommes ainsi associés au déploiement de la fibre en France, qui est, par ailleurs, un très grand succès !
En parallèle, les infrastructures numériques couvrent un périmètre plus large qui va au-delà de la fibre optique : les infrastructures mobiles, les data centers, les réseaux 5G privés qui servent au développement de l’industrie 4.0… Nous sommes aussi très impliqués dans les projets de territoires connectés et durables ainsi que dans le développement du marché entreprises… Autant de sujets qui sont au cœur de l’avenir de notre filière et qui mobilisent de nombreux acteurs afin que ces développements se concrétisent et deviennent une réalité.
Alors qu’InfraNum fête son 10e anniversaire, quels sont les principaux chantiers qui vous ont mobilisé au cours de cette décennie ?
Le Plan France Très Haut Débit est bien évidemment le principal chantier qui nous a mobilisé et occupé au cours de cette décennie. L’ambition portée par ce plan était le déploiement de la fibre sur l’ensemble du territoire national. À son lancement du plan, la France était classée en dernière position à une échelle européenne. Aujourd’hui, notre pays se positionne comme le leader en matière de déploiement de la fibre optique. C’est un succès reconnu et envié par nos voisins européens !
Toutefois, nous sommes face à trois enjeux majeurs. Le premier consiste à aller au bout du plan pour que l’ensemble du territoire bénéficie de la fibre optique. Deuxièmement, il nous faut garantir que les réseaux que nous avons construits et déployés soient pérennes et sécurisés. Et enfin, troisièmement, nous devons pouvoir nous adosser à des modèles économiques d’exploitation de ces réseaux dans les zones rurales qui permettent de faire face à tous les éventuels aléas de la vie du réseau.
En parallèle, nous avons aussi travaillé sur le développement international de notre filière, le développement des territoires connectés, les réseaux hertziens terrestres, les réseaux 5G privés, les data centers.
Revenons sur ce Plan Trés Haut Débit. Afin d’enraciner ce plan et relever les défis qui persistent en matière de très haut débit, vous militez en faveur de la mise en place d’un Good Deal du numérique. Quelques mots sur cette prise de position en faveur de l’égalité numérique des territoires :
C’est une position que nous partageons avec l’ensemble des collectivités et leurs représentants, dont l’Avicca (Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel). Pour ce Good Deal du numérique, nous nous sommes inspirés du New Deal mobile qui avait été initié par Julien Denormandie, secrétaire d’État auprès du ministre de la Cohésion des Territoires, et qui consistait à exonérer les opérateurs de redevance pour l’utilisation des fréquences mobiles en échange d’un investissement des opérateurs mobiles pour assurer le déploiement dans les zones rurales non rentables. Dans cette logique, notre Good Deal du numérique repose sur trois piliers.
Tout d’abord, les raccordements complexes. On parle de raccordement complexe lorsque, pour raccorder un foyer, nous ne disposons pas du génie civil nécessaire : un poteau téléphonique ou électrique aérien disponible pour y accrocher la fibre, ou bien des fourreaux souterrains pour tirer un câble optique. Cette carence d’infrastructures d’accueil peut entraîner des coûts très onéreux, parfois même jusqu’à 100 000 euros.
L’enjeu est donc de trouver des solutions techniques et économiques pour lever ces freins. Dans ce cadre, nous proposons de créer un acteur neutre, un investisseur avisé, qui réaliserait ces opérations de génie civil et qui se rémunérerait sur une très longue durée en louant ces infrastructures à ceux qui vont les utiliser. Ce principe visant à financer ces raccordements complexes permettrait également de promouvoir l’égalité territoriale, de raccorder tous les foyers et d’éviter, in fine, des disparités selon les zones géographiques.
Deuxièmement, la France a réussi la prouesse de concevoir et déployer rapidement ses réseaux. Si nous sommes bien évidemment très fiers de ce succès, il faut tout de même noter que plus de 50 % des réseaux dans les zones rurales ont été déployés en aérien, ce qui peut impliquer un risque de dégradation lors d’un événement climatique. Concrètement, face à un aléa climatique, ces réseaux peuvent tomber ce qui priverait des millions de foyers de l’accès à internet pendant des heures, voire des jours. Or, ces services sont vitaux pour la santé de nos concitoyens et leur bon développement. Nous avons aujourd’hui plusieurs priorités mais en premier lieu, il est vital de sécuriser les infrastructures névralgiques, c’est-à-dire les nœuds de raccordement optique, les points de mutualisation, les câbles de grande capacité qui sont en aérien.
Enfin, le troisième axe consiste à accompagner les collectivités dans la définition de modèles économiques qui leur permettront de pérenniser l’exploitation des réseaux, y compris dans les zones rurales. Il n’est pas possible d’exploiter un réseau en zone rurale au même coût que dans une zone urbaine. Actuellement, aucun mécanisme ne prend en compte cette différenciation. Il nous semble nécessaire de prendre des dispositions au regard de l’évolution des tarifs d’exploitation payés dans les zones rurales par les opérateurs d’infrastructures qui doivent assumer la vie du réseau et en garantir le bon état de fonctionnement.
L’idée est d’augmenter les tarifs de gros de ces réseaux en zone rurale de façon à leur permettre de trouver un équilibre économique à long terme.
Avec l’Avicca, nous avons proposé un plan de plus de 20 milliards sur 20 ans qui est autofinancé par le secteur, qui ne nécessite aucune subvention supplémentaire grâce à la réaffectation de la taxe, la mise en place d’un prélèvement sur l’exploitation des réseaux, la génération d’un investissement privé à flécher sur des zones non rentables à date.
Votre actualité en 2023 est aussi marquée par la signature du nouveau contrat stratégique de filière infrastructure numérique. Dites-nous en plus.
Emmanuel Macron, le président de la République, a accepté notre suggestion de création d’un comité stratégique de filière. Un premier cycle de trois ans, entre 2019 et 2022, a permis de réunir la filière autour de ce comité stratégique et de nous mettre en relation avec l’ensemble des acteurs de l’État, ce qui a contribué à fluidifier significativement les relations et de construire ensemble l’avenir des Français en matière des infrastructures numériques.
“Le comité stratégique de filière est un lieu de concertation formalisé entre l’État et l’ensemble de la filière. C’est une autre illustration de la pertinence du modèle français qui a réussi à réunir autour de la table l’État, les collectivités et l’industrie du numérique.”
Nous avons conclu et signé un nouveau contrat de filière avec l’État sur la période 2023 à 2025. Il s’articule autour de six axes stratégiques que nous avons tenus à inscrire et à décliner avec des orientations précises :
- le développement de la 5G et des réseaux de futur au service de la réindustrialisation et de l’industrie 4.0, dont nous entendons beaucoup parler ;
- le développement de l’industrie des territoires connectés au service des usagers et pour le bien des collectivités ;
- le développement d’un écosystème dynamique d’innovation pour permettre et renforcer l’avancée de notre pays dans ces domaines ;
- la prise en compte de la transition écologique dans le développement des nouveaux réseaux ;
- l’attractivité des emplois et le développement des compétences au sein de notre filière qui peine à attirer les talents, féminiser ses métiers… ;
- le développement de l’offre française à l’international : aujourd’hui, parmi nos membres, un tiers des entreprises ont une activité à l’export. Plus de la moitié des pays européens bénéficient des déploiements réalisés par des entreprises françaises. Par exemple, en Allemagne et au Royaume-Uni, plus d’un quart des prises FTTH, c’est-à-dire les prises en fibre optique déployées dans ces pays, sont déployées par des entreprises françaises.
Le comité stratégique de filière est un lieu de concertation formalisé entre l’État et l’ensemble de la filière. C’est une autre illustration de la pertinence du modèle français qui a réussi à réunir autour de la table l’État, les collectivités et l’industrie du numérique.
Quels sont les autres chantiers qui vous mobilisent en 2023 ?
Nous avons défini de grandes orientations autour de l’export. La France a su, au travers de sa filière infrastructures numériques et donc d’InfraNum, bâtir une approche concertée qui nous permet de proposer aux pays des solutions clé-en-main, qui vont de l’apport d’expertises technologiques avérées au financement de projets. Dans ce cadre, nous nous inscrivons véritablement dans une logique gagnant-gagnant. Ainsi, dès notre arrivée dans un pays, nous créons des organismes de formation. C’est notamment ce que nous avons fait au Bénin ce qui permet de former et d’orienter les talents béninois vers les métiers des infrastructures numériques. Cette démarche permet également aux entreprises et aux ingénieurs béninois de prendre en charge le déploiement des opérations grâce aux solutions globales que nous mettons à leur disposition.
Par ailleurs, nous réfléchissons d’ores et déjà à la reconstruction des infrastructures numériques en Ukraine, toujours dans cette logique gagnant-gagant en nous appuyant en priorité sur les compétences numériques locales. Nous travaillons aussi sur la structuration approfondie des data centers, une activité de la filière extrêmement dynamique en France.
En parallèle, nous nous concentrons aussi sur l’émergence des projets de collectivité sur les territoires connectés et durables. 2023 est véritablement l’année de l’IoT ou internet de objets avec un nombre croissant d’appels d’offres qui sont lancés.
Et pour conclure ?
La France n’est rien sans son industrie. Et même si son industrie revendique un certain libéralisme, l’appui de l’État et des collectivités restent stratégiques. Le succès d’une filière industrielle comme la nôtre ne peut être qu’un succès partagé.
Au fil des décennies, nous avons développé une véritable expertise en matière de planification. Et ses bénéfices sont encore plus forts quand l’ensemble des parties prenantes se mettent d’accord. Dans le déploiement de la fibre, c’est justement ce qui explique notre succès et notre plus grande différenciation à une échelle mondiale. Certes, les concertations ont été longues, mais le résultat est là et il est mondialement reconnu !