Pousser la porte d’un EHPAD
Je vais souvent voir des amis qui résident dans des maisons de retraite qu’on appelle maintenant EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). Ils sont comme moi très âgés ; veufs ou veuves, ils ne pouvaient vivre seuls et/ou leur état de santé nécessitait une assistance médicale permanente. À l’heure où l’on met en avant la silver economy – euphémisme remarquable pour rendre invisible la fin de vie sous l’aspect dynamique de l’utilité économique –, j’ai souhaité partager avec nos lecteurs ma découverte de ce monde des EHPAD où beaucoup d’entre nous sont destinés à finir leur vie.
Dans la plupart des établissements, le visiteur, après passage devant un guichet où il donne le nom de la personne qu’il vient voir, accède à un vaste espace qui est aménagé pour la rencontre des résidents entre eux et où ils accueillent leurs familles. C’est dans cet espace que sont organisés des activités collectives et des spectacles, et que des émissions de télévision sont diffusées sur un grand écran.
Mais tous les résidents ne sont pas en état de participer à une vie collective. Pour voir les autres, il faut monter dans les étages où on les trouve dans leur chambre ou rassemblés autour d’une table dans un espace commun. Ils ne sont pas autorisés à descendre sans être accompagnés et il faut un code pour appeler l’ascenseur. Il y a peu de communication autour de la table, aussi lors de mes visites, je préfère raccompagner dans sa chambre l’ami que je viens voir.
État des lieux
Il y a 7 500 EHPAD en France, qui accueillent environ 600 000 résidents. L’Institut national d’études démographiques, qui, en 2012, recensait 1,2 million de personnes âgées en situation de perte d’autonomie, estime que leur nombre devrait doubler d’ici 2060. On peut donc prévoir un accroissement important du nombre d’EHPAD, aussi vaut-il la peine d’approfondir ce que sont ces établissements et comment ils fonctionnent. Sous le titre « Faire d’un EHPAD un lieu de vie et d’humanité », l’École de Paris du management a publié le compte rendu d’une conférence de Ségolène Lebreton qui a dirigé un EHPAD à Saint-Cloud et qui le raconte en soulignant le sens qu’elle a voulu donner à son action.
Initiative et consentement
En introduction, elle rappelle que le consentement est une condition préalable pour l’admission d’une personne âgée dans un EHPAD. Certains prennent l’initiative de la demander pour eux-mêmes, mais le plus souvent c’est le conjoint ou les enfants qui font cette démarche quand ils ne sont plus en mesure d’assurer les soins à domicile. « L’entrée en EHPAD s’explique rarement par un handicap exclusivement physique, mais davantage par un handicap cognitif, une perte des facultés mentales qui empêche de prendre soin de soi chez soi, a fortiori lorsque les proches ne sont pas en mesure de le faire. Les professionnels des EHPAD prennent alors le relais, à la fois pour accompagner et sécuriser les personnes et pour soulager leurs proches, qu’il ne s’agit jamais, pour autant, de remplacer. »
“Ils ont besoin
de savoir qu’ils font encore
partie de notre société”
Un travail sur les liens familiaux
« Un réel effort de pédagogie est indispensable pour aider les proches à comprendre au mieux notre fonctionnement et notre organisation (distinguer les infirmières et les aides-soignantes…). Il importe également d’expliquer ce qui se passe en leur absence. Cette démarche permet d’une part aux proches de trouver leur place et, d’autre part, de nous faire confiance et de passer du stade de l’appréhension et de la culpabilité à la certitude d’avoir fait le bon choix… Nous avons un travail à faire sur les liens familiaux car, si nous voulons que la relation soit bonne avec le résident, elle doit aussi l’être avec ses proches. Il nous sera très difficile d’accompagner une personne âgée si sa famille est angoissée. Ce travail est d’autant plus compliqué que les aidants familiaux se sont beaucoup impliqués avant l’entrée de leurs proches en EHPAD. Pour certains, ils prenaient déjà en charge la toilette du matin, l’habillage, les repas et les activités, puis ils se sont trouvés dans l’obligation de passer le relais. D’une part, nous ne procédons pas de la même façon qu’eux, et pour cause, nous ne pouvons faire du “un pour un”, nous devons faire du “deux pour vingt”. D’autre part, la vie des aidants est entièrement changée après l’entrée de leurs proches en EHPAD, il leur faut donc se la réapproprier. Quoi qu’il en soit, même s’ils perdent leur place d’aidants primaires, ils conservent celle de proches, les professionnels ne se substituant pas affectivement à l’entourage de la personne âgée. »
EHPAD publics et privés
Il y a des EHPAD sous différents statuts et il existe d’autres solutions que les EHPAD pour accompagner les personnes âgées. Ségolène Lebreton rappelle que, selon l’article 11 du préambule de la Constitution de 1946, tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique et mental, de la situation économique se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. « Les EHPAD sont une solution pour assurer le relais des familles. La loi n’a pas fixé pour eux de statut particulier. Il existe des EHPAD publics parmi lesquels des établissements autonomes, qui sont autogérés et le plus souvent de petite taille, et d’autres qui sont rattachés à un hôpital. Il y a aussi des EHPAD privés à but non lucratif (gérés par des congrégations religieuses, des associations ou des mutuelles), d’autres à but lucratif (souvent gérés par des grands groupes). Même s’ils restent encore minoritaires, le nombre des EHPAD à but lucratif a vocation à croître… »
Les autres structures
« Les EPHAD ne sont qu’une solution parmi d’autres pour l’accompagnement des personnes âgées. Il existe aussi des accueils de jour, qui permettent aux personnes atteintes notamment de pathologies neurodégénératives, de préserver leurs capacités et de ne pas s’isoler. Ils assurent également du répit à leurs proches. Peuvent être également citées les résidences autonomes (anciens logements foyers) et les unités de soins de longue durée. Ces dernières sont à la fois un lieu de vie et un service hospitalier, puisqu’elles accueillent des personnes dont l’état de santé nécessite un traitement médical lourd et une permanence infirmière et médicale 24 h / 24. »
Ressources et financement
D’où proviennent les ressources qui permettent de financer les EHPAD ? « Le financement est tripartite. Les charges de soins sont couvertes par l’Assurance Maladie et celles liées à la dépendance le sont par le Conseil départemental. Quant aux dépenses d’hébergement (alimentation, animation, travaux fonciers…), elles sont couvertes par le prix de journée. Ce reste à charge incombe aux résidents ou à leurs proches, notamment leurs enfants dans le cadre de l’obligation alimentaire… Dans l’EHPAD que je dirigeais, le reste à charge représentait en moyenne 2 500 €/mois. Dans un établissement privé, il peut aller jusqu’à 6 000 €/mois. Il convient d’insister ici sur le fait que le reste à charge ne couvre pas les soins, mais uniquement les dépenses d’hébergement. Payer très cher un établissement privé ne signifie donc pas automatiquement que le personnel soignant sera plus nombreux. » Pour garantir le droit de tous à l’accès aux soins, certains EHPAD sont habilités à solliciter l’aide sociale avec prise en charge par le département du reste à charge des résidents.
Conditions d’admission
Voici ce que répondait Ségolène Lebreton pour son EHPAD, qui était sous statut public car dépendant de la municipalité de Saint-Cloud : « En principe, nous acceptons tout le monde, mais si nous devons choisir entre plusieurs demandes, nous favorisons la proximité et, en tant qu’établissement public, nous privilégions la personne qui ne pourrait pas payer un établissement plus cher. »
Communiquer autrement sur les EHPAD
En conclusion, j’ai connu l’existence des EHPAD parce que je devais aller voir des amis de mon âge. J’ai découvert un univers que jusque-là, plus ou moins consciemment, j’avais ignoré. Il est vrai que, parmi les amis que je visite, ceux malades d’Alzheimer ne me reconnaissent pas, mais le bonheur que d’autres expriment donne la mesure du besoin qu’ils ont de savoir qu’ils font encore partie de notre société. Pour ceux-là, il faut ouvrir les établissements, communiquer avec eux et diffuser des informations sur leur existence et sur ce qu’ils font. Il faut que les médias en parlent autrement que pour signaler l’incendie d’une maison de retraite ou les revendications du personnel soignant. Dans un article consacré à une école de Torcy implantée dans une zone sensible de Seine-et-Marne 1, nous avons montré comment le directeur de cet établissement avait fait appel aux compétences des résidents de la maison de retraite voisine pour organiser des activités dans le cadre duquel des retraités transmettaient leurs savoir-faire à des élèves.
_
1. In Forum social du n° 708 d’octobre 2015, l’article intitulé « Une école où les enfants apprennent le vivre ensemble ».
Ressources
- Solidarités n° 17, magazine édité par AG2R La Mondiale, qui se réfère à des données du ministère des Solidarités et de la Santé (chiffres fin 2017) et à des prévisions de l’Ined de septembre 2013.
- Conférence de Ségolène Lebreton du 7 février 2018 de l’École de Paris du management – compte rendu rédigé par Florence Berthezène dont sont extraites les citations.