Pratiques agricoles durables : le rôle des agro-industries
L’influence de l’industrie alimentaire sur son amont agricole a permis l’émergence de bonnes pratiques agricoles, en particulier à travers les labels de qualité. En s’engageant dans une généralisation de pratiques durables de production, en particulier par la mise en place de cahiers des charges communs, l’agro-industrie pourrait gagner en crédibilité auprès des consommateurs ce qu’elle perdrait en termes de différenciation.
REPÈRES
Les industries alimentaires sont au » contact » direct des consommateurs au travers de leurs produits. Il en est de même pour les distributeurs (distribution et mise sur le marché de produits à leurs marques). Il est donc naturel que ces acteurs économiques soient à l’écoute des tendances et souhaits de ces consommateurs. Parmi ces attentes, celles relatives au développement durable prennent une place déterminante.
L’amont agricole représente plus de la moitié de l’empreinte carbone d’un produit
Le poids de l’étape agricole dans l’ensemble de la filière de production d’un produit alimentaire est majeur du point de vue de l’environnement.
Pour ne prendre que l’empreinte carbone d’un produit, il est courant dans le domaine alimentaire que l’amont agricole en représente plus de la moitié. Quelles politiques cela déclenche-t-il alors de la part de l’industrie alimentaire et quelles en sont les conséquences sur leurs fournisseurs ?
Faire connaître sa démarche
Logos en tous genres
L’industrie, dans son souci de répondre aux attentes des consommateurs, a multiplié les cahiers des charges. Pour les faire connaître, elle a créé une floraison de logos ou de labels (commerce équitable, agriculture biologique, agriculture raisonnée, etc.). Et là ont commencé les difficultés : étiquettes encombrées, multiplication de labels peu (re)connus, soupçons d’opportunisme vert, doutes sur l’indépendance ou l’efficacité des organismes privés vérifiant les labels.
La première démarche de l’industrie est en général de définir un cahier des charges (ou de se rattacher à un cahier des charges existant) des pratiques agricoles minimisant les impacts environnementaux et censées rassurer le consommateur. Il s’agit ensuite de faire connaître cette démarche aux clients, à travers des labels ou des logos.
La difficulté principale est toutefois que les produits se revendiquant de tels labels peinent à sortir d’un marché de niche. Or, les besoins de réduction des impacts environnementaux de la production agricole requièrent évidemment la mobilisation de l’ensemble de celle-ci.
Étendre ces démarches
Les prix des produits répondant à ces cahiers des charges sont en général plus élevés que ceux des produits classiques. Les raisons en sont diverses, coûts de production plus importants (rendements moindres, pertes, meilleure rémunération des producteurs agricoles), moindres amortissements des coûts en raison des quantités limitées (coûts logistiques par exemple) mais, faisons un peu de mauvais esprit dans ces secteurs trop policés, meilleures marges de certains acteurs qu’ils chercheront naturellement à protéger.
La seule façon de généraliser ces démarches, aurait dit Monsieur de La Palice, est donc que les pratiques correspondantes deviennent à terme le standard de la production agricole. Alors, « mort aux labels, oui aux standards » ?
Standards ou labels ?
La standardisation des bonnes pratiques permet une généralisation rapide, mais risque de se heurter à la résistance des utilisateurs de labels, qui, au-delà de leur intérêt propre, peuvent avancer des arguments non dénués de fondement. Techniquement, ils peuvent craindre une dégradation qualitative des cahiers des charges. Et tactiquement, l’existence de labels ou de cahiers des charges exigeants, donc certes réduits à des niches, a un effet d’entraînement pour tous les acteurs.
Le bon candidat
Pour illustrer la problématique du choix entre standards et labels, on examinera le cas de l’agriculture biologique. Le « Grenelle de l’environnement » a promu de façon très volontariste cette agriculture. De son côté, l’agroindustrie promeut cette agriculture pour une raison simple : il existe une demande des consommateurs et donc un marché.
L’agriculture devra se tourner vers plus d’agronomie et moins de chimie
Tient-on là le bon candidat pour une agriculture durable ? On le sait, il s’agit d’une agriculture proscrivant (ou limitant fortement) le recours aux intrants chimiques. On reviendra ci-dessous sur le postulat de nocivité de ces intrants mais il reste que la pratique de l’agriculture biologique est dans son principe admirable de finesse, de connaissances et d’observation. Il s’agit en effet d’appréhender suffisamment bien plantes, milieux et agresseurs et les mécanismes biologiques qui régissent leurs développements et interactions, pour les utiliser dans la défense des plantes sans avoir recours à la » facilité » du produit chimique.
Certes, mais on conviendra qu’une telle connaissance n’est pas forcément à la portée de tous les acteurs dès lors qu’on sortirait du cercle des initiés actuels. Sans parler des lacunes mêmes de ces connaissances. Elles seraient d’ailleurs heureusement comblées par la recherche au profit non seulement de l’agriculture biologique mais aussi de l’agriculture en général, qui, nolens, volens, devra bien se tourner vers plus d’agronomie et moins de chimie.
Trouver d’autres voies
Notons aussi que contrairement au bruit qui fut répandu voici quelques années, la FAO n’a jamais indiqué que » l’agriculture biologique pouvait nourrir le monde ». Son directeur général l’a même très officiellement démenti.
Répondre aux inquiétudes
Pour la sécurité du consommateur, la réalité du risque représenté par les résidus chimiques dans les produits alimentaires est bien peu étayée scientifiquement à ce jour en dépit de prophètes très médiatisés. Mais le risque est beaucoup plus net évidemment pour l’environnement et pour l’agriculteur, premier exposé, en cas de mauvaises manipulations. Il serait tout à fait irrationnel pour l’industrie alimentaire de ne pas prendre en compte ces inquiétudes et en conséquence de ne pas agir sur ses fournisseurs agricoles pour faire évoluer leurs pratiques.
Le plan « Écophyto 2018 » vise à réduire de 50% le recours aux pesticides
Finalement, même à supposer que le développement de l’agriculture biologique atteigne comme c’est le cas dans certains pays comme l’Autriche plus de 10% des surfaces cultivées, si l’objectif est bien une agriculture durable, il faudra bien » faire quelque chose » pour les 90 ou même 80 % restants des surfaces agricoles. Alors que faire pour une agriculture durable et que peut faire l’agro-industrie ?
Retrouvons ici les consommateurs. Il est banal de rappeler leurs inquiétudes quant à la sécurité de leur alimentation. Au premier rang de ces risques perçus ou réels, figure, depuis des décennies, le risque que représentent les résidus chimiques, en particulier les pesticides. D’où l’attrait de l’agriculture biologique.
Communication difficile
Échec relatif
Parmi les raisons qui expliquent l’échec relatif de l’agriculture raisonnée, on retiendra tout d’abord l’incapacité des agriculteurs ou de leurs dirigeants à s’engager, pour des raisons économiques que l’on peut comprendre mais aussi discuter, dans un programme de déploiement chiffré et daté (développement et pas seulement démonstration avec des fermes pilotes qui certes ont eu leur intérêt… voici quelques années). Seuls cet engagement et sa mise en oeuvre vérifiée auraient pu donner la crédibilité nécessaire à cette approche. Autre raison : l’opposition des partisans de l’agriculture biologique pour des raisons qui n’étaient pas toutes pures.
La bonne nouvelle est qu’il y a du » grain à moudre » : des pratiques agricoles modernes peuvent réduire considérablement le recours aux produits phytosanitaires (avertissements agricoles, pas de traitements ou d’apports d’engrais sans diagnostics préalables, développement de l’agronomie et de méthodes alternatives aux traitements, etc.).
Il faut rappeler ici un autre axe fort du Grenelle concernant l’agriculture, à savoir le plan « Écophyto 2018 » visant à réduire de 50% (méthode de mesure compliquée à expliquer ici) le recours aux pesticides d’ici 2018 par une combinaison de mesures de type « agronomie » ou meilleures pratiques agricoles à court terme, mesures relayées à moyen terme par la recherche et la mise au point de nouvelles molécules plus respectueuses de l’environnement.
On retrouve là la démarche de l’agriculture raisonnée, tout à fait raisonnable dans son principe (« raisonner avant d’agir ») et qui, elle, aurait pu avoir « un destin » global de standard à terme d’une agriculture respectueuse de l’environnement.
L’agro-industrie a modérément soutenu en son temps cette démarche pour la raison principale que le concept était compliqué à expliquer et à communiquer aux consommateurs. Certains acteurs ont enfin choisi de communiquer sur leurs produits en s’appuyant sur des cahiers des charges privés, assortis de surenchères techniques discréditant l’ensemble de la démarche.
Un rôle moteur pour l’industrie
Cette analyse dessine en creux une piste : définir des bonnes pratiques durables de production agricole de façon précompétitive et donc tendre à en faire un élément constitutif « normal » des conditions de production agricole. Certes, par construction, l’agro-industrie n’y trouverait pas d’éléments forts de différenciation de ses produits mais y gagnerait beaucoup en crédibilité de la démarche auprès des consommateurs.
L’agriculture n’est pas une variable d’ajustement
Fort heureusement en France, ce type d’approche a ressurgi avec le « Grenelle de l’environnement » sous la forme d’exploitations agricoles HVE « à haute valeur environnementale ». Il serait ici trop long de rentrer dans les détails de cette notion, souhaitons-lui d’avoir la capacité de « séduire » l’agro-industrie, d’entraîner toute l’agriculture afin qu’une agriculture respectueuse de l’environnement devienne le standard, qu’elle devienne banale et pas seulement une niche.
Peut-être alors le beau métier d’agriculteur retrouvera-t-il assez de lustre pour attirer plus de jeunes et, puisque les aspects sociaux sont majeurs dans ce débat pour une agriculture durable, redisons ici que cette production a ses caractéristiques propres et en particulier humaines, qu’on ne pourrait remettre en place rapidement une production agricole sur un territoire délaissé, que l’agriculture n’est pas une « variable d’ajustement » aisément gérable et qu’il faut donc en protéger les acteurs.
Prendre en compte les OGM
Pour compléter ce tableau de l’influence de l’industrie alimentaire sur son amont agricole, il serait dommage de ne pas évoquer ici les OGM. Inutile de rappeler l’inquiétude des consommateurs à cet égard, inquiétude naturellement écoutée et prise en compte par l’agro-industrie. La distribution a eu un rôle majeur voici quelques années dans la promotion puis la généralisation des politiques d’exclusion des ingrédients issus d’OGM dans les recettes alimentaires. L’impact sur l’amont agricole fut net et immédiat : en Europe à quelques exceptions près, la culture d’OGM est très limitée.
Un exemple américain
En 2011 sera lancé aux USA un maïs OGM résistant à la sécheresse. On verra les résultats mais a priori, voilà qui est intéressant aussi au regard du développement durable, du moins dans certaines situations : moins d’eau pour le maïs, voilà qui rappelle quelques débats récents.
La modification génétique des plantes est loin d’être une technique anodine, elle doit donc naturellement être encadrée rigoureusement mais l’opposition systématique à cette option est très néfaste. Quel scandale que les opposants fauchent les champs d’expérimentation mis en place pour répondre à leurs questions ou objections !
Enfin, il serait tout à fait déraisonnable de penser aujourd’hui que les OGM sont condamnés dans le monde : ils se développent car ils apportent des bénéfices en comparaison des semences classiques (sinon pourquoi, pour un agriculteur, payer les semences OGM plus cher sauf à évoquer un schéma d’intimidation et de complot généralisé et mafieux, schéma évoqué dans des débats mais qui laisse perplexe ?). Or la France pour les raisons évoquées ci-dessus a complètement ou presque délaissé ce champ de recherche et de développement. Quel avenir pour nos semenciers dans ce domaine s’il se confirme que les dizaines de millions d’hectares d’OGM dans le monde apportent la preuve que cette technique est, parmi d’autres, un élément constitutif d’une agriculture durable, sans parler de la situation de compétitivité de nos producteurs agricoles !