Prédation et Prédateurs
Michel Volle est l’un des lapins blancs qui nous font passer à pied, comme en rêve, du monde que nous vivons à sa représentation. Le statisticien méthodologue, auteur du manuel d’Analyse des données (1997), qui a guidé mes premiers pas dans ce secteur, est aussi, depuis sa jeunesse, citoyen engagé pour ce qu’on appelle aujourd’hui une mondialisation plus juste.
Dans l’économie nouvelle, « économie du risque maximum » expliquait déjà Michel dans e‑conomie (2000), les monopoles sont endogènes. Dans l’ancienne économie des rendements décroissants (à laquelle nos décideurs et étudiants restent intoxiqués), la rentabilité venait de la productivité horaire ; aujourd’hui la rentabilité s’obtient en capturant une part de marché, donc au besoin en « achetant les acheteurs ». L’échange équilibré, sur un marché libre et pleinement informé, caractérisait l’économie classique : la prédation le remplace comme norme. « Le prédateur n’est ni plus ni moins rationnel que les autres agents économiques. » Les seigneurs de la guerre de l’ultracapitalisme sont dans une situation stratégique comparable, non à celle des ingénieurs-entrepreneurs fordistes, mais à celle des féodaux du Moyen Âge.
Choisir la civilisation contre la barbarie demande, comme au Moyen Âge, de « réduire la rentabilité de la prédation en lui opposant des obstacles qui accroissent son coût. S’indigner ne ferait qu’inciter à la démission. Il faut comprendre. » C’est dire l’importance de ce livre. La vision de l’historien, convoquant Saint-Simon et Bloch, Adam Smith et Clausewitz, s’y conjugue avec le talent du modélisateur pour mettre en mots simples et en petits schémas rétrocommissions et innovation, pression médiatique et dérégulation.
Dans un monde mal compris, les comportements rationnels des décideurs conduisent leur entreprise au suicide ; une efficacité durable passe par la lecture du monde à laquelle Prédation et Prédateurs nous introduit.