Prendre en compte les interdépendances pour évaluer les risques
Certaines pratiques ont amplifié et accéléré les phénomènes de propagation. Ainsi, la concentration de la production et du stockage, l’externalisation ou encore la généralisation du juste-à-temps ont réduit les marges d’erreur, rendant les chaînes plus tendues et plus sensibles.
REPÈRES
On constate aujourd’hui une complexification des supply chains, en termes de taille, d’interconnexion et de variabilité. Ces chaînes sont exposées à des chocs lointains et peu prévisibles. Le grand tremblement de terre qui a affecté le Japon en 2011 a entraîné une forte chute de la production économique, résultat de multiples ruptures de production se propageant le long des supply chains. Des constructeurs d’automobiles implantés bien loin du Japon ont été sévèrement touchés.
Selon le dernier rapport du Business Continuity Institute, 75 % des entreprises interrogées ont subi au moins une rupture d’approvisionnement dans l’année ; pour 20 % d’entre elles le coût a excédé le million d’euros.
Un environnement perturbé et incertain
Un cas illustre le processus de propagation, aux dépens d’un constructeur de téléphones portables. Un incendie mineur éclata dans l’usine de l’un de ses fournisseurs, au Nouveau-Mexique. La paralysie de l’unique ligne de production du sous-composant entraîna une rupture brutale d’approvisionnement, aucune alternative n’ayant été préparée.
La crise économique de 2007 a entraîné des réactions aussi brutales qu’inattendues. © REUTERS
La perte se chiffra à quelque 200 millions de dollars et entama durablement la position de l’entreprise sur son marché.
Ces supply chains complexifiées évoluent dans un environnement mis sous tension et de plus en plus instable. La perte colossale de biodiversité érode la résilience des écosystèmes, base de toutes activités économiques. Le changement climatique tend à favoriser l’occurrence d’événements extrêmes. De tels événements ont un coût direct extrêmement élevé.
Sur la dernière décennie, SwissRe a évalué les coûts économiques des catastrophes naturelles à 190 millions de dollars par an. Les événements climatiques ont en outre de larges conséquences indirectes et sont des causes majeures de ruptures d’approvisionnement. En 2011, 30 % des multinationales interrogées par le Carbon Disclosure Project ont subi des ruptures de supply chain à cause d’événements climatiques.
Anticiper les effets locaux
Les changements environnementaux ont en outre pour effet majeur d’épaissir les incertitudes. C’est un défi de taille pour les prises de décision. En effet, si les tendances globales peuvent être estimées, il est extrêmement difficile d’anticiper les effets locaux de tels phénomènes.
“ La généralisation du juste-à-temps a rendu les chaînes plus sensibles ”
Dans ces conditions, comment adapter les supply chains et réduire leur vulnérabilité ? Comment réorganiser le réseau d’interdépendance pour en accroître la résilience ?
Renouveler les outils
Le système économique, et les supply chains en particulier, se complexifient ; l’environnement est perturbé et incertain. De nouvelles approches sont nécessaires pour appréhender cette complexité.
Aujourd’hui encore, beaucoup d’entreprises peinent à mettre en place des procédures adaptées de suivi des risques de supply chain. La dernière étude du Global Supply Chain Institute de l’université du Tennessee a ainsi constaté que 90 % des entreprises interrogées n’évaluent pas ces risques dans la gestion de leur approvisionnement.
Ces préoccupations gagnent néanmoins du terrain dans certains milieux de décideurs. En témoignent les nombreux rapports publiés ces cinq dernières années sur cette thématique, émanant d’institutions tels que le World Economic Forum ou Lloyd’s.
Cette année, le World Business Council for Sustainable Development lance un programme de travail sur la résilience des supply chains globalisées.
Les assureurs et réassureurs se sont également saisis de ce sujet, de plus en plus d’entreprises considérant les mécanismes assurantiels comme pertinents pour se protéger contre ces risques.
Évolution des dommages économiques engendrés par les catastrophes climatiques ces vingt dernières années (sécheresses, inondations, températures extrêmes, tempêtes). Source : EM-DAT.
Simuler les systèmes complexes
Les effets d’un tremblement de terre se font sentir bien au-delà des zones concernées (ici, à Port-au-Prince en 2010). © REUTERS
Des innovations sont donc attendues pour mieux saisir la dynamique des supply chains interconnectées. Elles pourront s’appuyer sur de récents travaux sur la vulnérabilité des institutions financières. Ces recherches ont été stimulées par la grande crise financière de 2007, phénomène « systémique » par excellence.
Lors de cette dernière, l’extrême multiplication des interconnexions a entraîné des réactions en chaîne aussi brutales qu’inattendues.
Dans le cas des supply chains, il s’agit de développer des modèles économiques prenant explicitement en compte la forme particulière des interdépendances entre entreprises. Ils permettront l’élaboration de stress tests afin d’identifier les vulnérabilités et d’en déduire les indicateurs les plus pertinents.
Ces recherches mobiliseront notamment de grandes puissances de calculs, ces dernières rendant possible la simulation de systèmes économiques complexes, où chaque agent a un comportement propre.
“ Les assureurs se sont saisis du sujet ”
De tels travaux visent à donner aux entreprises les outils nécessaires pour mieux comprendre les chaînes complexes dans lesquelles elles sont imbriquées et appréhender les risques associés.
Cela doit permettre, in fine, de mieux agir dans et sur ces réseaux d’interdépendance. Ces recherches offriront également au décideur public une nouvelle perspective sur les impacts macro-économiques des turbulences locales.