C 160 Transall ravitaillé en vol

Présent et avenir de l’armée de l’air

Dossier : La DéfenseMagazine N°529 Novembre 1997
Par Daniel VENTURI (87)

Cette fin de siècle riche en bou­le­ver­se­ments géos­tra­té­giques demande un for­mi­dable effort d’a­dap­ta­tion à bon nombre de pays, et par­ti­cu­liè­re­ment dans le domaine de la Défense. La France n’est pas non plus épar­gnée par l’in­dis­pen­sable réforme des poli­tiques de défense que les grandes puis­sances ont entre­prise depuis 1989. Chaque par­tie de son appa­reil de défense vit actuel­le­ment de pro­fonds chan­ge­ments et l’ar­mée de l’air doit par­ve­nir à se main­te­nir au plus haut niveau opé­ra­tion­nel dans le nou­veau cadre stra­té­gique mon­dial, sou­mise par ailleurs au véri­table défi de sa pro­fes­sion­na­li­sa­tion et à des contraintes bud­gé­taires réelles

Cette fin de siècle riche en bou­le­ver­se­ments géos­tra­té­giques demande un for­mi­dable effort d’a­dap­ta­tion à bon nombre de pays, et par­ti­cu­liè­re­ment dans le domaine de la Défense. La France, de par le rôle de pre­mier ordre qu’elle se doit de tenir dans les rela­tions inter­na­tio­nales, n’est pas non plus épar­gnée par l’in­dis­pen­sable réforme des poli­tiques de défense que les grandes puis­sances ont entre­prise depuis 1989. Chaque par­tie de son appa­reil de défense vit actuel­le­ment de pro­fonds chan­ge­ments et l’ar­mée de l’air, nous le ver­rons, doit par­ve­nir à se main­te­nir au plus haut niveau opé­ra­tion­nel dans le nou­veau cadre stra­té­gique mon­dial, sou­mise par ailleurs au véri­table défi de sa pro­fes­sion­na­li­sa­tion et à des contraintes bud­gé­taires bien réelles.

Les missions changent…

La dis­pa­ri­tion sou­daine du bloc sovié­tique a conduit à une redé­fi­ni­tion com­plète des objec­tifs de notre poli­tique de défense et, par consé­quent, des mis­sions de nos forces armées. Les scé­na­rios d’emploi des armées rete­nus aujourd’­hui comme les plus pro­bables (1) laissent appa­raître comme carac­té­ris­tique prin­ci­pale la capa­ci­té des uni­tés à inter­ve­nir « loin et vite ». Comme lors du conflit du Golfe, les forces aériennes doivent jouer un rôle fon­da­men­tal en pro­je­tant puis­sance et force dans les meilleurs délais. La diver­si­té des situa­tions, l’im­pré­vi­si­bi­li­té des crises, la mul­ti­pli­ci­té des cadres d’ac­tion (Otan, UEO, ONU…) ont conduit à un nou­vel équi­libre des quatre capa­ci­tés stra­té­giques que sont la pré­ven­tion, la dis­sua­sion, la pro­tec­tion et la projection/action (2) .

La guerre froide s’est ache­vée, mais la dis­sua­sion n’en a pas pour autant per­du son impor­tance capi­tale et reste une garan­tie contre toute menace sur nos inté­rêts vitaux. Tou­te­fois notre défense doit être adap­tée à la réa­li­té du monde. Forces nucléaires et conven­tion­nelles doivent prendre une forme en accord avec les nou­veaux objec­tifs de notre défense.

C’est pour­quoi il a été déci­dé de ne conser­ver que les com­po­santes mobiles, aérienne et sous-marine, de la force nucléaire : le déman­tè­le­ment du 1er Grou­pe­ment de mis­siles stra­té­giques du pla­teau d’Al­bion a débu­té en sep­tembre 1996. Les forces conven­tion­nelles trouvent quant à elles de nou­veaux champs d’ac­tion dans le nou­veau contexte géos­tra­té­gique : il s’a­gis­sait hier de dis­sua­der un adver­saire bien iden­ti­fié alors qu’au­jourd’­hui il s’a­git davan­tage de contri­buer direc­te­ment au main­tien de la paix et de la sta­bi­li­té dans le monde. Ain­si, le minis­tère de la Défense a arrê­té un for­mat adap­té pour l’ar­mée de l’air : le modèle Air de référence.

… Le format change

AWACS
AWACS
© SIRPA/ECPA

À l’é­té 1996, l’ar­mée de l’air employait 93 552 per­sonnes dont 88 646 mili­taires et 4 906 civils. Elle dis­po­sait de 390 avions de com­bat (Mirage IV, Jaguar, Mirage F1 et Mirage 2000 C, N et D) qu’u­ti­li­saient 23 esca­drons ain­si que de 85 appa­reils de trans­port. De plus 11 Boeing ravi­tailleurs appor­taient leur sou­tien en per­met­tant le déploie­ment à grande dis­tance et en accrois­sant la mobi­li­té des forces. Enfin une flotte spé­cia­li­sée com­por­tant 101 héli­co­ptères, 6 Trans­all, 4 AWACS, 1 DC‑8 assu­rait entre autres les mis­sions de guerre élec­tro­nique, de détec­tion aéro­por­tée, de recherche et sauvetage.

Le modèle que vise l’ar­mée de l’air pour 2015 est dif­fé­rent par sa taille, son orga­ni­sa­tion et la nature de ses élé­ments. La moder­ni­sa­tion de ses maté­riels, l’a­dap­ta­tion de ses struc­tures, la pro­fes­sion­na­li­sa­tion d’une par­tie de ses per­son­nels pour­ront lui per­mettre, si leur effet est conjoint, d’as­su­rer la mis­sion d’in­ter­ven­tion avec effi­ca­ci­té. Elle n’emploiera plus que 70 683 per­sonnes (- 24 %) dont 64 107 mili­taires (- 27 %) et 6 576 civils (+ 34 %). Épau­lé par les Mirage 2000 de la der­nière géné­ra­tion, le Rafale aux capa­ci­tés mul­ti­rôles auto­ri­se­ra le nombre d’ap­pa­reils de com­bat à pas­ser à 300 (- 23 %) répar­tis dans 15 escadrons.

Mirage F1 CR ravitaillé en vol
Mirage F1 CR ravi­taillé en vol
© SIRPA/ECPA

L’ex­pé­rience des opé­ra­tions pas­sées et l’exa­men des hypo­thèses d’en­ga­ge­ment futur montrent clai­re­ment qu’un effort par­ti­cu­lier doit être consen­ti en faveur de l’a­via­tion de trans­port. Les besoins portent sur une capa­ci­té de pro­jec­tion à une dis­tance de 5 600 km (3 000 NM), en dix jours, d’une force pou­vant atteindre 5 000 hommes avec leurs matériels.

Pour des rai­sons évi­dentes de délais et d’in­dé­pen­dance de déci­sion, cette dis­tance doit pou­voir être cou­verte sans escale. L’aé­ro­trans­port consti­tue là le seul moyen per­met­tant d’a­che­mi­ner les uni­tés vers leur zone d’o­pé­ra­tion pen­dant les dix pre­miers jours.

Le suc­ces­seur du C 160 Trans­all devra cou­vrir tous les besoins cor­res­pon­dant aux exi­gences tac­tiques (décol­lage, atter­ris­sage, vol tactique).

La meilleure réponse à de tels besoins opé­ra­tion­nels est incon­tes­ta­ble­ment l’a­vion de trans­port futur (ATF) qui, par les capa­ci­tés de sa soute, par sa moto­ri­sa­tion, ses atter­ris­seurs, son avio­nique et son concept de main­te­nance, appor­te­ra un gain de pro­duc­ti­vi­té opé­ra­tion­nelle tel que le nombre d’ap­pa­reils com­man­dés pour­ra être limi­té à 52 (contre plus de 70 Trans­all actuel­le­ment en service).

S’a­gis­sant des avions de ravi­taille­ment en vol, l’ar­mée de l’air pré­voit d’en ache­ter cinq sup­plé­men­taires afin d’ac­croître la mobi­li­té des forces.

Une professionnalisation progressive

En ce qui concerne les per­son­nels, la dimi­nu­tion de l’ef­fec­tif glo­bal va s’ac­com­pa­gner, comme pour les autres armées, de la pro­fes­sion­na­li­sa­tion vou­lue par le pré­sident Chi­rac. Il est vrai que les uni­tés opé­ra­tion­nelles de l’ar­mée de l’air sont déjà for­te­ment pro­fes­sion­na­li­sées mais les appe­lés repré­sen­taient en 1996 près d’un tiers de l’ef­fec­tif soit envi­ron 32 600 per­sonnes. En 2002, il n’en res­te­ra qu’un peu plus de 2 200 et leur perte devra être qua­li­ta­ti­ve­ment com­pen­sée par l’ar­ri­vée des mili­taires tech­ni­ciens de l’air (MTA), des sol­dats pro­fes­sion­nels, hommes ou femmes, enga­gés pour un ou deux contrats de quatre ans et for­més comme aides-spé­cia­listes : on en comp­te­ra 16 758 en 2002.

Changer les structures et les méthodes

SA 330 Puma
SA 330 Puma
© SIRPA/ECPA

La réforme est de taille, on le voit, et néces­site aus­si une adap­ta­tion des struc­tures et de l’or­ga­ni­sa­tion de nos bases aériennes, pro­ces­sus déjà en cours à titre expé­ri­men­tal à Ambé­rieu, Cognac et Col­mar, les autres bases devant se pro­fes­sion­na­li­ser à par­tir de 1998. Ces plates-formes de com­bat et de pro­tec­tion des moyens vont pour la plu­part deve­nir des points d’ap­pui pour la pré­pa­ra­tion et le sou­tien d’u­ni­tés com­bat­tant sur des théâtres éloi­gnés : l’ar­mée de l’air recherche pour cela de nou­velles orga­ni­sa­tions plus com­pactes et plus effi­caces et, à tous les niveaux, fait por­ter aujourd’­hui l’ef­fort sur la ratio­na­li­sa­tion des méthodes de tra­vail dans ce nou­veau contexte.

En outre, la pro­jec­tion de puis­sance et de force néces­site la pro­jec­tion de struc­tures de com­man­de­ment adap­tées pour orga­ni­ser, contrô­ler, coor­don­ner les opé­ra­tions sur les théâtres. C’est pour­quoi la réforme touche éga­le­ment l’or­ga­ni­sa­tion ter­ri­to­riale des com­man­de­ments opé­ra­tion­nels. Nous assis­tons à une cen­tra­li­sa­tion, une concen­tra­tion des organes de déci­sion et, paral­lè­le­ment, ces états-majors et centres de com­man­de­ment sont aujourd’­hui capables de se déployer sur les théâtres en y pro­je­tant d’in­dis­pen­sables inter­mé­diaires entre les forces et les déci­deurs mili­taires et politiques.

Rénover et entraîner

La route est longue et toutes les solu­tions qui seront plus tard adop­tées n’ont cer­tai­ne­ment pas encore vu le jour. D’ailleurs qui pour­rait aujourd’­hui affir­mer que l’a­ve­nir que nous avons décrit a une pro­ba­bi­li­té d’oc­cur­rence égale à 1. En effet l’a­ve­nir est pour tous déter­mi­né par l’argent, selon que l’en­ve­loppe bud­gé­taire est plus ou moins pleine. Le bud­get 1997 de l’ar­mée de l’air est de : 36,9 MdF (21,6 MdF en équi­pe­ment – titre V et titre VI air et 15,3 MdF en fonc­tion­ne­ment – titre III air). Les grands pro­jets qui doivent abou­tir pour per­mettre la moder­ni­sa­tion des forces aériennes demandent encore des efforts qu’il est dif­fi­cile de repous­ser impu­né­ment à « plus tard », faute de cré­dits aujourd’hui.

C 130 Hercules
C 130 Hercules
© SIRPA/ECPA

En effet, plus on retarde l’ar­ri­vée d’un maté­riel dans les forces, plus sa concep­tion est ancienne et plus il risque d’être tech­no­lo­gi­que­ment dépas­sé. Or, de quels fac­teurs dépend la puis­sance opé­ra­tion­nelle d’une armée comme l’ar­mée de l’air ? D’une part des per­for­mances de ses armes (vec­teurs, mis­siles, radar, brouilleurs…) et de maté­riels divers (capa­ci­té de main­te­nance rapide, moyen de pré­pa­ra­tion et de res­ti­tu­tion de mis­sion…) et d’autre part des per­for­mances de ses per­son­nels. Aucun fos­sé tech­no­lo­gique ne doit être tolé­ré, pas plus qu’un sous-entraî­ne­ment des opé­ra­teurs. Un pilote de Rafale volant cent heures par an est un ath­lète qui s’en­traîne pour les Jeux olym­piques une fois par semaine. Un pilote de Jaguar qui vole deux cent quatre-vingts heures par an est un per­chiste assi­du mais dont la perche est en bois. Il est assez cou­rant d’en­tendre aujourd’­hui que les sys­tèmes d’arme, tou­jours plus per­for­mants et ergo­no­miques, allègent la charge de tra­vail de l’u­ti­li­sa­teur au point que son uti­li­té est par­fois mise en doute. Mais, si la tâche de l’o­pé­ra­teur est faci­li­tée ou même si par­fois le sys­tème réa­lise seul ce qui néces­si­tait par­fois une inter­ven­tion humaine, la mis­sion assi­gnée au couple homme-machine évo­lue elle aus­si et son degré de com­plexi­té aug­mente avec les per­for­mances des sys­tèmes. À titre d’exemple, en défense aérienne, le nombre des avions pre­nant part aux mis­sions a aug­men­té sen­si­ble­ment avec l’ar­ri­vée de radars per­for­mants et des mis­siles « longue por­tée ». Demain les capa­ci­tés mul­ti­cibles du Mirage 2000–5 et les pro­prié­tés des mis­siles MICA deman­de­ront une adap­ta­tion : nous ne pour­rons nous conten­ter d’é­ga­ler – et seule­ment d’é­ga­ler – notre tra­vail actuel sans, en quelque sorte, gâcher le poten­tiel de ce nou­vel avion. Les mis­sions évo­lue­ront encore vers une plus grande com­plexi­té et au bilan la charge de tra­vail des pilotes ne dimi­nue­ra pas. Nous voyons donc que le volume horaire de l’en­traî­ne­ment annuel des équi­pages ne pour­ra dimi­nuer sous peine de rendre le couple opé­ra­teur-sys­tème moins effi­cace et par là renier le prin­cipe fon­da­men­tal des armées : main­te­nir leurs opé­ra­tion­nels au plus haut niveau.

L’ar­mée de l’air se doit non seule­ment de moder­ni­ser sa flotte à l’ho­ri­zon 2015, car son for­mat futur néces­site des avions modernes type Rafale, mais encore de conti­nuer à entraî­ner son per­son­nel. En France, chaque année, tout pilote dis­pose de cent quatre-vingts heures ce qui consti­tue le volume horaire mini­mum. Cepen­dant nous avons tous en mémoire le triste mois de décembre 1996 où les esca­drons ont mis la clé sous la porte faute de car­bu­rant… Car l’ac­ti­vi­té aérienne a son prix (11,2 % du Titre III air soit 1,7 MdF). Et il n’est facile de pré­voir ni le cours du dol­lar ni le prix du baril sur un an (le car­bu­rant pour avion repré­sente 5 % du titre III air soit envi­ron 763,7 MF). Mais il ne faut pas non plus perdre de vue que la qua­li­té pre­mière d’une armée, sa rai­son d’exis­ter, est d’être prête à la guerre et ce, non pas avec un pré­avis de six ans (durée néces­saire pour res­tau­rer le for­mat actuel des armées à par­tir de leur for­mat de 2015), mais tous les jours. Une fois de plus, le contexte éco­no­mique et le calme géos­tra­té­gique appa­rent en Europe rendent les dépenses mili­taires dis­cu­tables aux yeux de beau­coup et le porte-mon­naie de Ber­cy a quelque peine à s’ou­vrir pour la Défense : encore récem­ment, n’a-t-on pas annon­cé une révi­sion à la baisse des cré­dits d’é­qui­pe­ments pour les années à venir ?

La réor­ga­ni­sa­tion géos­tra­té­gique et ses réper­cus­sions sur les mis­sions que doivent aujourd’­hui accom­plir nos armées ont ren­for­cé le rôle des forces aériennes. La période qu’est en train de vivre l’ar­mée de l’air est déli­cate car il lui est deman­dé une pro­fonde muta­tion qui touche à la fois ses maté­riels, ses per­son­nels et ses prin­cipes de fonc­tion­ne­ment tout en main­te­nant au plus haut niveau sa cohé­rence et ses capa­ci­tés opé­ra­tion­nelles, un peu à la manière d’une grande entre­prise, sans pou­voir tou­te­fois « béné­fi­cier » du ver­dict immé­diat du mar­ché. Rude est sa tâche car les moyens finan­ciers à sa dis­po­si­tion risquent de ne pas évo­luer favo­ra­ble­ment. Pour­tant, plus que jamais, « Qui sera le maître du ciel, sera le maître du monde. » (CLEMENT ADER) __________________________________________________________
1 - Les six scé­na­rios d’emploi des forces armées du Livre blanc de la Défense :

1) Conflit régio­nal ne met­tant pas en cause les inté­rêts vitaux de la France.
2) Conflit régio­nal met­tant en cause les inté­rêts vitaux de la France.
3) Atteinte à l’in­té­gri­té du ter­ri­toire natio­nal hors métropole.
4) Mise en oeuvre des accords bila­té­raux de défense.
5) Opé­ra­tions en faveur de la paix et du droit international.
6) Résur­gence d’une menace majeure contre l’Eu­rope occidentale.

2 - La pré­ven­tion est en amont des autres capa­ci­tés car il s’a­git d’empêcher l’ap­pa­ri­tion de situa­tions qui pour­raient deve­nir conflic­tuelles. La pré­ven­tion concerne les situa­tions alors que la dis­sua­sion s’a­dresse aux inten­tions. Le besoin de pro­tec­tion est accru face au risque de rétor­sions, par la troi­sième dimen­sion ou par le ter­ro­risme, vis-à-vis du ter­ri­toire ou des forces enga­gées à l’ex­té­rieur. __________________________________________________________ (Pho­to­gra­phies)  C 160 Trans­all ravi­taillé en vol. Awacs. Mirage F1 CR ravi­taillé en vol. SA 330 Puma. C130 Her­cules.

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