Pressmium, un spotify des medias

Créer un Spotify des médias !

Dossier : TrajectoiresMagazine N°757 Septembre 2020
Par Hervé KABLA (X84)
Par Walid GHANEM (2013)

En jan­vier 2019 Walid Gha­nem (2013), Ezé­chiel Kahn (2013) et Aloïs Bazin de Jes­sey (Edhec) ont créé Press­mium, une plate-forme d’information qui pro­pose au lec­teur un accès illi­mi­té à l’intégralité du conte­nu de médias par­te­naires via un abon­ne­ment. L’idée est que les lec­teurs sou­haitent avoir accès à des sources variées d’information et consultent l’actualité de manière transversale.

Quelle est l’activité de Pressmium ? 

Press­mium est une plate-forme d’information qui pro­pose au lec­teur un accès illi­mi­té à l’intégralité du conte­nu de nos médias par­te­naires via un abon­ne­ment. L’originalité de notre offre repose sur deux axes d’innovation : une ergo­no­mie de lec­ture qui offre une expé­rience fluide, dyna­mique et inter­ac­tive de consul­ta­tion, et une offre de ser­vices fon­dés sur des algo­rithmes d’IA (recom­man­da­tion de lec­ture, clas­si­fi­ca­tion de l’information, per­son­na­li­sa­tion des flux, veille auto­ma­ti­sée, et bien d’autres). Aujourd’hui, nos lec­teurs ont accès à une liste de qua­rante médias par­te­naires, fran­çais et étran­gers, qui croît chaque semaine avec l’arrivée de nou­veaux édi­teurs. Nous sommes dis­po­nibles sur Apple Store et Google Play, et nous avons éga­le­ment une ver­sion Web.

Les fondateurs de Pressmium
Walid Gha­nem (2013), Ezé­chiel Kahn (2013) et Aloïs Bazin de Jes­sey (Edhec), fon­da­teurs de Press­mium, une plate-forme d’information qui pro­pose au lec­teur un accès illi­mi­té à l’intégralité du conte­nu de médias par­te­naires via un abonnement.

Quel est le parcours des fondateurs ? 

Nous sommes trois cofon­da­teurs. Aloïs Bazin de Jes­sey est diplô­mé de l’Edhec. Ezé­chiel Kahn et moi-même sommes X2013. Avec Aloïs, nous avions déjà mené une aven­ture entre­pre­neu­riale en paral­lèle à nos études avec la créa­tion d’une agence digi­tale, Direct Lemon. L’agence est tou­jours active et la direc­tion a été reprise par notre troi­sième asso­cié. À la suite de cette expé­rience, Aloïs a fait un pas­sage en audit finan­cier chez PwC, puis en inves­tis­se­ment au sein du groupe Bel. Ezé­chiel s’est spé­cia­li­sé dans les mathé­ma­tiques appli­quées et s’est immer­gé dans l’innovation en tra­vaillant à la stra­té­gie de Cap Digi­tal. Pour ma part, j’ai fait ma qua­trième année à HEC Entre­pre­neurs et j’ai sui­vi une for­ma­tion en pro­ba­bi­li­tés et data science. L’aventure Press­mium a offi­ciel­le­ment débu­té en jan­vier 2019, date à laquelle mes asso­ciés et moi-même ter­mi­nions nos études.

Comment vous est venue l’idée ?

Press­mium est né d’une frus­tra­tion com­mune à nous trois. En effet, force est de consta­ter qu’aujourd’hui les prin­ci­paux acteurs de l’information (médias, kiosques digi­taux et réseaux sociaux) ne répondent plus à notre usage de consom­ma­tion. Les médias n’offrent cha­cun un accès qu’à une face de l’information, moyen­nant un abon­ne­ment sou­vent oné­reux (plu­sieurs dizaines d’euros par mois). Les kiosques numé­riques souffrent d’une digi­ta­li­sa­tion à l’ancienne et enferment le lec­teur dans une consul­ta­tion linéaire (par titre) sans ana­lyse ni mise en relief de l’information. Et les réseaux sociaux pol­luent le lec­teur avec de la publi­ci­té inva­sive et un conte­nu de pauvre qua­li­té, voire fake. C’est pour­quoi nous avons ima­gi­né Press­mium : une plate-forme dédiée à l’information de qua­li­té issue de sources fiables et munie d’un socle tech­no­lo­gique au ser­vice du lecteur. 

Qui sont les concurrents ? 

Plu­sieurs ini­tia­tives plus ou moins simi­laires ont émer­gé avant Press­mium. En Europe, la plus connue est Blendle qui d’abord s’est lan­cé aux Pays-Bas puis s’est déve­lop­pé en Alle­magne et aux États-Unis. Cepen­dant Blendle uti­lise peu de leviers tech­no­lo­giques et a misé à tort sur un busi­ness modèle de vente à l’article dans un contexte où le lec­teur pré­fère un abon­ne­ment illi­mi­té. Blendle a essayé de s’introduire en France, mais en vain. Au Japon, Smart­News a connu un essor ful­gu­rant avec une levée consé­quente de 92 mil­lions d’euros cette année, qui va per­mettre à cette licorne d’asseoir sa noto­rié­té aux États-Unis. En France, les acteurs his­to­riques du mar­ché sont Cafeyn (ex-LeKiosk), ePresse et SFR Presse. Ces der­niers pro­posent encore une lec­ture très linéaire de l’information avec une ergo­no­mie peu adap­tée aux usages du moment (ils uti­lisent tou­jours le for­mat PDF…). Cer­tains, comme SFR Presse, ont essayé de moder­ni­ser leur offre. Mais cela reste dif­fi­cile compte tenu de la rigi­di­té du groupe et du lec­to­rat habi­tué à l’ancien mode de consul­ta­tion. Fina­le­ment, la concur­rence la plus rude pour­rait éma­ner des GAFA, qui visent de plus en plus à inté­grer le conte­nu au sein de leur plate-forme. Déjà deux faits mar­quants illus­trent cette ten­dance : le lan­ce­ment aux États-Unis d’Apple News +, ver­sion Pre­mium d’Apple News, et Face­book News, un fil d’actualité « de qua­li­té » conçu avec des médias pro­fes­sion­nels pour endi­guer les fake news.

Quelles sont les étapes clefs depuis la création ? 

Avant la créa­tion de Press­mium, nous avons par­ti­ci­pé à des évé­ne­ments pour chal­len­ger notre idée. Le pro­jet sem­blait avoir un cer­tain reten­tis­se­ment, ce qui nous a convain­cus de nous y mettre à plein temps dès jan­vier 2019. Par la suite, nous avons ren­con­tré les édi­teurs avant même d’avoir un pro­duit fini, pour pré­sen­ter notre idée. Glo­ba­le­ment, nous avons été bien reçus et cela nous a per­mis de décro­cher nos pre­miers par­te­naires médias. Le pro­jet a ensuite conti­nué sa route : déve­lop­pe­ment du pro­duit, lan­ce­ment offi­ciel le 24 octobre 2019, pre­miers abon­nés. Nous sommes actuel­le­ment dans une phase de recherche de fonds pour accé­lé­rer le déve­lop­pe­ment com­mer­cial et décro­cher de nou­veaux par­te­naires médias. 

Quel parallèle faites-vous entre le secteur de la musique et celui de la presse ? 

Le sec­teur de la presse connaît les mêmes tour­ments que celui de la musique il y vingt ans. La musique a connu un âge d’or avec les CD. Cepen­dant le pro­grès d’internet, le pira­tage et le télé­char­ge­ment illé­gal ont mis à mal cette indus­trie, qui a cher­ché à diver­si­fier ses sources de reve­nus en misant davan­tage sur les évé­ne­ments et les concerts. L’arrivée des plates-formes de strea­ming à l’instar de Spo­ti­fy ou Dee­zer a été sal­va­trice pour les majors. Ces der­niers ont intro­duit un mode de consom­ma­tion qui répon­dait aux attentes des uti­li­sa­teurs : un accès simple et illi­mi­té à toute la musique. Dès lors, le client de Spo­ti­fy ou Dee­zer a pré­fé­ré payer pour un ser­vice qui faci­li­tait leur accès à la musique, plu­tôt que de télé­char­ger gra­tui­te­ment. La presse suit l’évolution de l’industrie musi­cale : fin de l’âge d’or du jour­nal papier, une tran­si­tion numé­rique ratée et un lec­teur habi­tué à l’information gra­tuite. Dans cette dyna­mique, un Spo­ti­fy des médias doit et va émer­ger dans les années à venir. C’est cet acteur que nous vou­lons être !

“ Il n’est pas contradictoire
de prendre du plaisir à lire un journal papier
et de s’informer sur Pressmium !”

En quoi la technologie était-elle facteur de succès dans un tel projet ? 

La valeur d’un pro­duit comme Spo­ti­fy ne réside pas seule­ment dans l’accès au conte­nu, mais aus­si dans le ser­vice offert à l’utilisateur : play­lists per­son­na­li­sées, flow de lec­ture, recom­man­da­tion de titres, écoute hors ligne… La tech­no­lo­gie est un fac­teur dif­fé­ren­ciant qui contri­bue à par­faire l’expérience uti­li­sa­teur. Dans le sec­teur de la presse et de l’information, ce fac­teur est d’autant plus impor­tant que les pos­si­bi­li­tés d’innovation sont mul­tiples et que la plu­part des acteurs ont un retard tech­no­lo­gique assez impor­tant. L’innovation de ser­vice sur laquelle nous tra­vaillons a pour prin­ci­pal objec­tif d’amener le lec­teur à mieux appré­hen­der et com­prendre l’actualité qui l’entoure. Et cette inno­va­tion nous per­met de rompre avec les acteurs tra­di­tion­nels de l’info en repen­sant notre mode de consultation. 

Comment réagissent les groupes de presse à votre offre ? 

Au début de l’aventure, nous avons eu la chance de ren­con­trer la plu­part des acteurs du mar­ché. Dans l’ensemble, notre pro­jet a été bien accueilli. Compte tenu de la crise actuelle du sec­teur de la presse, les édi­teurs sont conscients qu’une ini­tia­tive de mutua­li­sa­tion comme la nôtre pour­rait ouvrir une voie vers de nou­velles sources de reve­nus. En revanche, une inquié­tude demeure : la can­ni­ba­li­sa­tion de leur offre. Les édi­teurs les plus réti­cents craignent que Press­mium n’aspire leurs abon­nés sans pour autant être aus­si rému­né­ra­teur. C’est peut-être un risque à court terme, mais ce risque est tran­si­toire. En effet, l’offre de chaque média ne répond plus à la demande. Aujourd’hui, la majo­ri­té des lec­teurs sou­haite avoir accès à des sources variées d’information et consulte l’actualité de manière trans­ver­sale. Ces lec­teurs réti­cents à s’abonner à un média sont le cœur de cible de Press­mium. Le mar­ché visé est ain­si beau­coup plus vaste que le cumul des abon­nés actuels de chaque édi­teur. En outre, une solu­tion mutua­li­sée per­met de réa­li­ser des éco­no­mies d’échelle sur les coûts mar­ke­ting et le déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique. Enfin, l’arrivée des GAFA sur ce seg­ment du mar­ché est vue d’un très mau­vais œil par cer­tains édi­teurs, qui pré­fèrent donc sou­te­nir une solu­tion mai­son comme la nôtre. 

Pensez-vous à l’international ?

Bien sûr ! Nous avons pour voca­tion de créer une plate-forme euro­péenne. Nous inté­grons déjà des médias étran­gers comme The Guar­dian et nous sommes en dis­cus­sion avec des par­te­naires ita­liens, espa­gnols, alle­mands et suisses. Notre plate-forme s’exporte faci­le­ment à l’étranger, moyen­nant une tra­duc­tion dans plu­sieurs langues cibles. 

Le journal papier ne semble pas vouloir disparaître. Pressmium y contribuera-t-il ? 

Tout est une ques­tion d’usage. Le jour­nal papier s’adresse au lec­teur qui appré­cie une expé­rience phy­sique et linéaire de consul­ta­tion, Press­mium répond au besoin du mil­len­nial adepte du numé­rique et dési­reux de consul­ter une infor­ma­tion trans­ver­sale. Tant qu’il exis­te­ra des lec­teurs qui pré­fè­re­ront le papier au numé­rique, le jour­nal cir­cu­le­ra. Et il n’est pas contra­dic­toire de prendre du plai­sir à lire un papier et de s’informer sur Pressmium ! 

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