Prévenir le décrochage scolaire
Si, à dix-huit ans, lors de mon entrée à l’X, vous m’aviez demandé ce qui, à mes yeux, constituait la clé de ma réussite, je vous aurais répondu sans hésiter : « J’ai la chance d’être intelligent et j’ai bien travaillé ! » Nicolas, dix ans, que j’accompagnais sur le plan scolaire dans le cadre des activités sociales de la Kès, me fit découvrir qu’il en était tout autrement.
“ Ne pas avoir la tête bien pleine, mais être capable d’y faire le vide pour pouvoir apprendre ”
Si j’ai bien réussi, c’est parce qu’à son âge, lorsque mon père me déposait à l’école le matin, je savais qu’à la sortie ma mère m’attendrait pour le goûter et que mon père ne tarderait pas à rentrer du travail le soir.
Complètement rassuré de ce côté-là, je pouvais concentrer toute mon attention aux contenus de l’enseignement dispensé par mes maîtres.
REPÈRES
Notre institution scolaire, pourtant l’une des plus coûteuses au monde en termes de pourcentage du PIB consacré à l’éducation, ne sait pas faire face au problême du lien existant entre réussite scolaire et appartenance à une classe sociale. Sur les 750 000 jeunes qui sortent chaque année, 150 000 quittent l’école, pourtant obligatoire jusqu’à 16 ans, sans aucune qualification, dont plus de 70 000 ne maîtrisent pas les apprentissages fondamentaux, et ils appartiennent pour la très grande majorité aux classes sociales les plus défavorisées.
Et pourtant, trente années de présence dans les quartiers sensibles ont fait découvrir que la proportion de génies scientifiques était la même qu’ailleurs.
Être rassuré pour pouvoir se concentrer
Lorsque Nicolas partait à l’école, son père, qui avait déjà bu, avait giflé sa mère et menacé son petit frère qui hurlait. Toute la journée, il se demandait : « Dans quel état vais-je les retrouver ce soir ? »
Rejoindre l’enfant dans le cadre de l’accompagnement éducatif.
Aussi intelligent que je l’étais à son âge, animé de la même volonté de bien travailler, il était incapable de se concentrer en classe tant sa situation familiale le préoccupait.
Je découvrais, grâce à lui, que pour réussir à l’école il ne fallait pas avoir la tête bien pleine, mais être capable de faire le vide dans sa tête pour pouvoir apprendre.
Et il faudrait ajouter un mot sur ses copains qui, en échec comme lui, au lieu de l’encourager, ne cessaient de lui dire qu’il y avait des choses bien plus intéressantes à faire à son âge que le travail scolaire.
Une approche globale qui porte ses fruits
Vouloir prévenir de manière efficace le décrochage scolaire nécessite d’intervenir auprès de l’enfant, à l’école, mais aussi dans sa famille, si souvent sujet de préoccupation pour lui, et dans la cité, auprès de ses copains. Seule cette approche globale peut permettre à l’enfant de réinvestir le champ de sa scolarité.
Telle est l’approche développée par le Valdocco, association de prévention que j’ai fondée en 1995 sur la dalle d’Argenteuil, un quartier qui avait été traumatisé par la violence des émeutes urbaines du début des années 1990, association également implantée aujourd’hui sur le Grand Lyon (en particulier à Vaulx-en- Velin), à Lille et à Nice.
Il s’agit de rejoindre l’enfant, l’adolescent, au milieu de ses copains grâce à des animations de rue ; avec ses camarades de classe dans le cadre de l’accompagnement éducatif et scolaire ; et dans sa famille grâce à notre service de médiation familiale. Et une telle approche globale porte ses fruits.
L’association fête cette année ses vingt ans, et je me réjouis de la collaboration avec l’École polytechnique qui, chaque année depuis l’origine, envoie cinq jeunes camarades y effectuer leur service civil.
Seule une approche globale permet à l’enfant de réinvestir sa scolarité.