Prévenir les incendies dans les sites isolés Éléments de méthodologie
L’incendie de la cathédrale Notre-Dame est l’occasion de rappeler quelques notions de prévention appliquées à la détection d’événements rares dans des lieux non fréquentés.
À la demande de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, nous avons réalisé, il y a quelques années, un audit du réseau Téléray : constitué d’environ 400 balises réparties sur tout le territoire, il mesure la radioactivité dans l’environnement et alerte en cas de dépassement d’un seuil.
L’analyse a montré qu’un tel réseau ne pouvait fonctionner correctement : la plupart du temps, il n’y a rien à mesurer ; de ce fait, les balises tombent en panne ou, ce qui est pire, émettent de fausses alertes, qui obligent à des vérifications sur place et conduisent à une baisse de vigilance, y compris dans la vérification des balises elles-mêmes (tout le monde est convaincu qu’il s’agit d’une fausse alarme). Notre conclusion a été : il vaut mieux remplacer les balises par un réseau mobile, que l’on déploiera en cas d’alerte. En effet, la surveillance de la radioactivité n’est utile que si, quelque part, un accident nucléaire s’est produit et un tel accident est toujours immédiatement détecté. La probabilité est très faible, et des moyens mobiles appropriés auront tout le temps nécessaire pour être déployés.
Que faudrait-il faire à Notre-Dame ?
Ces réflexions, pour théoriques qu’elles soient, peuvent nous guider pour définir des moyens d’alerte en cas d’incendie dans une zone habituellement non fréquentée, comme on l’a vu récemment avec les combles de Notre-Dame. Ces mêmes réflexions peuvent également nous permettre d’éliminer certaines propositions qui ont été faites, parce qu’elles ne prennent pas suffisamment en compte les dysfonctionnements éventuels des capteurs.
Dans un tel cas, on ne peut imaginer une surveillance permanente par des êtres humains sur place, tout simplement parce qu’il n’y a rien à voir. On peut imaginer un système de surveillance par caméras, relié à un P.C. Central, mais on retombe sur les mêmes difficultés : il faudra beaucoup de caméras et il faudra la vigilance d’un être humain qui regardera les caméras. Le point favorable, pour un tel système, est que l’on sait si les caméras fonctionnent ou non.
Le système passif le plus répandu pour la lutte contre l’incendie est constitué de sprinklers : ce sont des buses alimentées en eau de manière permanente ; une élévation de température se traduit automatiquement par un jet d’eau. Mais le système peut s’engorger et être soumis à la poussière ; il faut le vérifier au moins deux fois par an. Et, quelle qu’en soit l’architecture, un réseau fixe est coûteux et fragile.
“Faire l’analyse des situations où le danger est réel,
et y apporter une réponse appropriée”
Un réseau mobile
Reprenons donc le raisonnement que nous tenions à propos de Téléray : il nous faut un réseau mobile,
c’est-à-dire non permanent. En quoi pourrait-il consister ? La réponse est simple : la charpente d’une église ne s’enflamme pas spontanément ; elle ne le fait que si un élément déclencheur se produit, par exemple une négligence lors de travaux ou bien si l’installation électrique a été abîmée par des chocs ou des vibrations. Il n’est donc pas utile de surveiller une telle zone en permanence ; il faut le faire uniquement si des événements spécifiques sont en cours.
La définition de notre « réseau mobile » devient alors très claire : il s’agirait d’un ensemble de caméras, détecteurs de fumée, capteurs divers, que l’on installerait sur des supports spéciaux, temporairement, pendant les travaux et (par exemple) pendant les deux semaines qui suivent leur achèvement. Après quoi, on les retire et on les réutilise ailleurs.
La fiabilité des équipements sera très bonne, parce que ce seront des équipements dédiés, vérifiés à chaque utilisation. L’alerte serait immédiate. Le coût d’un tel réseau mobile est très faible ; on peut admettre qu’il soit laissé à la charge des entreprises qui effectuent les travaux. Par contre, un point très important est que le réseau devrait être vérifié, après installation, par un inspecteur indépendant.
Pour plus de fiabilité, il faudrait plusieurs réseaux distincts, fonctionnant selon des principes différents, chacun couvrant l’ensemble de la zone (et non pas un pour l’est, un pour l’ouest, etc.). On pourrait par exemple avoir un réseau de caméras, un réseau de détecteurs de fumée, etc., distincts les uns des autres. Chaque réseau permet ainsi de valider ce que disent les autres et d’éliminer les fausses alarmes, toujours à craindre. C’est un principe d’indépendance, appliqué aux réseaux.
Pour un traitement raisonné du risque
On a tendance à accommoder le principe de précaution à toutes les sauces ; on voit des dangers partout et on réclame des remèdes, sans se soucier suffisamment de la probabilité ni du coût, ni même des inconvénients possibles : le remède peut être pire que le mal. L’approche préconisée ici, à partir de réseaux mobiles et temporaires, permet au contraire de faire l’analyse des situations où le danger est réel, et d’y apporter une réponse appropriée, avec une bien meilleure efficacité et un coût moindre. Mais, bien entendu, certains réseaux ont vocation à fonctionner de manière permanente : la détection des incendies dans un lieu qui y est en permanence exposé (une usine, un sous-marin, etc.), la surveillance anti-intrusion dans une centrale, la détection du grisou dans les mines, etc. Cette dernière situation est particulièrement significative, parce qu’un tel réseau est absolument critique : il doit pouvoir fonctionner partout et tout le temps, et il ne doit pas pouvoir être mis en panne, par qui que ce soit et pour quelque raison que ce soit.
En 2007, une explosion de grisou s’est produite dans la mine de Zasyadko, en Ukraine. Plus de 100 mineurs ont été tués. Nous avons été consultés par les autorités locales : peut-on améliorer l’efficacité du réseau de surveillance ? Notre réponse a été que chaque capteur doit être suivi en permanence, à partir d’une comparaison avec ses voisins. Il faut donc un réseau très dense. Une fois ce réseau conçu, il faut le doubler, et le doubler encore. À 1 000 m sous terre, ce n’est pas le lieu pour une optimisation mathématique !
Dans le cas où le danger est lié à des circonstances spécifiques, l’avantage du système temporaire et mobile est ainsi triple : un tel système est plus spécifique, coûte moins cher (aussi bien en installation qu’en entretien) et allège le cahier des charges des systèmes fixes, ce qui en accroît la robustesse et en simplifie la manutention.
Article écrit avec la collaboration des membres du conseil scientifique du projet « dysfonctionnements d’équipements » : Michel Bénézit (74), ancien membre du comité exécutif de Total ; Giovanni Bruna, ancien directeur scientifique de l’IRSN ; Dominique Maillard (68), ancien directeur général de l’Énergie et ancien président du directoire de RTE.