Problèmes éducatifs : Copernic et Képler…
Dans l’éditorial du numéro de mars de la revue consacré aux problèmes de l’École, Philippe Claus, inspecteur général (Éducation nationale), coordonnateur du dossier, signe le porte-à-faux constant des réflexions sur le sujet : “(…) ce ne sont pas les questions de structures qui nous ont mobilisés. ” De profundis…
Car tout est là. Les structures de l’école sont inadaptées aux missions nouvelles dont elle commence à prendre conscience dans des conditions assez encourageantes de convergence des avis et qui se résument à ceci, énoncé par tous les intervenants : Définir pour tous une solide formation commune (notion de socle) – Permettre à chacun d’aller au-delà, au bout de sa formation personnelle, dans le respect de ses rythmes, de ses aptitudes, de ses goûts.
Claude Lelièvre y voit une “ révolution copernicienne ”. Va pour Copernic. Mais rappelons les faits.
Le système de Ptolémée (vers 140 ap. J.-C.) est géocentrique. Le Soleil, la Lune, les planètes se déplacent autour de la Terre. Les seuls mouvements “grecs ” étant circulaires et uniformes, la complication des mouvements dont il faut rendre compte induit une superposition emboîtée de cercles dont les centres décrivent des cercles…, épicycles, déférents, excentriques… Usine à gaz, mais résultats assez corrects.
Vient Nicolas Copernic (1473- 1543). Son traité sur les “orbes célestes” est de 1531 (publié en 1543). Le Soleil et les étoiles sont désormais immobiles. La Terre tourne sur elle-même. La Terre et les planètes tournent autour du Soleil. Du géocentrisme à l’héliocentrisme : voilà la révolution.
MAIS… Copernic conserve le principe pythagoricien des mouvements circulaires uniformes, les épicycles, les excentriques, les déférents de Ptolémée, et il passera sa vie à dresser des tables pour établir l’équipage de cercles propre à chaque planète : voilà l’erreur.
Nous en sommes là. La nécessité d’ouvrir les parcours éducatifs à la double exigence de la construction d’un socle commun et du pilotage diversifié de formations réellement individuelles est acceptée par tous : Révolution. Mais on maintient ces objectifs dans les structures héritées d’une tout autre philosophie éducative : blocage garanti, et échec.
1609. La planète Mars a désobéi à Copernic et Kepler, qui l’a vu, énonce l’abandon des cercles : “ Chaque planète décrit une ellipse dont le Soleil occupe un des foyers. ” Il achèvera sa modélisation en 1618 : l’héliocentrisme est opérationnel.
De même l’école : après Copernic, elle attend Kepler !… Qui n’est pas dans la revue !… Je recite Philippe Claus : “ (…) ce ne sont pas les questions de structures qui nous ont mobilisés. ” Et je répète : De profundis… À moins que…
Car il y a des pistes, structurelles (et de fonctionnement), possibles
1. Création d’établissements dédiés à la scolarité obligatoire : fusion de l’élémentaire et du collège. Enseignement sans solution de continuité sur tout le parcours.
2. Création d’un corps unique de professeurs pour la scolarité obligatoire (Capes généraliste), responsables de la formation de socle commun.
3. Hors “ socle commun ”, reconfiguration de l’ensemble des champs disciplinaires et des acquis scolaires envisageables en unités de valeur validables correspondant à des modules d’enseignement courts (3 à 6 semaines – 20 à 40 heures). UV cumulables.
4. Principe de formation “par classe d’âge” pour le socle commun ; groupes hétérogènes en niveau ; professeur généraliste-référent.
5. Principe de formation “par individu ” hors socle commun : unités de valeur ; choix propre ; rythme propre ; groupes de niveau, homogènes, sans critère d’âge ; professeurs spécialistes.
6. Prolongement postscolarité obligatoire (lycées) du “ socle commun ” en “ formation générale ” par classes d’âge (hétérogènes). Professeur référent : création d’une agrégation “ Généraliste ” (année supplémentaire d’études après Capes de spécialité).
7. Extension au lycée du principe d’une formation individualisée par unités de valeur cumulables.
8. Sauf agrégation “ Généraliste ” (cf. 6), simplification du corps enseignant par recrutement de spécialistes disciplinaires au seul niveau du Capes (à exigence revisitée).
9. Les spécialistes disciplinaires interviennent dans les unités de valeur, en scolarité obligatoire et en lycée. Les professeurs référents des classes d’âge, en scolarité obligatoire et en lycée, assurent le suivi des parcours individuels par unités de valeur, en coordination-cohérence avec les enseignants de ces unités,
10. La scolarité obligatoire se termine par un examen unique de validation du socle commun identique pour tous. Cet examen (national) inclut (voire consiste en) un entretien devant jury au cours duquel le candidat présente sa scolarité, son profil de réussite (UV cumulées-validées), son projet.
Remarque : les prolongements de scolarité comme les entrées dans la vie active se déterminent sur profils individuels acquis via les UV cumulées, les organismes d’accueil définissant leurs exigences à ce niveau.
11. Unification du cadre de fonctionnement. Les établissements scolaires sont des EPLE (Établissements publics locaux d’enseignement) de deux types : scolarité obligatoire – lycées. Un lycée peut, par son offre d’UV, avoir des dominantes, mais il n’y a qu’un type de lycée. Fin du distinguo lycée professionnel, lycée technique, lycée d’enseignement général.
12. Le chef d’établissement est élu au sein du corps enseignant par ses pairs (comme tête de liste de l’équipe d’animation-direction qu’il a constituée), sur un programme-projet d’établissement à trois ans. Mandat reconductible par réélection. Il est secondé par un adjoint, recruté sur concours et nommé par le ministère pour continuité administrative du fonctionnement. L’encadrement CPE (Conseillers principaux d’éducation) pilotant des équipes d’aides-éducateurs est inchangé.
13. Reconditionnement des établissements pour permettre aux enseignants d’exercer pleinement leurs missions dans le cadre d’une redéfinition de leur service qui implique désormais leur présence à temps plein sur place. Nécessité de bureaux et d’équipements bureautiques. Les traitements sont significativement réévalués mais “ forfaitaires ”, exclusifs du paiement d’heures supplémentaires, d’heures de suppléance, etc., toutes notions qui disparaissent. Répartition locale des charges entre les membres de l’équipe éducative, selon les besoins et les urgences.
14. Autonomie complète des établissements dans le cadre de l’application du projet-programme “de campagne ” du chef d’établissement élu : définition des services, répartition des responsabilités, gestion des moyens affectés, mise en place des programmes, objectifs pédagogiques. La compatibilité des projets-programmes avec les objectifs nationaux de formation (contenus du socle commun, de la formation générale, du panel des UV offertes) est contrôlée en amont dans un esprit d’ouverture et d’encouragement à l’initiative sous la responsabilité des recteurs et des DSDE (Directeurs des services départementaux de l’éducation). Évaluation a posteriori, en fin de mandat électif. L’enveloppe minimale des moyens affectés est définie par le nombre d’élèves de l’établissement. Les équipes de direction élues peuvent, fortes de leur projet, négocier des moyens complémentaires auprès des collectivités locales et sont autorisées – sous réserve d’un contrôle de conformité avec la déontologie du service public (Recteurs et DSDE) – à dégager des ressources propres.
15. Réorganisation-refonte des structures d’encadrement (recrutement, formation) : corps d’inspection (redéfinition des missions), DSDE, recteurs. Réseaux de formateurs, hors hiérarchie, pilotés par les corps d’inspection, pour circulation interétablissements de l’information pédagogique et formation continue, au plus près du terrain, des personnels. Réexamen des formations IUFM en fonction des perspectives dessinées.
16. Agrégations disciplinaires (concours externe) maintenues uniquement pour l’enseignement de type premier cycle universitaire et classes préparatoires. Agrégation interne maintenue pour accès aux fonctions d’inspection ou de DSDE.
Seize points, donc. Kepler ? Non. Et l’époque n’est plus aux modélisations octroyées. Simple base de travail pour remise à plat du système éducatif et reconstruction en adéquation avec les problèmes pendants. Évidemment, ça n’est pas très “ fun ” comme discours, mais c’est indispensable et cela manque aux analyses lues, pertinentes dans le constat, judicieuses dans le projet “socle commun – parcours diversifiés”, et puis muettes sur les vraies conditions d’application.
Le numéro de mars de la revue ? Soit, mais ensuite ? Le maçon, au pied du mur, doit se décider à commencer… non ?