Projet Zorrino 2005 Communauté d’Ajospamba, Équateur
Contexte local
Contexte local
Décrivons avant tout la communauté rurale d’Ajospamba, au sein de laquelle le projet a été réalisé. Il s’agit d’un petit village à 3 500 mètres d’altitude. Les habitants sont tous des Indiens quichuas, les personnes les plus âgées parlant encore le quichua entre elles, alors que l’usage de cette langue se perd chez les plus jeunes. L’espagnol est maîtrisé par tous les habitants. On peut compter environ 40 familles, ce qui permet d’estimer la population à environ 300 personnes au total. La plupart des familles disposent d’eau courante, et parfois d’électricité. Tous les enfants (garçons et filles) vont à l’école jusqu’à l’âge de 13 ans. Cependant, seuls quelques adolescents continuent les études après cet âge. Les autres reviennent travailler dans la communauté. 30% à 40 % des adultes sont analphabètes. La principale activité du village est l’agriculture. Les Indiens cultivent des pommes de terre, de l’orge, des fèves, et élèvent quelques animaux de ferme pour obtenir du lait, des œufs et un peu de viande. Certains hommes vont travailler à la ville (Riobamba ou Guayaquil) pendant la quasi-totalité de l’année.
L’ambiance dans le village ne peut pas se comprendre sans faire une brève référence au contexte politique équatorien. Voici notamment quatre faits majeurs plus ou moins récents ayant beaucoup marqué les esprits. Citons tout d’abord une grande instabilité politique, les présidents ne restant en général pas plus de six mois à leur poste. Deuxième élément important : les Indiens ont acquis dans les deux dernières décennies une existence politique certaine, notamment au travers de mouvements de protestations ou de partis politiques comme “ Pachakutik ”. L’ancienne génération se souvient encore de l’époque des haciendas (grandes propriétés, tenues le plus souvent par un Blanc, qui fait travailler les Indiens en leur fournissant de quoi manger, mais sans donner de salaire). Enfin, la dollarisation est ressentie comme l’événement économique le plus important de ces dernières années, ayant considérablement diminué le pouvoir d’achat, qui est actuellement l’un des plus faibles d’Amérique latine.
Le CEAS (Centro de Estudio y Acción Social), notre partenaire local
Le CEAS est une ONG fondée en 1960 par Monseigneur Leonidas Proaño, évêque de la province du Chimborazo, dans le but de “travailler à la valorisation de la dignité humaine et de contribuer au développement socioéconomique de la province du Chimborazo ”. Son action est naturellement tournée en faveur des plus démunis, c’est-à-dire les communautés indiennes. L’organisme mène ainsi des projets agricoles (création de coopératives, de banques de semences), d’adduction d’eau et d’implantation de sanitaires, de reforestation et a créé une école textile artisanale.
Le déchargement des arbres.
Les Andes équatoriennes ont été le lieu d’une déforestation intense depuis un siècle, ce qui pose aujourd’hui de nombreux problèmes environnementaux et explique la nécessité croissante de ce type de projets. En effet, les hautes terres, essentiellement habitées par des Indiens et donc vouées à l’agriculture, subissent aujourd’hui une forte érosion due au vent et aux pluies diluviennes, causant de nombreux glissements de terrain. La terre s’est appauvrie en matières organiques normalement apportées par les feuilles des arbres. La perte de superficie des forêts a diminué l’évaporation et l’humidité de l’air, ce qui affecte directement la terre mais aussi le climat d’une manière générale qui ne permet plus un renouvellement des nappes phréatiques, assèche lacs et rivières et entraîne une baisse substantielle des récoltes. Enfin, le bois est dans ces régions l’unique source de chauffage et sert à la cuisine et aux constructions.
Pour ses projets de reforestation, l’ONG possède une pépinière (vivero) dans laquelle nous avons travaillé trois jours avant de rejoindre notre communauté, qui est aussi un centre de formation pour les habitants de la région (centro de capacitación). Nous y avons découvert l’action générale du CEAS et plus particulièrement tout le travail qui précède la phase de plantation à laquelle nous allions participer. C’est ainsi que nous avons pendant deux jours repiqué des arbustes en compagnie des ouvriers de la pépinière.
Dans cette pépinière, les différentes espèces que nous allions planter à Ajospamba (pins, eucalyptus, cyprès, lupins et d’autres plantes plus exotiques telles que le taxo, l’agual ou le quishua) sont semées puis cultivées jusqu’à pouvoir être replantées dans des terrains plus sauvages, ce qui prend entre cinq et neuf mois suivant les espèces.
Cette structure, outre le fait de préparer des arbres à relativement bas prix pour les projets de reforestation du CEAS menés par le CEAS, permet d’employer une douzaine d’ouvriers à temps plein.
Un autre point important de l’action du CEAS est, à nos yeux, son implantation très forte dans la région : ses membres sont tous originaires de la province du Chimborazo ; le CEAS se caractérise par sa bonne connaissance des communautés, avec lesquelles ils travaillent de manière suivie et régulière sur différentes problématiques, reforestation et gestion de l’eau notamment.
Le projet Ajospamba 2005
Le projet de reforestation en lui-même, pour lequel nous étions présents directement dans la communauté d’Ajospamba, s’est étalé sur une période de trois semaines.
La préparation de ce projet s’est cependant étalée sur six mois avant notre arrivée à Ajospamba fin juillet 2005.
De notre côté, en France, nous nous occupions, au sein de l’Association Zorrino, de la recherche d’une partie des fonds et de l’assurance du projet pour les membres de Zorrino.
D’un autre côté, le CEAS s’est occupé de la préparation concrète du projet au niveau local, analysant les demandes de différentes communautés. Une fois la communauté bénéficiaire choisie, le travail de l’ONG équatorienne d’éducation de la population d’Ajospamba, de formation à la plantation (comment planter ? où planter ? comment prendre soin des plantes ?) et de sensibilisation aux problèmes écologiques auprès des Indiens s’est effectué en concertation avec la présidence de la communauté. Le CEAS s’est également chargé de la préparation des plants destinés à la reforestation, qui ont été choisis pour s’adapter le mieux aux besoins de la communauté, à l’altitude et au terrain.
À notre arrivée, un des rôles essentiels du CEAS a été de réellement faire démarrer le projet, à la fois en tentant d’organiser la plantation avec la communauté et en lançant une dynamique d’échanges entre les étrangers que nous étions et la population locale. Il faut noter que le CEAS est une ONG habituée à recevoir pour ses projets des groupes d’étrangers, ayant plusieurs partenariats avec des ONG occidentales (belges et françaises notamment).
Tout au long de notre séjour à Ajospamba, trois membres du CEAS se sont occupés d’acheminer progressivement en camion les 20 000 arbres destinés à être plantés.
Le travail en minga
C’est à travers les mingas, travaux communautaires décidés par le président de la communauté en concertation avec celle-ci, que nous avons commencé à travailler avec les habitants d’Ajospamba. Les premiers jours ont en effet été consacrés à planter des arbres dans des terrains communaux pour y créer des bosquets, ou le long des routes. Aujourd’hui, une minga regroupe rarement l’ensemble de la communauté, les hommes travaillant bien souvent dans les villes voisines. Nous travaillions donc avec une trentaine de personnes, essentiellement des personnes âgées, des femmes et des enfants, ce qui était suffisant pour réaliser le travail prévu.
Le président a ensuite réparti les plantes entre toutes les familles de la communauté et nous travaillions chaque jour avec une famille, souvent différente, pour planter les arbustes autour de ses champs. Nous étions alors seuls ou par deux, ce qui a facilité les échanges et a permis l’établissement de solides relations avec une grande partie de la communauté.
La famille nous fournissait les outils pour travailler : pioche, machette ou un pico, sorte de houe lorraine pour travailler la terre. Nous creusions dans des terrains plus ou moins difficiles et toujours à forte dénivellation des trous d’environ 50 x 50 x 50 cm, espacés de 2 à 4 m, autour d’un champ le plus souvent, afin de réduire l’érosion, de retenir la terre et de couper le vent.
Nous y plantions ensuite les arbustes mesurant entre 30 et 80 cm suivant l’espèce, en les sélectionnant suivant la qualité de la terre et la physionomie du terrain, toutes les pousses n’étant pas aussi robustes. Enfin, il restait à arroser les plantes fraîchement mises en terre, ce qui impliquait de nombreux allers retours avec des bidons d’eau dans des pentes difficiles. Nous travaillions en général trois heures le matin, prenions nos déjeuners en commun avec la famille ou la communauté et trois heures l’après-midi.
La plantation des arbres..
La communauté a planté les 20 000 arbres en trois semaines, ce qui nous a permis durant la quatrième d’aider les familles dans leur travail agricole quotidien. Nous avons ainsi récolté un champ de céréales puis labouré des champs pour y planter patates et fèves.
Trois membres du CEAS étaient présents deux jours par semaine pour veiller à la bonne marche du projet.
Notre intégration dans la communauté
Un des principes du projet auquel nous avons participé était le respect du mode de vie des Indiens.
C’est ainsi que nous avons partagé leur forme de travail, en participant au travail en minga, mais aussi de manière plus générale la vie de la communauté : nous avons effectué différents types de travaux agricoles dans les familles, partagé nos repas avec les Indiens, dormi dans des locaux de la communauté et participé aux différentes réunions et fêtes de la communauté.
Ainsi, la communauté n’a pas eu à payer directement pour le projet, mais y a contribué matériellement et financièrement en permettant notre intégration, en nous fournissant repas du midi, logement et en prenant également en charge l’organisation d’une fête pour toute la communauté à l’occasion de notre départ.
Le rôle des différents acteurs du projet : la communauté, le CEAS et nous-mêmes
Les différents acteurs du projet, dont nous avons constitué une partie, ont eu des rôles assez différents aussi bien lors de la préparation que de la réalisation à proprement parler du projet de reforestation. La motivation pour amener le projet à son terme était cependant grande chez chacun d’eux. Notre premier rôle a évidemment été financier, puisque les fonds que nous avons récoltés en France ont permis de payer environ 60 % du coût total du projet, y compris l’achat des 20 000 arbres destinés à la plantation. Sur place, à Ajospamba, notre présence, à cause de son caractère exceptionnel, a permis d’apporter une certaine dynamique dans la communauté, qui s’est en grande partie mobilisée autour du projet. Un point important a été également l’aide opérationnelle et la main‑d’œuvre supplémentaire que nous avons constituée.
Le travail agricole avec les Indiens quechuas.
Nous avons pu aussi parfois jouer un rôle d’observateur du déroulement du projet, en relayant certaines informations auprès du CEAS qui nous semblait plus à même de réagir à certains problèmes.
Il est à préciser que nous ne sommes jamais intervenus de manière directive dans le quotidien ou les problèmes de la communauté.
Au jour le jour, les opérations, suivant qu’elles étaient effectuées en minga ou au sein de familles, étaient dirigées par le président de la communauté ou le chef de famille. Quant au CEAS, c’est cet acteur du projet qui s’est occupé de toute la préparation au niveau local du projet, ainsi que d’aider les membres de la communauté à s’organiser au mieux pour la plantation des plantes et notre accueil.
Le CEAS a également joué un rôle important de médiateur auprès de la communauté. Ses membres sont en effet beaucoup mieux placés que nous Occidentaux pour faire remarquer certains problèmes à la communauté (sécheresse des plants par exemple), de par leur connaissance des cultures et populations de la région, et aussi de par leur connaissance approfondie des problèmes liés à la reforestation, maîtrisée par des ingénieurs spécialisés et fruit d’une expérience de quarante-cinq ans dans le domaine.
Difficultés rencontrées
La première difficulté que nous avons rencontrée lors de la réalisation du projet est liée aux conditions climatiques. Nous étions en effet à Ajospamba à la saison sèche ; les sols étaient donc très desséchés, ce qui d’une part rendait la plantation plus difficile, et d’autre part pouvait compromettre les chances de survie des plants.
Un effort supplémentaire a dû être demandé à la communauté, dans le soin des plants avant et après plantation.
Une autre difficulté, que nous avons surtout rencontrée au début de la réalisation du projet, était l’organisation pas toujours parfaite du travail en minga : ainsi au début nous ne disposions pas de suffisamment d’outils pour planter, ou un retard a été constaté dans le partage des plantes entre les différentes familles.
Ce manque d’organisation nous a semblé parfois lié à un manque de communication – à titre d’exemple, nous partions parfois planter à certains endroits qui avaient déjà été reforestés la veille – ou à un manque de planification du travail, malgré le suivi effectué par le CEAS deux fois par semaine.
Nous nous sommes interrogés sur les raisons de ce manque d’organisation et de planification, mais nous ne pouvons, faute de mieux connaître la communauté, que faire des suppositions : était-ce lié à la personnalité du président de la communauté (qui avait sans doute changé depuis le début de la préparation du projet)? à la taille relativement importante de la communauté (300 personnes) qui aurait eu pour conséquence un investissement moindre des différents habitants ?
Un autre point que nous tenons à évoquer est la composition des équipes de travail. Dans ces communautés, beaucoup d’hommes ne travaillent pas en effet sur les territoires de la communauté mais dans les villes et villages voisins ; les équipes de travail étaient donc en particulier composées de femmes, de personnes âgées et d’enfants d’une dizaine d’années.
Cela nous a quelque peu surpris à notre arrivée à Ajospamba, mais il ne faut pas oublier que ces jeunes étaient à ce moment en vacances scolaires, et auraient donc sans aucun doute travaillé dans les champs de leur famille si le travail en minga de reforestation n’avait pas existé.
Conclusion
Ce stage a constitué pour chacun de nous une expérience très forte et nous a permis d’établir des liens étroits aussi bien avec la communauté d’Ajospamba qu’avec le CEAS, l’ONG équatorienne porteuse du projet.
À nos yeux, ce stage a répondu de manière très complète aux critères exigés par la Direction de la Formation humaine et militaire de l’École polytechnique. En outre, nous ne saurions que conseiller ce type de stage ouvrier à caractère humanitaire aux élèves des promotions qui nous suivent : de tels stages nous apparaissent d’une richesse humaine extraordinaire. Cela ne peut que contribuer de manière positive au développement personnel et équilibré de chacun et nous semble donc constituer un atout pour l’avenir de chaque participant.