Propositions pour développer le tissu des PME françaises
Le présent article se réfère à l’ensemble des PME répondant à la définition de l’INSEE, c’est-à-dire aux 163 000 entreprises françaises à structure juridique propre de 10 à 500 salariés (au total 8 millions d’emplois). Il déborde donc le cadre des PMI, (46 000 entreprises, 2,5 millions d’emplois) même si l’auteur se réfère souvent à l’exemple des industries mécaniques et si l’industrie est en fait le moteur de la plupart des autres activités (services, commerces, transports…).
Marc Baÿ (59), directeur générl de la Fédération des industries mécaniques, a participé à la rédaction de cet article.
L’exemple des industries mécaniques
Pour illustrer mon propos je retiendrai quelques données concernant la mécanique, industrie de PMI par excellence, puisque composée à 97 % d’entreprises employant moins de 500 salariés.
Activités de la mécanique par taille d’entreprises
Au total la mécanique compte 6 500 entreprises qui emploient près de 500 000 salariés et réalisent un chiffre d’affaires de 320 milliards.
Les PME sont nettement majoritaires en effectif employé (70 % du total), mais elles ne réalisent que 60 % du chiffre d’affaires et 43 % des exportations (tableau 1).
Il faut cependant noter que les grandes entreprises (voire les moyennes grandes) sont, plus fréquemment que les petites, filiales de groupes étrangers, que leurs exportations comprennent en fait une part non négligeable d’échanges au sein des filiales de la société mère et que, de fait, leur importance dans la valeur ajoutée totale est souvent plus faible (par exemple : usines de simple montage).
L’évolution des chiffres depuis quinze ans fait apparaître que les PMI tirent mieux leur épingle du jeu que les grandes entreprises. Il faut bien entendu nuancer ce premier constat : il peut en effet y avoir passage du seuil des 500 salariés par des PMI qui grossissent ou par des grandes entreprises qui se filialisent. De plus, le tissu des PMI est en permanence alimenté par le bas. Les écarts constatés sont cependant trop importants pour ne pas être significatifs, au moins partiellement. En matière d’effectif, il faut aussi souligner que les plus petites des PMI sont créatrices d’emploi. Une étude portant sur la période 1980 à 1992, dont les tendances restent valables aujourd’hui, marque la nette progression des effectifs des PMI de 20 à 50 salariés.
Structure des PMI de la mécanique en Europe
Le schéma suivant montre nettement que la situation est pratiquement la même dans les principaux pays européens, avec un fort tissu de PMI. La France se situe, pour l’ensemble des paramètres, dans une bonne moyenne par rapport à ses partenaires (tableau 2).
L’Italie occupe la première place en nombre de PMI, l’Allemagne celle de leader au plan des grandes entreprises.
Si l’on procède à l’analyse d’un autre paramètre, celui de l’évolution des exportations, on s’aperçoit également, qu’indépendamment des récents phénomènes monétaires, l’Italie, avec une progression de 20 % de ses ventes sur les marchés étrangers entre 1985 et 1992, occupe une place de choix, preuve de la dynamique commerciale de ses PMI en la matière.
Du caractère parfaitement illustratif de la mécanique française
Cette illustration, par l’exemple des industries mécaniques, corrobore parfaitement le rapport de la Commission européenne au Conseil européen de Madrid sur le rôle des PME comme source dynamique d’emploi, de croissance et de compétitivité, rapport qui fait ressortir que sur les dix dernières années la création nette d’emplois dans les PME a été supérieure aux pertes d’emplois dans les grandes entreprises. Cette analyse confirme d’ailleurs qu’en période de récession, les PME recourent moins vite aux suppressions de postes, le souci de conserver des compétences guidant la décision des chefs d’entreprises.
Faiblesses ? ou freins au développement ?
En dépit de cette observation, on constate que le potentiel des PME européennes en matière de croissance et de création d’emplois n’est pas pleinement exploité car entravé par des défauts et des dysfonctionnements fondamentaux du marché et des politiques qui n’ont pas reçu de réponse satisfaisante.
Ce que d’aucuns qualifient communément de faiblesses des PME, mais qui sont en fait la conséquence des freins qui entravent le développement de leurs activités, se retrouve dans l’ensemble des pays européens avec évidemment des variations assez sensibles d’un pays à l’autre. Le tableau 3, extrait d’une récente enquête d’Exco & Grant Thornton et Business Stratégies conduite dans les 15 pays de l’Union européenne ainsi qu’à Malte et en Suisse, illustre bien cette situation en ce qui concerne le poids des réglementations et taxes : il est considéré par l’ensemble des dirigeants de PME européennes comme l’entrave majeure au développement de leurs activités. Ce tableau indique la fréquence des réponses relatives à chaque type de handicap.
TABLEAU 3 |
Nombreux sont les domaines où nous pourrions souligner les faiblesses des PME tant par rapport au grandes entreprises (difficulté d’accès aux prêts bancaires, aux marchés publics, aux programmes de recherche nationaux ou communautaires…), que par comparaison avec d’autres pays, en Europe et au-delà. On peut citer à cet égard la sous-capitalisation des entreprises européennes par rapport à leurs homologues américaines due notamment au fait que les systèmes fiscaux nationaux privilégient le financement par l’emprunt au détriment du financement par l’émission d’actions.
En tout état de cause, je crois que vouloir comparer sérieusement les forces et les faiblesses des PME en France, en Europe et au delà, relève de l’utopie. Car pour être parfaitement crédible il faudrait d’abord évaluer, pour chaque pays, les moyens dont disposent les PME pour la conception, la production, la promotion, et la commercialisation de leurs produits ou services. Chacun sait que, même au sein de l’Union européenne, ces moyens sont très diversifiés, et pour tout dire inégaux. Même si de nombreuses études existent sur le sujet elle demanderaient à être actualisées pratiquement au jour le jour.
Stopper la politique du coup par coup
Si la Communauté et les États membres, tant au niveau national que régional, s’efforcent de libérer le potentiel des PME, les initiatives engagées sont trop souvent insuffisantes, peu accessibles et toujours très disparates. Elles relèvent généralement du « coup par coup » plutôt que d’une politique structurée à moyen ou long terme. En fait, on s’aperçoit que les paramètres fondamentaux de la croissance (recherche, innovation, formation, exportation), dont les faiblesses ont été maintes fois soulignées par les dirigeants d’entreprises, n’ont été que rarement, sinon jamais, intégrés dans une réflexion globale alors qu’ils sont indissociables.
Dix mesures incontournables pour que vivent et se développent les PME
C’est pourquoi la Commission « moyennes et petites entreprises » du CNPF travaille depuis de longs mois pour inverser cette tendance. Elle propose un plan global et structuré qui devrait permettre le développement de nos petites et moyennes entreprises, malgré un contexte économique mondial très concurrentiel et où les distorsions de concurrence vont grandissant.
Dans ce cadre le CNPF a, il y a plus d’un an, apporté une contribution majeure au plan PME lancé par Alain Juppé, mais dont les mesures réellement concrètes se sont révélées insuffisantes.
Cependant, convaincus que le maintien de la France dans le peloton de tête des grandes nations dépend en grande partie du développement de nos PME, nous n’avons pas baissé les bras : après consultation approfondie des organisations professionnelles et un tour de France des unions patronales, nous avons dégagé un certain nombre de propositions – dont plusieurs ont été faites par la Fédération des industries mécaniques – à soumettre à la prochaine conférence annuelle des PME. Ces propositions que nous avons appelées « impératifs » répondent à trois objectifs essentiels pour le devenir des PME :
- vivre,
– se développer,
– pouvoir se consacrer pleinement à son métier.
Au titre du premier impératif nous proposons trois orientations :
- Mettre en oeuvre, avant six mois, une réforme en profondeur de la taxe professionnelle.
En attendant que soit réformé cet impôt archaïque qui pèse de manière excessive sur les moyens de production, il est indispensable de relancer l’investissement et l’emploi en exonérant de la taxe professionnelle tout nouvel investissement et toute nouvelle embauche pendant deux ans.
Au-delà de cette mesure qui constituerait un signal fort pour les PME, la maîtrise des impôts locaux implique évidemment aussi l’arrêt de la dérive des dépenses et de l’endettement des collectivités locales.
- Mettre en place, de façon concrète et opérationnelle la Banque des PME (BDPME).
La création de cette institution, annoncée il y a un an, correspond en effet à une véritable nécessité : les PME ont besoin d’un établissement spécialisé pour faire prendre en compte leurs spécificités par l’appareil bancaire.
- Réduire les délais de paiement, notamment ceux du secteur public.
De nombreuses PME se trouvent aujourd’hui confrontées à des situations intolérables. Les organisations professionnelles viennent d’obtenir la suspension des contrôles fiscaux pour les PME victimes d’un retard de paiement des administrations. C’est un premier pas et leur action va se poursuivre pour une réduction significative des délais de paiement, non seulement au niveau des administrations publiques mais aussi dans les relations inter-entreprises. À cet effet des accords interprofessionnels seront préparés et de nouvelles formes de médiation seront expérimentées.
Pour répondre au deuxième impératif : « se développer », quatre orientations doivent guider les réflexions de la conférence des PME :
- Faire du renforcement des fonds propres des PME une vraie priorité :
- en améliorant l’avantage fiscal de la loi Madelin, – en encourageant les entreprises à réinvestir leurs bénéfices, – en permettant aux futurs fonds d’épargne retraite d’investir en actions de sociétés non cotées.
- Préparer et encourager les PME à exporter, par :
- la mise en place d’un guichet unique d’information, – l’amélioration de l’accès des PME aux dispositifs d’appui – le développement du soutien de la Coface, tant en termes de pays que de taille d’entreprises.
- Renforcer l’effort de recherche des PME :
- en simplifiant les dispositifs d’aides à l’innovation,
– en sécurisant le crédit d’impôt recherche et en l’élargissant à l’innovation,
– en permettant le recrutement de personnel qualifié ne concernant pas uniquement les techniciens supérieurs ou les thésards.
– en facilitant l’accès des PME.aux plateaux scientifiques et techniques, existant dans les laboratoires de recherche
- Favoriser la transmission familiale.
Le montant des droits à payer à l’occasion d’une transmission reste trop élevé ce qui fragilise la PME.à un moment stratégique de sa vie.
Pour atteindre le troisième impératif qui est de pouvoir se consacrer pleinement à son métier, nous proposons trois orientations :
- Simplifier le droit du travail :
– en engageant rapidement une réforme en profondeur du droit du travail visant à plus de lisibilité, plus de souplesse et facilitant le passage des seuils en ne le rendant obligatoire que lorsque le franchissement du seuil est atteint de façon permanente pendant trois années consécutives. - Alléger la tâche des entreprises :
L’objectif étant :- une réduction de 20 %, d’ici à 1997, des formalités administratives par simplification massive des procédures, notamment par :- la possibilité d’accord tacite de l’administration en cas de non réponse dans les délais impartis,
- le remplacement de la plupart des autorisations préalables par des déclarations,
- une simplification des bulletins de salaire,
- la mise en place d’aides pratiques aux PME pour le passage à l’euro.
- Mettre en oeuvre le futur protocole commun de transmission des données informatisées de l’entreprise concernant le « social » et le « fiscal ».
Les expérimentations déjà tentées dans certaines régions ou départements ont montré qu’il est possible de mettre à la disposition des PME des systèmes efficaces dans ce domaine.
Un bel avenir si nous le voulons
Les propositions que nous venons d’énoncer, relevant d’un plan global et structuré, ne constitueraient pas à terme pour l’État une charge supplémentaire dans la mesure où elles permettraient aux PME de développer de l’activité et de l’emploi. C’est un challenge majeur pour le devenir de notre nation, et nous avons tout ce qu’il faut pour le gagner : une jeunesse entreprenante, des professionnels de qualité, des chefs d’entreprise qui savent bien se battre, des organisations professionnelles agissantes.
Encore faut-il que les freins soient desserrés et les accélérateurs mis en place.