Propositions pour une libéralisation différente du commerce international
Les partisans de la libéralisation du commerce international sont persuadés qu’elle apportera une prospérité sans précédent. Mais les controverses à ce propos sont vives.
Joseph Stiglitz a reçu en 2001 le prix Nobel d’économie.
Il est l’auteur de très nombreux articles et livres, parmi lesquels en particulier La Grande Désillusion (Globalization and its Discontents, 2001) en 2003, et, avec Andrew Charlton, Fair Trade for All : How Trade Can Promote Development, 2006.
Il est professeur à l’université Columbia de New York.
Les partisans de la libéralisation du commerce international sont persuadés qu’elle apportera une prospérité sans précédent. Mais les controverses à ce propos sont vives ; aux yeux de beaucoup, les coûts de la libéralisation – salaires en diminution, chômage en augmentation, souveraineté nationale affaiblie – dépassent les avantages d’une efficacité économique accrue et d’une croissance accélérée.
Libéralisation aveugle : source de déséquilibre
Si la libéralisation du commerce international n’a pas été le complet succès annoncé, c’est en partie parce qu’elle n’a pas été vraiment libérale, et qu’elle n’a pas été équitable. L’eût-elle même été, tous les pays n’en auraient pas également profité, et à l’intérieur même des pays qui en auraient réellement profité, tous les citoyens n’auraient pas eu leur part des avantages. La théorie économique de la libéralisation du commerce international, avec les hypothèses que les marchés fonctionnent parfaitement et que les accords de libéralisation sont équitables, prédit que chaque pays dans son ensemble gagnera à y participer. Elle prédit aussi qu’à l’intérieur du pays il y aura des perdants, que cependant les gagnants seront en mesure de compenser tout en conservant une partie de leurs gains.
En pratique les compensations sont, au mieux, partielles. Si l’essentiel des avantages demeure entre les mains d’une minorité déjà favorisée, alors la libéralisation crée des pays riches avec des citoyens appauvris ; même les classes moyennes souffrent. Par conséquent, si la libéralisation ne s’accompagne pas de mesures appropriées, la majorité des citoyens peuvent en pâtir, et n’avoir donc aucune raison de la soutenir. Il ne s’agit pas de l’expression d’intérêts égoïstes, mais d’une appréciation correcte du monde tel qu’il est.
Mais ce monde-là n’est pas une fatalité. La libéralisation du commerce international peut, lorsqu’elle est à la fois équitable et accompagnée des mesures et politiques appropriées, contribuer à un développement équitable.
Libéralisation contrôlée : une nécessité
Pour aider les pays pauvres à faire face aux difficultés caractéristiques du stade de développement où ils se trouvent, je propose de remplacer le principe de « réciprocité pour et parmi tous les pays, indépendamment de leurs caractéristiques » par le principe de « réciprocité entre égaux, mais différenciation sur la base de caractéristiques significativement différentes ». L’Union européenne a agi dans cet esprit quand en 2001 elle a ouvert ses marchés aux pays les plus pauvres, supprimant la plupart des droits de douane et des restrictions non tarifaires sans exiger en retour des concessions économiques ou politiques. C’est une politique rationnelle. D’une part elle assure aux consommateurs européens l’accès à un éventail plus large de produits à des prix plus bas. D’autre part, tandis que les inconvénients pour les producteurs européens sont à peu près insensibles, les producteurs des pays bénéficiaires peuvent en tirer de grands avantages. La politique européenne en la matière a aussi été un signal positif invitant d’autres pays développés à l’imiter.
Si d’autre part on veut susciter dans les pays développés un large soutien à la libéralisation, il est impératif de faire en sorte que ses avantages et ses coûts soient mieux répartis. Cela requiert une fiscalité plus progressive sur l’ensemble des revenus. Il faut même faire plus, en particulier aux États-Unis, en faveur des titulaires de revenus modestes. On ne convaincra pas les salariés des bienfaits de la libéralisation en leur expliquant qu’ils ne garderont un emploi qu’au prix de réductions suffisantes de leurs salaires. Pour que les salaires puissent augmenter, des gains de productivité sont nécessaires, et donc des efforts d’éducation et de reconversion ; les salariés doivent alors pouvoir bénéficier de ces gains de productivité, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.
Grâce notamment à ces réformes, les possibilités que la libéralisation soit beaucoup plus largement bénéfique s’amplifieront, et il en sera de même du soutien à une libéralisation devenue plus équitable.