Protéger, verbe actif, bilan et perspectives du Conservatoire du littoral
Le conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres a été créé le 10 juillet 1975. La pression de l’urbanisation et du développement touristique avait alors convaincu le législateur que la préservation définitive des milieux naturels et des sites les plus remarquables de nos côtes ne serait efficacement assurée que par l’acquisition, et l’entrée inaliénable des sites ainsi acquis dans le patrimoine de tous les Français. C’est la mission qu’il a confiée au Conservatoire.
On avait pu s’interroger à l’époque sur la capacité réelle de ce petit organisme à jouer un rôle autre qu’anecdotique. Ses moyens budgétaires étaient limités, son équipe très réduite (elle n’est toujours constituée que d’une centaine de personnes, dont la moitié seulement appartient à l’équipe propre, permanente, de l’établissement), et ses interlocuteurs locaux étaient souvent beaucoup plus soucieux de développement à tout prix que de préservation de la nature et du paysage.
Patiemment, sans bruit, sans créer de conflit, le Conservatoire du littoral est devenu le garant de la protection de 66 000 hectares, 861 km de rivages, soit plus du dixième du linéaire côtier de notre pays. Les 485 sites ainsi acquis comptent parmi les plus beaux et les plus précieux de nos côtes, et demeureront, grâce au Conservatoire, un héritage commun de beauté et de nature, à la disposition des Français et de leurs visiteurs étrangers.
Le Conservatoire continue à acheter des sites sur le littoral pour garantir leur protection. Il le fait avec une perspective, définie en 1995, validée par le Gouvernement, et confirmée à nouveau par le Parlementaire en mission, celle de garantir la sauvegarde d’un tiers de nos rivages, d’y conserver la richesse écologique, la beauté des paysages naturels, mais aussi l’épaisseur culturelle, l’esprit des lieux. Le Conservatoire ne le fera pas seul : il y a aussi sur le littoral de vastes forêts domaniales, des propriétés acquises par les collectivités locales, par des associations, en vue de leur protection.
On peut estimer que, patiemment, progressivement, au rythme d’environ 3 000 hectares nouveaux acquis chaque année (ce qui veut dire que la toute petite équipe de l’établissement négocie et signe une acquisition nouvelle par jour), la contribution du Conservatoire à cet objectif de préservation du tiers sauvage sur nos rivages devrait le conduire, à terme d’une quarantaine d’années, à garantir la sauvegarde d’environ 22 % du linéaire côtier, et de 200 000 hectares.
Le Conservatoire achète des sites présentant des caractéristiques écologiques et paysagères remarquables, parce que des menaces de destruction pèsent sur eux. Mais, de plus en plus, il est conduit aussi à intervenir sur des sites déjà gravement dégradés, où il faut démolir des constructions malvenues, restaurer le couvert végétal, rétablir le paysage dans sa grandeur.
Il arrive aussi au Conservatoire d’acquérir des espaces, autrefois agricoles, et abandonnés à cause de la pression foncière ou des menaces d’urbanisation, pour y réinstaller l’activité d’élevage, les vignobles ou les marais salants qui assuraient l’équilibre des milieux, et sont aujourd’hui encore le moyen d’assurer cet équilibre au moindre coût.
De plus en plus, en effet, chacun est conscient que la mise en valeur des richesses naturelles et du paysage passe par la cicatrisation des blessures anciennes causées par une surexploitation touristique, ou par l’abandon des pratiques traditionnelles qui les entretenaient. Protéger est, pour le Conservatoire, un verbe actif. Les milieux naturels réclament un entretien attentif, beaucoup moins coûteux que les restaurations qui s’avéreraient indispensables si cet entretien n’était pas effectué.
De ce fait, et cette évolution est l’une des raisons des avancées législatives récentes, le Conservatoire du littoral n’est plus seulement un organisme d’intervention foncière. De plus en plus, des responsabilités, des charges et des tâches nouvelles s’imposent à lui. Il est amené à conduire, pour les raisons qui viennent d’être évoquées, des programmes de travaux lourds, diversifiés et importants, à préparer et à signer un grand nombre de contrats et de conventions, à faire face quotidiennement à ses obligations de propriétaire, ne serait-ce que celle de garantir la sécurité des personnes et des biens.
Certes le législateur de 1975 avait décidé de ne pas faire peser sur le Conservatoire, dont il souhaitait qu’il demeurât une structure souple et légère, l’ensemble des contraintes liées à la gestion des sites acquis. L’article L. 322.9 du Code de l’environnement fixait en effet que cette gestion est assurée » par convention avec les collectivités locales ou leurs groupements, les établissements publics ou les fondations et associations spécialisées, agréées à cet effet, ou les exploitants agricoles « .
Mais ce que le législateur n’avait pas prévu, c’est l’ampleur et la complexité des missions qui resteraient à la charge du Conservatoire pour préparer, mettre en œuvre, suivre, contrôler, et éventuellement suppléer, cette gestion.
Pour jouer ce rôle nouveau, le Conservatoire est très fortement aidé par les collectivités territoriales. Hier un peu perplexes, elles sont devenues aujourd’hui des partenaires convaincus de l’action du Conservatoire. C’est avec leur accord, souvent à leur demande, qu’il acquiert. Les régions, les départements l’y aident financièrement et participent activement aux travaux de remise en état et d’aménagement écologique sur les sites. Ils aident aussi les communes à prendre en charge la gestion. Cette adhésion des collectivités locales à l’action du Conservatoire s’explique par l’intérêt de plus en plus grand qu’elles portent aux réalités écologiques.
Elle a aussi tout simplement des justifications économiques. Le Conservatoire du littoral a toujours eu le souci de tenir compte des nécessités de l’activité et de l’emploi locaux (il y a aujourd’hui plus d’agriculteurs sur ses terrains qu’il n’y en avait lorsqu’il les a acquis, ne serait-ce qu’en raison de leur contribution essentielle à la qualité des paysages naturels). Mais chacun a conscience que son rôle économique ne se limite pas à cela.
Les élus locaux, et avec eux tous ceux qui sont préoccupés de développement économique le savent : l’activité touristique, prééminente sur le littoral (le tourisme pèse économiquement, en France, plus que l’agriculture, la forêt et la pêche réunis), a désormais besoin d’espaces naturels de qualité, protégés et accessibles. Ces espaces constituent de plus en plus une infrastructure touristique, aussi nécessaire au développement des stations que des équipements de loisirs adaptés ou un centre-ville attractif et fleuri.
Rien dans les textes constitutifs du Conservatoire ne concernait le cadre et les conditions de ce partenariat : mise en commun des moyens humains et matériels, répartition des maîtrises d’ouvrage, statut des conventions passées entre les parties constituent donc une part importante des nouvelles dispositions législatives.
Au-delà de la question de l’adaptation des structures du Conservatoire à ses nouvelles responsabilités de propriétaire, et de celle de la modernisation des relations juridiques et économiques entre ce propriétaire et les collectivités locales et associations gestionnaires des terrains, le Premier ministre avait engagé également Louis Le Pensec à réfléchir à une vision plus globale de la protection des rivages, de la terre à la mer, en appliquant le nouveau concept international de protection intégrée des zones côtières.
Le Conservatoire était en effet très limité dans ses possibilités d’intervention sur le domaine public, maritime ou lacustre. Or, de plus en plus, la plage et la dune, la mangrove et la forêt littorale, les vasières et les rives des estuaires justifient d’une protection et d’une gestion coordonnées. C’est, depuis la loi du 27 février, une des missions du Conservatoire du littoral.
Si l’objectif principal de l’acquisition et de l’aménagement par le Conservatoire demeure la protection, voire l’enrichissement, de la diversité biologique et de la beauté des paysages, les sites acquis sont, sauf lorsqu’ils sont trop fragiles, ouverts au public. Les conflits qui peuvent naître entre l’objectif de préservation et l’objectif d’ouverture peuvent en général se résoudre par des aménagements adaptés des sites. Les cas où la surfréquentation fait courir des risques de dégradations irréversibles sont encore rares, mais le Conservatoire est sur ce point très vigilant.
Le Conservatoire a aussi d’autres activités. Il participe à la diffusion des connaissances sur les techniques de » génie écologique » et de gestion de la nature, en France, mais aussi dans le cadre de programmes internationaux, par exemple dans les 24 pays de la Méditerranée. Aidé par des entreprises mécènes, il publie des études scientifiques et des ouvrages de présentation, par des photographes, des illustrateurs ou des écrivains, des beautés naturelles du littoral.
Mais, et cela demeure sa mission essentielle, le nouveau cadre législatif et réglementaire qui sera demain le sien lui permettra, soutenu par le courant général de sympathie qu’il suscite dans l’opinion publique, d’ouvrir à chacun de nous et aux visiteurs de nos rivages, et de préserver pour nos enfants, la richesse et la beauté des côtes sauvages de notre pays.