À la recherche du temps non objectif et non mesurable
Loin d’être un spécialiste, je n’ai découvert Proust qu’à la cinquantaine passée, alors qu’une chute de cheval m’obligeait à garder la chambre et que la seule lecture disponible était À la recherche du temps perdu.
Jusqu’alors la seule référence que je faisais à Proust était « le béton techno-proustien » de mes jeunes années d’ingénieur de l’armement, à savoir les notes et rapports, au style touffu qui expriment tellement de choses, avec force digressions, descriptions minutieuses et profusion de détails, que l’on éprouve du mal à les suivre et à savoir ce qu’ils concluent.
Quels ne furent ma surprise et mon émerveillement devant cette exploration des émotions complexes et des pensées intimes des personnages, ces descriptions précises qui nous transportent littéralement au milieu des protagonistes et nous font vivre littéralement la recherche de ce temps perdu.
En me rendant visite lors de ma convalescence, un de mes amis, professeur de physique théorique à l’Institut des hautes études scientifiques et pianiste de talent à la culture générale fascinante, me fit part, en voyant La Recherche posée négligemment sur ma table de chevet, de la fascination qu’il éprouvait pour l’œuvre de Proust.
Grand spécialiste de relativité générale, il se lança aussitôt dans une comparaison de la conception du temps chez Proust et chez Einstein, le temps non objectif et non mesurable, mais plutôt une construction mentale intimement liée à la mémoire pour l’un, et pour l’autre un temps qui varie en fonction de la position et du mouvement de l’observateur. Bref pour les deux, il s’agit d’un temps relatif intrinsèquement lié à d’autres variables, expérience humaine pour Proust, paramètres plus froids et plus scientifiques pour Einstein.
Il n’y a pas de preuve documentaire que Marcel Proust et Albert Einstein se soient rencontrés personnellement. C’est justement une invitation à imaginer une telle rencontre et le dialogue sur le temps, pourquoi pas lors d’un souper, ou une promenade à Combray, par une après-midi ensoleillée.