Proust du côté juif
Notre camarade Antoine Compagnon (X70), qui nous a habitués à des lectures estivales plutôt reposantes (Un été avec Montaigne, Un été avec Baudelaire, Un été avec Pascal), est aussi un fouineur acharné, un rat de bibliothèque, pour tout dire un véritable bénédictin ! Il nous le montre avec son dernier opus qui présente ses recherches originales sur l’ascendance juive de Proust, du côté de sa mère, née Jeanne Weil, nièce du sénateur Adolphe Crémieux, père d’un décret de 1870 qui a donné aux Juifs d’Algérie la nationalité française.
On peut difficilement résumer ce pavé de plus de 400 pages écrites en petits caractères, assorties de centaines de notes de bas de page, d’une abondante bibliographie et d’un index de près de 1 000 noms. La thèse d’Antoine Compagnon est que, contrairement aux idées reçues et nonobstant le caractère des personnages juifs de la Recherche, comme Bloch, Swann, Nissim Bernard, Rachel, ou le qualificatif de race maudite qu’il donne aux Juifs (et aux homosexuels !) dans Sodome et Gomorrhe, voire l’amitié d’antisémites et d’antidreyfusards avérés comme Léon Daudet, Maurice Barrès ou Montesquiou, Proust n’était pas du tout antisémite.
Dans une mystérieuse lettre, dont les Proustiens recherchent le nom du destinataire depuis près d’un siècle et dont Antoine Compagnon a réussi in extremis à percer le secret – aidé en cela par ce qu’il appelle humblement « le dieu caché de la recherche, une grâce du chercheur » mais que j’appellerais simplement la douance du chercheur qui ne laisse rien au hasard –, Proust déclare qu’il accompagnait souvent son grand-père Nathé pour déposer un caillou sur la tombe des arrière-grands-parents au Père-Lachaise, au bout de la bien nommée rue du Repos, non loin de l’avenue Rachel où est enterrée la grande comédienne éponyme, abondamment citée dans la Recherche.