Prouver l’égalité de deux infinis : une avancée marquante
Comparer deux infinis n’a rien de trivial. Dans un ensemble fini, on a un nombre d’éléments qui change si on ajoute ou retranche des termes. Pour un ensemble infini, c’est le cardinal qui généralise cette notion d’ensemble plus ou moins grand.
L’exemple bien connu des entiers relatifs et positifs montre qu’une partie d’un ensemble peut avoir même cardinal que tout l’ensemble, en dépit des éléments qui en sont absents.
Il y a néanmoins des infinis de différentes tailles, car quand on forme l’ensemble des parties d’un ensemble E, le cardinal de ce nouvel ensemble est strictement supérieur à celui de E. Si E a n éléments, on peut former 2n parties (de l’ensemble vide à E tout entier), ce qui est plus que n. Cela reste valable pour tout ensemble infini, comme l’a montré Cantor.
Ainsi, l’ensemble des nombres réels de l’intervalle (0, 1) a un cardinal C strictement supérieur au dénombrable (celui des nombres entiers) : on l’appelle puissance du continu. Divers procédés de correspondance montrent que c’est aussi le cardinal de la droite réelle, du plan réel, etc.
On s’est posé dès 1878 la question : quand on range les cardinaux infinis par ordre croissant, à partir du dénombrable (noté aussi aleph0), le premier qui va suivre (aleph1) est-il C ? C’est la fameuse hypothèse du continu, que David Hilbert avait mise en tête de la fameuse liste de 23 problèmes présentée au Congrès des mathématiciens de 1900.
Les logiciens du XXe siècle ont fait avancer cette question dans un sens inattendu, en la confrontant au système d’axiomes (Zermelo-Fraenkel) de la théorie des ensembles.
Gödel a montré en 1940 qu’on pouvait accepter cette hypothèse, sans produire de contradiction avec les axiomes. Mais Paul J. Cohen (1934- 2007) a bâti en 1964 un autre modèle, où l’hypothèse est fausse, et lui aussi a montré que cela n’entraînait pas de contradiction ! L’hypothèse du continu reste donc indécidable.
Sans remettre en cause ces acquis, une avancée dans ce domaine vient d’être obtenue par l’Américaine Maryanthe Malliaris et l’Israélien Saharon Shelah. Leur objet d’étude est constitué par deux ensembles de parties de N, qui se situent « quelque part » entre N et C.
Pour constituer l’ensemble P, on prend des parties infinies de N qui ont des éléments en commun, avec P aussi petit que possible, mais sans « pseudo-intersection » (cas où chaque partie est simplement N privé d’un nombre fini d’entiers).
Pour l’ensemble T, on prend des parties infinies de N qui sont ordonnées par inclusion (de deux éléments de T, l’un est inclus dans l’autre), avec T aussi petit que possible, toujours sans pseudo-intersection. On avait déjà montré que le cardinal de N était strictement plus petit que celui de P, lui-même au plus égal à celui de T.
Malliaris et Shelah ont montré l’égalité des cardinaux de P et T, ce qui respecte la possibilité de l’hypothèse du continu : si ces cardinaux étaient différents, aleph1 serait au plus égal au plus petit, et C au moins égal au plus grand, « démolissant » l’hypothèse du continu ; néanmoins, cela n’infirmerait pas le travail de Gödel, mais aurait pu montrer une contradiction entre l’hypothèse du continu et les axiomes et théories utilisés par les chercheurs.
Selon les spécialistes de ces questions, ce résultat est assez important pour justifier une médaille Fields en 2018, tout comme le résultat de Paul J. Cohen lui avait valu la médaille Fields en 1966 ; la limite d’âge (40 ans) en exclut néanmoins Saharon Shelah.