PSALMANAZAR : LE FAUXRMOSAN
En 1704 parut à Londres un ouvrage intitulé An Historical and Geographical Description of Formosa. L’auteur de cette monographie n’avait jamais mis les pieds sur l’île qu’il prétendait décrire, c’est-à-dire Taïwan, dont ce Français probable se disait de plus originaire.
Nous le désignerons par le nom figurant dans ses mémoires posthumes, publiés en 1764, George Psalmanazar. On ignore sa véritable identité.
Quittant son poste de précepteur, il avait décidé de se faire passer pour Japonais, mû par des considérations matérielles. Le projet réussit, pour surprenant qu’il puisse paraître aujourd’hui, jusqu’à ce que la Providence mît l’un de ses serviteurs, Alexander Innes, sur le chemin de Psalmanazar.
Cet aumônier anglican décela la supercherie mais, plutôt que d’exhorter le coupable à se détourner des voies du mensonge, il l’encouragea à s’y perfectionner.
Innes et Psalmanazar se rendirent à Londres, où le premier fit passer le second pour un Formosan qu’il avait détourné du paganisme et persuadé d’embrasser la confession anglicane. Psalmanazar s’était inventé des souvenirs et une culture devant lui permettre de faire illusion.
C’est ainsi qu’il produisit notamment un alphabet formosan sorti tout droit de son imagination, se contraignant à de laborieux exercices afin de maîtriser l’écriture cursive de son prétendu pays natal – écriture alphabétique tracée de droite à gauche.
Il inventa assez de grammaire ainsi qu’un vocabulaire suffisant pour tenir un discours cohérent et ne pas se contredire de façon flagrante.
Psalmanazar décrivait Formose comme japonaise, soutenait que les bonzes japonais s’enseignaient mutuellement le grec et que les Jésuites, après avoir établi la religion chrétienne au Japon et y avoir converti jusqu’à l’empereur Tampoussama, n’en avaient été chassés qu’après la découverte d’une conspiration visant à faire passer la couronne de ce dernier sur la tête du roi d’Espagne.
Ses lecteurs apprenaient de plus qu’un dieu cruel exigeait des Formosans qu’ils lui sacrifiassent dix-huit mille de leurs enfants mâles chaque année.
Si tout le monde ne fut pas dupe, Psalmanazar trouva des défenseurs, parfois irréductibles, tant dans le clergé que parmi l’aristocratie. La bienveillance de l’Église à l’égard du prosélyte Innes le fit du reste nommer chapelain général des troupes britanniques au Portugal.
Psalmanazar finit toutefois par révéler l’escroquerie et connut à la fin de sa vie Samuel Johnson, qui louait en lui un homme des plus sages et l’un des étrangers qui sût le mieux l’anglais.
Sur l’initiative de René Viénet, les Taïwanais du XXIe siècle peuvent lire une traduction chinoise de la Description et la revue Monde chinois a publié une traduction d’un extrait des Mémoires. Ces derniers sont malheureusement toujours inédits en français, bien que Philarète Chasles en eût déjà traduit quelques pages.
On n’a de plus peut-être pas assez lu la Description comme l’œuvre d’un auteur. Si son intérêt réside avant tout dans la nature de l’entreprise qu’elle se proposait d’accréditer, Psalmanazar n’était pas pour autant dénué d’avis pertinents sur bien des points, et les considérations qu’il livre sur la religion, le goût du luxe en Europe, le système éducatif, les superstitions ou l’armement ne sont pas sans valeur.
Il me semble qu’on gagnerait à les lire comme émanant, non du prétendu Formosan, mais de l’homme dont il a toujours refusé de révéler l’identité.