Qualité et progrès des pratiques médicales

Dossier : La santé en questionsMagazine N°599 Novembre 2004

Paul Lan­dais, Ser­vice de bio­sta­tis­tique et d’informatique médi­cale, hôpi­tal Necker, Paris, Marie-Claude Hit­tin­ger, méde­cin, et Marie-Fran­çoise Dumay, accré­di­ta­tion-audit-qua­li­té, Fon­da­tion hôpi­tal Saint-Joseph, Paris

Dans son édi­tion du 18 novembre 2000, le Bri­tish Medi­cal Jour­nal titrait : » France pre­pares for more cases of vCJD. » Dans un grand quo­ti­dien, la Ministre char­gée de la San­té annon­çait, en effet, qu’elle redou­tait l’ap­pa­ri­tion de nou­veaux cas humains du variant de la mala­die de Creutz­feld-Jakob. Le Chef de l’É­tat deman­dait le retrait des farines ani­males et le dépis­tage sys­té­ma­tique de la mala­die de la vache folle pour tout le chep­tel, soit 5 à 6 mil­lions de tests par an. Le Pre­mier ministre annon­çait l’in­ter­dic­tion à la consom­ma­tion de la côte de bœuf à l’os. De nom­breuses muni­ci­pa­li­tés reti­raient la viande de bœuf des menus ser­vis aux enfants des écoles. Les éle­veurs pro­po­saient de reti­rer du mar­ché un mil­lion d’a­ni­maux nés avant juillet 1996. En réponse à ces mesures la Rus­sie, la Pologne, la Hon­grie, l’I­ta­lie, l’Al­le­magne et l’Es­pagne annon­çaient le gel des impor­ta­tions de viande de bœuf en pro­ve­nance de France. Les éle­veurs s’in­quié­taient. Près d’un Fran­çais sur cinq décla­rait ne plus man­ger de viande de bœuf. Les res­tau­ra­teurs étaient sur les dents…

Cela paraî­trait tiré d’un roman d’Or­well et pour­tant c’é­tait la réa­li­té du mois de décembre 2000. Elle tra­duit des phé­no­mènes com­plexes et intri­qués dus à la dif­fi­cul­té de cer­ner, de qua­li­fier et de quan­ti­fier les risques indi­vi­duels et col­lec­tifs, et d’ap­por­ter les réponses appro­priées. Nous abor­de­rons les moda­li­tés de prise en compte des risques et les consé­quences en matière de déci­sion sani­taire et de qua­li­té des soins.

Les étapes de la décision sanitaire

Avec cet exemple qui nous concerne tous, nous tou­chons du doigt la com­plexi­té du che­mi­ne­ment de la déci­sion dans un domaine où les scien­ti­fiques avancent pas à pas et qui implique des pans entiers de l’ac­ti­vi­té éco­no­mique, pas seule­ment la chaîne ali­men­taire, avec des enjeux de san­té et finan­ciers majeurs. Les citoyens s’in­ter­rogent sur la façon dont ils sont infor­més et s’in­quiètent pour leur san­té et celle de leurs proches, avec ce mélange de peurs indi­vi­duelles et col­lec­tives qui accueillent des infor­ma­tions plus ou moins bien déli­vrées et plus ou moins bien digérées.

La déci­sion sani­taire s’ap­puie sur une défi­ni­tion du risque en san­té dans l’ob­jec­tif d’o­rien­ter l’é­la­bo­ra­tion d’une poli­tique rai­son­née, d’é­va­luer l’im­pact des mesures prises, et d’a­mé­lio­rer la per­cep­tion qu’en ont les populations.

Le risque et son objet

Éva­luer l’exis­tence d’un risque sup­pose que l’on défi­nisse au préa­lable son objet, à savoir un risque de quoi ? Ain­si, quand on parle de risque coro­na­rien, on évoque des situa­tions diverses. Il peut s’a­gir en effet du risque de pré­sen­ter un angor, un infarc­tus du myo­carde, du risque que cette atteinte évo­lue vers l’in­suf­fi­sance car­diaque ou du risque de mor­ta­li­té liée à ces mani­fes­ta­tions. Ces risques ont une dimen­sion indi­vi­duelle et col­lec­tive, mais quel béné­fice leur connais­sance apporte-t-elle à une meilleure appré­cia­tion de la déci­sion médicale ?

La notion de risque car­dio­vas­cu­laire abso­lu illustre récem­ment cette recherche d’ar­gu­ment déci­sion­nel. Son étude est fon­dée sur l’i­dée de pré­dire pour un indi­vi­du don­né le risque d’é­vé­ne­ment coro­na­rien ou vas­cu­laire céré­bral à une échéance donnée.

Com­ment esti­mer le risque d’une affec­tion, com­ment éva­luer son ampleur, com­ment étu­dier les fac­teurs de risque, leur éven­tuel lien cau­sal avec la sur­ve­nue d’une mala­die, l’ap­pré­cia­tion de leur impact en san­té publique ?

Risque et évaluation

Le risque est un indice qui quan­ti­fie la pro­ba­bi­li­té de sur­ve­nue d’un évé­ne­ment, éven­tuel­le­ment dans un inter­valle de temps don­né. Ain­si, le risque de pré­sen­ter une insuf­fi­sance rénale ter­mi­nale (IRT) au cours d’une période don­née est la pro­ba­bi­li­té de deve­nir insuf­fi­sant rénal ter­mi­nal pen­dant cette période. En France, si 6 600 nou­veaux cas d’IRT sont sur­ve­nus au cours de l’an­née 1999, alors le risque d’IRT était de 110 par mil­lion d’ha­bi­tants. Par cette valeur on sup­pose que le risque d’IRT est égal pour tous les Fran­çais. Ce n’est bien sûr pas le cas et la notion de fac­teur de risque a été intro­duite pour maté­ria­li­ser la diver­si­té. Cette notion per­met en effet, pour un indi­vi­du don­né, de cer­ner les fac­teurs qui contri­buent à aug­men­ter son risque vis-à-vis d’une affec­tion donnée.

Un fac­teur de risque carac­té­rise tout fac­teur lié à l’ap­pa­ri­tion de l’é­vé­ne­ment étu­dié. Ain­si, une hyper­cho­les­té­ro­lé­mie est un fac­teur de risque d’in­suf­fi­sance coro­na­rienne. On étu­die alors l’as­so­cia­tion entre une expo­si­tion, ou fac­teur de risque, et une mala­die, c’est-à-dire l’exis­tence éven­tuelle d’une asso­cia­tion entre l’ex­po­si­tion et la mala­die. Si cette rela­tion existe, on mesure son inten­si­té en fonc­tion de la dose et de la durée d’ex­po­si­tion. Cela est repré­sen­té par le choix d’une mesure comme un excès de risque, un risque rela­tif, un odds ratio… On carac­té­rise ain­si l’as­so­cia­tion sans pré­ju­ger de son carac­tère cau­sal. La recherche d’une rela­tion de cause à effet relève d’une ana­lyse complémentaire.

Risque et réflexion sanitaire

Le risque est la source d’une épis­té­mo­lo­gie des rap­ports à la nature. Ini­tia­le­ment il décri­vait un rap­port entre l’Homme et son envi­ron­ne­ment, la nature et ses dan­gers. Quand le risque était subi, les phi­lo­so­phies du risque étaient alors mar­quées du sceau de la crainte et du châtiment.

L’Homme a ensuite déve­lop­pé des stra­té­gies pour réduire le risque : com­battre l’ad­ver­si­té, le mal. Petit à petit des stra­té­gies de quan­ti­fi­ca­tion du risque ont émer­gé, fon­dées sur les sta­tis­tiques, la démo­gra­phie, les pro­ba­bi­li­tés, ou la théo­rie de la déci­sion. Le risque s’ap­pré­cie dès lors sous l’angle de son éva­lua­tion scien­ti­fique. Il n’y a ni bien ni mal, il n’y a maté­riel­le­ment que des risques écri­vait Girar­din. Le risque appa­raît alors moins comme une carac­té­ris­tique intrin­sèque de notre envi­ron­ne­ment qu’à une façon de l’a­bor­der. L’ap­pré­hen­sion du risque devient un élé­ment de choix indi­vi­duel et collectif.

La morale du risque s’é­rige plus récem­ment en morale de l’en­ga­ge­ment. » Le propre de toute morale, c’est de consi­dé­rer la vie humaine comme une par­tie que l’on peut gagner ou perdre, et d’en­sei­gner à l’Homme le moyen de gagner » écri­vait Simone de Beau­voir dans Pour une morale de l’am­bi­guï­té. Le risque fonde alors un prin­cipe poli­tique. Le risque se mesure et à ce titre ali­mente la culture scien­ti­fique qui le modèle. On défi­nit une praxis en réac­tion au risque, réagir. Gérer le risque peut alors être conçu comme un art de gou­ver­ner. Les catas­trophes de san­té publique récentes ont pla­cé le risque au centre de la réflexion sanitaire.

Risque et décision

On mesure la com­plexi­té de la tâche qui consiste à cer­ner l’im­pact de fac­teurs de risque sur l’é­mer­gence des mala­dies. L’ap­pré­cia­tion des risques est des­ti­née à déve­lop­per les mesures de pré­ven­tion visant à les maî­tri­ser. Ces risques poly­morphes concernent dif­fé­rentes phases de l’his­toire natu­relle de l’af­fec­tion étu­diée et requièrent le déve­lop­pe­ment de mesures adap­tées au contexte. L’é­va­lua­tion du risque consti­tue alors le fon­de­ment d’un prin­cipe de déci­sion en situa­tion d’incertitude.

On note­ra que la notion de risque est dis­tincte de la notion de dan­ger, de péril, qui qua­li­fie une situa­tion où l’on est mena­cé. Si le dan­ger qua­li­fie un objet de la nature, à l’in­verse, l’ap­pré­cia­tion du risque peut être conçue comme une dis­po­si­tion de la volon­té. Le risque ne pro­cède plus de l’a­léa, de la chance ou de la mal­chance, mais de la façon de le maté­ria­li­ser sous une forme que l’on peut objec­ti­ver et à laquelle on peut allouer une valeur.

Gestion des risques

La ges­tion des risques requiert une poli­tique orga­ni­sa­tion­nelle spé­ci­fiant les buts à atteindre, la hié­rar­chi­sa­tion des mesures à prendre et l’é­va­lua­tion des res­sources à mobi­li­ser. Ain­si, plus de 100 000 pro­duits chi­miques sont uti­li­sés dans l’in­dus­trie. L’ex­po­si­tion à cer­tains d’entre eux conduit à la sur­ve­nue de mala­dies. Cepen­dant, on conçoit l’im­pos­si­bi­li­té de réa­li­ser des études épi­dé­mio­lo­giques com­plexes et coû­teuses qui explo­re­raient l’en­semble du champ des éven­tua­li­tés. Il faut donc choi­sir l’é­che­lon d’ac­tion adap­té au but consi­dé­ré. Une fois le niveau d’ac­tion déli­mi­té, le déci­deur se dote des ins­tru­ments qui garan­ti­ront l’ef­fi­ca­ci­té de sa déci­sion. L’ef­fi­ca­ci­té des pro­ces­sus déclen­chés repose sur la res­pon­sa­bi­li­sa­tion, la valo­ri­sa­tion et la reconnaissance.

Défi­nir des seuils d’in­ter­ven­tion, comme défi­nir des seuils d’hy­per­ten­sion arté­rielle ou d’hy­per­cho­les­té­ro­lé­mie, répond à un sou­ci prag­ma­tique visant à gui­der les actions de pré­ven­tion, en l’oc­cur­rence des affec­tions car­diaques et vas­cu­laires. On sou­li­gne­ra que toute inter­ven­tion doit faire appel à une norme com­pré­hen­sible, réa­liste et appli­cable. Il paraî­tra logique d’as­so­cier, pour la défi­ni­tion des normes, les auto­ri­tés qui les éta­blissent et celles qui les appliquent. Tout dépas­se­ment de la norme n’é­tant pas syno­nyme de menace sani­taire, les inter­ven­tions doivent être pro­por­tion­nées aux risques encourus.

L’ad­mi­nis­tra­tion des risques sani­taires néces­site une coor­di­na­tion des actions et des com­pé­tences aux dif­fé­rents éche­lons de res­pon­sa­bi­li­tés, une adap­ta­tion des allo­ca­tions de res­sources, la mise en place de sys­tèmes d’in­for­ma­tion appro­priés qui per­met­tront de gérer le risque au quo­ti­dien ou en cas de crise, l’é­tude de l’im­pact des déci­sions, leurs effets directs et indi­rects sur la san­té, enfin l’in­for­ma­tion appro­priée de la population.

Surveillance, veille et vigilance

Plu­sieurs moda­li­tés d’ac­qui­si­tion de don­nées sur les risques ont été déve­lop­pées comme la sur­veillance, les vigi­lances ou la veille. La sur­veillance consiste à recueillir des infor­ma­tions ciblées en vue d’une alerte ou d’une inter­ven­tion. La vigi­lance cor­res­pond à la sur­veillance des risques atta­chés au sys­tème de soins, comme l’hé­mo­vi­gi­lance, la maté­rio­vi­gi­lance, la phar­ma­co­vi­gi­lange ou l’in­fec­tio­vi­gi­lance. Ces vigi­lances ont pour objet des risques déjà iden­ti­fiés dans des domaines spécifiques.

La veille a une voca­tion géné­rale de sécu­ri­té sani­taire comme celle réa­li­sée par les réseaux Sen­ti­nelles pour les mala­dies infec­tieuses, la grippe, les sal­mo­nel­loses ou la lis­té­riose. Les dis­po­si­tifs de veille sont fon­dés sur une orga­ni­sa­tion sys­té­ma­ti­sée de col­lecte et de trai­te­ment de l’in­for­ma­tion. Ils servent à recueillir dans les meilleurs délais l’in­for­ma­tion auprès des scien­ti­fiques, des méde­cins ou de la popu­la­tion et à trans­mettre l’in­for­ma­tion au déci­deur et aux popu­la­tions concernées.

Un élé­ment clé d’une ges­tion appro­priée du risque est fon­dé sur la construc­tion de sys­tèmes d’in­for­ma­tion qui per­mettent d’a­na­ly­ser les ten­dances, les deve­nirs et les dis­tri­bu­tions tem­po­relles et géographiques.

Perception du risque par l’usager

Cer­tains risques iden­ti­fiés, en avons-nous pour autant une per­cep­tion objec­tive et ration­nelle ? Cela n’est pas tou­jours le cas. D’une part, parce que la connais­sance d’un risque ne signi­fie pas qu’il est évi­table. D’autre part, parce qu’entre la per­cep­tion et l’ac­tion il peut y avoir un gouffre fait de choix indi­vi­duels, de peurs, de pesan­teurs, d’in­sou­ciance, ou de pro­vo­ca­tion. Les fumeurs ou les conduc­teurs en état d’i­vresse sont bien pla­cés pour mon­trer qu’ils peuvent à la fois » ris­quer » leur san­té ou leur vie mais aus­si celle d’au­trui, en toute connais­sance de cause. La per­cep­tion du risque ne pro­cède pas seule­ment d’une infor­ma­tion éclai­rée et d’une atti­tude indi­vi­duelle. Elle requiert aus­si un enga­ge­ment social où la soli­da­ri­té est privilégiée.

Sensibilisation au risque

Le citoyen est de plus en plus sen­sible aux menaces sani­taires immé­diates, res­sen­ties dans le milieu de vie, comme les risques ali­men­taires, la pol­lu­tion de l’eau ou de l’air, la pol­lu­tion sonore, l’ex­po­si­tion pro­fes­sion­nelle. La sus­cep­ti­bi­li­té de l’o­pi­nion s’est majo­rée à l’oc­ca­sion d’é­pi­sodes récents ou plus anciens, tou­chant des domaines très divers, l’af­faire du sang conta­mi­né ou de l’hor­mone de crois­sance, l’é­pi­dé­mie de sida, les acci­dents nucléaires (Three Miles Islands, Tcher­no­byl), les catas­trophes envi­ron­ne­men­tales (Mina­ma­ta, Seve­so, Bho­pal, l’u­ti­li­sa­tion des défo­liants et autres armes chi­miques), la pol­lu­tion mari­time mas­sive (Amo­co Cadix, Eri­ka), l’af­faire de la » vache folle « , la cani­cule d’août 2003.

En France, l’ad­mi­nis­tra­tion a été consi­dé­rée comme trop peu impli­quée et insuf­fi­sam­ment réac­tive. Les dis­po­si­tifs mis en place sont appa­rus avoir moins pour objet l’ef­fi­cience que de ras­su­rer l’o­pi­nion publique, et peut-être plus encore les déci­deurs eux-mêmes, poli­tiques ou admi­nis­tra­tifs, dont la res­pon­sa­bi­li­té pénale est de plus en plus mise en cause.

Le pro­ces­sus de sen­si­bi­li­sa­tion des popu­la­tions passe par plu­sieurs étapes : infor­mer, écou­ter, débattre, pro­po­ser, déci­der. Impli­quer et moti­ver la popu­la­tion dans l’é­vo­lu­tion de la prise en charge des risques est essen­tiel et se des­sine autour des notions de soli­da­ri­té, d’ef­fi­ca­ci­té et de réactivité.

Décision et cohérence

La demande sociale ne peut pas se sub­sti­tuer à une éva­lua­tion scien­ti­fi­que­ment fon­dée du risque. Cepen­dant, la pres­sion exer­cée par l’o­pi­nion publique, le carac­tère dif­fus des risques encou­rus, la néces­si­té d’a­gir et la fai­blesse des moyens déve­lop­pés par les admi­nis­tra­tions res­pon­sables conduisent à des déci­sions dont la cohé­rence n’est pas tou­jours clai­re­ment objec­ti­vable et exposent à un usage immo­dé­ré du prin­cipe de pré­cau­tion. Ces der­nières années, la visi­bi­li­té des moyens affec­tés à la ges­tion des risques sani­taires s’est accrue avec la créa­tion des agences.

La ges­tion des risques néces­site une éva­lua­tion scien­ti­fique, mais aus­si, invite à un pro­ces­sus déli­bé­ra­tif impli­quant les par­ties inté­res­sées, fon­de­ment d’une ges­tion par­ti­ci­pa­tive. La per­cep­tion du risque fait l’ob­jet de recherches actives en sciences sociales. Une meilleure connais­sance des méca­nismes qui la fondent per­met­trait en effet aux déci­deurs de mieux com­prendre les pro­ces­sus à mettre en œuvre, voire d’an­ti­ci­per les réac­tions de l’opinion.

Il est indis­pen­sable de com­mu­ni­quer sur une déci­sion sani­taire. Cela néces­site de dif­fu­ser des infor­ma­tions sur la nature du risque, d’ex­pli­quer le bien-fon­dé de la déci­sion, de com­men­ter le sui­vi et les éven­tuelles consé­quences. La publi­ca­tion régu­lière des contrôles sani­taires comme celui de la qua­li­té des eaux de bai­gnade ou de l’air par­ti­cipe de cet objec­tif d’in­for­ma­tion des popu­la­tions. L’u­ti­li­sa­tion des sites Inter­net des agences per­met d’en­vi­sa­ger le contrôle de la qua­li­té des infor­ma­tions diffusées.

Une question de qualité

La norme ISO 8 402 défi­nit la qua­li­té comme » l’en­semble des pro­prié­tés et des carac­té­ris­tiques d’une enti­té qui lui confèrent l’ap­ti­tude à satis­faire des besoins expri­més ou implicites. »

La qua­li­té des soins peut être défi­nie comme le » niveau auquel par­viennent les orga­ni­sa­tions de san­té, en termes d’aug­men­ta­tion de la pro­ba­bi­li­té des résul­tats sou­hai­tés pour les indi­vi­dus et les popu­la­tions, et de com­pa­ti­bi­li­té avec l’é­tat des connais­sances actuelles. » Elle néces­site une approche sys­té­mique et trans­ver­sale. En effet, la qua­li­té des soins est le résul­tat d’un pro­ces­sus auquel par­ti­cipent de nom­breux pro­fes­sion­nels qu’ils soient soi­gnants ou non soignants.

Selon l’OMS, la qua­li­té en san­té est de » garan­tir à chaque patient la com­bi­nai­son d’actes diag­nos­tiques et thé­ra­peu­tiques qui lui assu­re­ra le meilleur résul­tat en termes de san­té confor­mé­ment à l’é­tat actuel de la science médi­cale, au meilleur coût pour un même résul­tat, au moindre risque iatro­gène et pour sa plus grande satis­fac­tion en termes de pro­cé­dure, de résul­tats et de contacts humains à l’in­té­rieur du sys­tème de soins. »

Démarche qualité

Pour les éta­blis­se­ments de san­té, les ordon­nances de 1996 sti­pulent l’o­bli­ga­tion de s’en­ga­ger dans des démarches d’a­mé­lio­ra­tion de la qua­li­té et de la sécu­ri­té. Cela a conduit à des pro­grès impor­tants dans la maî­trise sec­to­rielle des risques (risque infec­tieux noso­co­mial, vigi­lances régle­men­tées, risque anes­thé­sique, risque incen­die…) et a per­mis une prise de conscience de l’in­té­rêt des démarches trans­ver­sales impli­quant l’en­semble des pro­fes­sion­nels concernés.

La mise en place d’une poli­tique de ges­tion de la qua­li­té et des risques néces­site une prise de conscience de l’en­semble des pro­fes­sion­nels. Elle demande un chan­ge­ment cultu­rel et impose de repen­ser l’or­ga­ni­sa­tion. Gérer la qua­li­té, c’est mettre en place un pro­ces­sus de type mana­gé­rial qui implique l’en­semble des acteurs de l’or­ga­ni­sa­tion, afin d’as­su­rer la qua­li­té de pres­ta­tion et la satis­fac­tion du consom­ma­teur de service.

La sécu­ri­té à l’hô­pi­tal est un sujet crois­sant de pré­oc­cu­pa­tion de nos socié­tés qui ont connu récem­ment un déve­lop­pe­ment consi­dé­rable dans le domaine de la san­té. Elle relève de risques très poly­morphes. On dis­tingue clas­si­que­ment les risques com­muns à toutes les orga­ni­sa­tions qui sont liés à la struc­ture des bâti­ments (risque incen­die en par­ti­cu­lier), à la pro­tec­tion des per­son­nels (hygiène, sécu­ri­té et condi­tions de tra­vail), au pilo­tage socioé­co­no­mique du sys­tème (poli­tique, éco­no­mique, social) et les risques liés à l’ac­ti­vi­té de soins spé­ci­fiques à un éta­blis­se­ment de san­té, com­mu­né­ment appe­lés risque patient ou risque cli­nique. Le risque patient com­bine à lui seul plu­sieurs types de risques : le risque lié à la mala­die, à la déci­sion médi­cale et à la mise en œuvre de la démarche thérapeutique.

Qualité des soins

La qua­li­té, comme la ges­tion des risques, n’est pas un concept nou­veau pour les pro­fes­sion­nels de san­té. Tou­te­fois elles sont res­tées long­temps sec­to­rielles et d’é­vo­lu­tion sal­ta­toire. Ce qui a chan­gé récem­ment c’est d’une part la recon­nais­sance de la place de l’u­sa­ger en tant qu’ac­teur de sa san­té et d’autre part la volon­té d’en­trer dans une approche plus glo­bale de la ges­tion de la qua­li­té et des risques. Ce sont des démarches syner­giques, impli­quant l’en­semble des pro­fes­sion­nels concer­nés dans une démarche coor­don­née, uti­li­sant les res­sources allouées de façon plus opti­male, favo­ri­sant une meilleure orga­ni­sa­tion et une com­plé­men­ta­ri­té des acteurs.

La qua­li­té des soins paraît une évi­dence natu­relle, impli­cite pour les pro­fes­sion­nels de san­té, un objec­tif à atteindre. Elle est cepen­dant res­tée long­temps concep­tuelle, sans carac­té­ris­tiques réel­le­ment par­ta­gées par l’en­semble des acteurs concer­nés et qui ne sem­blait pas devoir » avoir de prix « . La notion de qua­li­té et de volon­té d’a­mé­lio­ra­tion conti­nue s’est lar­ge­ment tra­duite au tra­vers des pro­grès scien­ti­fiques, tech­no­lo­giques, grâce aux tra­vaux de recherche des équipes soi­gnantes, aux publi­ca­tions qui ont per­mis de par­ta­ger les expé­riences, aux recom­man­da­tions dif­fu­sées par les socié­tés savantes. Les agences dans le domaine de la san­té ont éga­le­ment contri­bué à conce­voir des approches plus homo­gènes pour la prise en charge des patients et des soins.

Les pro­fes­sion­nels de san­té, sou­cieux de faire face à la mala­die et d’a­mé­lio­rer la qua­li­té des soins, ont déve­lop­pé des actions des­ti­nées à appor­ter un béné­fice au patient, et à pré­ve­nir les risques. Les indus­triels ont mis à la dis­po­si­tion des pro­fes­sion­nels des maté­riels et des tech­niques de plus en plus sophis­ti­qués et sécu­ri­sés mais deman­dant des com­pé­tences dif­fé­rentes et la mise en place d’or­ga­ni­sa­tion et de pro­cé­dures appro­priées pour y répondre : for­ma­tion, véri­fi­ca­tion du maté­riel, sur­veillance spé­ci­fique des patients, vigi­lance, pro­to­coles de pré­ven­tion. Si les pro­grès scien­ti­fiques et tech­no­lo­giques ont incon­tes­ta­ble­ment per­mis une amé­lio­ra­tion consi­dé­rable de la prise en charge des patients, on assiste en revanche à une aug­men­ta­tion paral­lèle des risques liés à ces avancées.

Qualité, un enjeu de société

La ges­tion de la qua­li­té et des risques est un enjeu d’ac­tua­li­té et d’a­ve­nir à plu­sieurs titres dans le domaine de la san­té : satis­fac­tion des usa­gers, éthique, accré­di­ta­tion, moti­va­tion des pro­fes­sion­nels, res­pon­sa­bi­li­té indi­vi­duelle et col­lec­tive, rigueur dans l’or­ga­ni­sa­tion, effi­cience, ratio­na­li­sa­tion des coûts, poli­tique natio­nale, moti­va­tion de l’as­su­rance, concur­rence et pres­sion médiatique.

Le déve­lop­pe­ment d’une culture de sécu­ri­té de fonc­tion­ne­ment et d’a­mé­lio­ra­tion conti­nue de la qua­li­té (accré­di­ta­tion, cer­ti­fi­ca­tion, éva­lua­tion des pra­tiques, ges­tion des risques…) néces­site un chan­ge­ment cultu­rel, l’im­pli­ca­tion des pro­fes­sion­nels et des usa­gers, un accom­pa­gne­ment mana­gé­rial et l’é­va­lua­tion des résul­tats obte­nus. L’é­va­lua­tion est une notion ancienne, inhé­rente à l’ap­pren­tis­sage, mais de dif­fu­sion lente dans le domaine de la santé.

Qualité et allocation des ressources

Garan­tir le droit à la san­té étant un prin­cipe réga­lien, l’É­tat légi­fère de longue date en matière de sys­tème sani­taire, essen­tiel­le­ment pour ratio­na­li­ser les dépenses de san­té, mais éga­le­ment pour garan­tir la qua­li­té. Quelques textes d’im­por­tance jalonnent l’é­vo­lu­tion récente : la loi de sécu­ri­té sani­taire de 1998 qui pré­voit la décla­ra­tion obli­ga­toire de la iatro­gé­nie et des infec­tions noso­co­miales, l’i­ni­tia­tion des réseaux de soins qui ont pour objec­tif d’as­su­rer la conti­nui­té des soins, les ordon­nances de 1996 ins­tau­rant le concept de maî­trise médi­ca­li­sée des dépenses de san­té et met­tant en place l’ac­cré­di­ta­tion obli­ga­toire des hôpi­taux, le décret de 1999 met­tant en place l’é­va­lua­tion des pra­tiques sur la base du volon­ta­riat, la loi du 4 mars 2002 rela­tive aux droits des malades et à la qua­li­té du sys­tème de san­té, la loi rela­tive à la poli­tique de san­té publique d’août 2004, le plan hôpi­tal 2007, la nou­velle gouvernance.

À la fin des années soixante-dix, la crise éco­no­mique a obli­gé à une ratio­na­li­sa­tion accrue du sys­tème de san­té ; les années quatre-vingt, et notam­ment après l’af­faire du sang conta­mi­né, ont vu l’é­mer­gence de la notion de sécu­ri­té sani­taire avec une par­ti­ci­pa­tion plus active des patients deve­nus des usa­gers du sys­tème de soins : des » clients « . Une mul­ti­pli­ca­tion de normes sani­taires, la créa­tion des agences, l’of­fi­cia­li­sa­tion de la démo­cra­tie sani­taire, la loi » Kouch­ner » de 2002 ont sui­vi. L’é­vo­lu­tion des dépenses de san­té a pous­sé l’É­tat à la recherche d’une uti­li­sa­tion opti­male des res­sources avec une approche popu­la­tion­nelle de la qua­li­té des soins. En 2004, l’ins­tau­ra­tion du prin­cipe de la tari­fi­ca­tion à l’ac­ti­vi­té pour les hôpi­taux intro­duit un nou­veau mode de comp­ta­bi­li­té des dépenses. La qua­li­té devient une pré­oc­cu­pa­tion cen­trale des éta­blis­se­ments de soins en lien étroit avec les nou­velles moda­li­tés d’al­lo­ca­tion budgétaire.

La gestion des risques cliniques

La ges­tion des risques cli­niques concerne au pre­mier chef les acteurs des soins. Elle fait appel à des dis­ci­plines très diverses incluant, entre autres, la ges­tion des acci­dents et des crises, les aspects légaux, psy­cho­lo­giques ou les théo­ries de la cog­ni­tion. L’ap­proche vise à ins­tau­rer une culture de pra­tiques sûres pour les struc­tures de soins, pre­nant en compte dans l’a­na­lyse les fac­teurs humains. Elle passe par une des­crip­tion des déci­sions orga­ni­sa­tion­nelles et de la ges­tion des pro­ces­sus. Elle requiert l’in­té­gra­tion des liens concep­tuels et mana­gé­riaux qui existent entre d’une part la ges­tion du risque et, d’autre part, les diverses tâches qui ont la qua­li­té pour objet (ges­tion de la qua­li­té, assu­rance qua­li­té, amé­lio­ra­tion de la qua­li­té), ou la qua­li­té pour objec­tif (l’au­dit clinique).

On note­ra enfin que la moti­va­tion des plaintes des patients est rare­ment en rap­port avec ce qu’un four­nis­seur de ser­vice per­çoit comme une erreur, per­cep­tion qui à son tour se super­pose très impar­fai­te­ment à ce que les tri­bu­naux consi­dèrent comme un dommage.

Risque et assurance sociale

Les risques sociaux changent de nature et de struc­ture, qu’il s’a­gisse du risque lié aux nou­velles tech­no­lo­gies (sang conta­mi­né, infec­tions noso­co­miales), ou aux vitesses de pro­pa­ga­tion (épi­dé­mie de sida, SRAS). Il n’y a pas de recherche scien­ti­fique, d’in­no­va­tion tech­no­lo­gique sans inter­ro­ga­tion sur leurs risques, sur les consé­quences qu’elles impliquent, sur leurs coûts sociaux et sur les prin­cipes de solidarité.

Plu­sieurs approches ont été déve­lop­pées pour se pré­mu­nir comme la pré­voyance, la pré­cau­tion ou la pré­ven­tion. La pré­voyance concerne l’at­ten­tion qui est por­tée aux dan­gers poten­tiels néces­si­tant la pru­dence pour soi et pour autrui. La pré­cau­tion se fonde sur une action lucide et fon­dée sur les preuves. Elle se déploie quand l’a­léa menace et qu’au­cune parade n’est envi­sa­geable. Elle n’a pas pour objet de s’ou­vrir en para­pluie pour consti­tuer un abri trom­peur et fra­gile qui ralen­ti­rait voire empê­che­rait de mettre en place une poli­tique cohé­rente de pré­ven­tion. La pré­ven­tion est diri­gée vers la sup­pres­sion des fac­teurs de risque des mala­dies et repose sur l’i­dée que la sup­pres­sion d’une cause empêche la maté­ria­li­sa­tion de ses effets.

Ces concepts contri­buent à struc­tu­rer l’as­su­rance sociale car la ges­tion des risques ne pour­rait se suf­fire de régu­la­tions indi­vi­duelles, pri­va­tives et mar­chandes. L’ex­ter­na­li­sa­tion d’un maxi­mum de risques sur l’autre ne peut pas non plus fon­der un prin­cipe de régu­la­tion. La ges­tion col­lec­tive du risque appelle des notions de soli­da­ri­té mais aus­si de res­pon­sa­bi­li­sa­tion. Nous par­ti­ci­pons en effet à la genèse de cer­tains risques (le nucléaire ou l’a­li­men­taire) et notre res­pon­sa­bi­li­té est enga­gée (sang conta­mi­né, vache folle). La mise en place de l’é­va­lua­tion de ces risques et de leur pré­ven­tion consti­tue un enjeu de socié­té. On ne peut faire l’é­co­no­mie de l’ap­pré­cia­tion appro­priée des risques et de leurs dimen­sions sociales. L’Homme face à ses risques doit défi­nir les approches appro­priées pour en acqué­rir la maî­trise, en par­ti­cu­lier dans le domaine de la santé.

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