Quand l’École polytechnique initie à l’histoire
Vincent Guigueno (88) montre le rôle du compagnonnage notamment polytechnicien dans son évolution vers l’histoire. Il rencontre véritablement cette discipline à Polytechnique grâce aux historiens professionnels dont il suit les cours.
Comment es-tu passé de l’X à une pratique professionnelle comme historien ?
Il s’écoule dix ans entre mon arrivée à Palaiseau, après un an de service dans la Marine, et la soutenance d’une thèse d’histoire consacrée au service des phares, en décembre 1999. L’X a joué un rôle fondamental dans ce passage d’un goût prononcé pour l’histoire à un poste d’enseignant-chercheur. J’y rencontre pour la première fois des historiens professionnels. Le premier d’entre eux est Christian Delage, dont je suis le cours d’histoire du temps présent et qui dirige un mémoire HSS, consacré à l’émission de Marc Ferro, Histoire parallèle. Plus tard, je fais la connaissance d’Amy Dahan, également enseignante à l’École, d’Antoine Picon de la promotion 76 (voir article p. 36) et de Dominique Pestre, qui préparent activement le colloque scientifique du bicentenaire, La Formation polytechnicienne (1993). J’y donne ma première communication, consacrée au statut des élèves juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, sujet auquel je consacrais mon temps libre en découvrant dans les archives ce qu’est le travail. Un an plus tard, nous présentons, avec Christian Delage qui en est le réalisateur, un film de fiction consacré à cette période, La Petite Patrie. Soulever cette part d’ombre dans l’histoire de l’institution nous paraissait fondamental, à une époque où des anciens tressaient des lauriers au « camarade » Jean Bichelonne (1923), qui accompagna Pétain jusqu’à Sigmaringen. La période contemporaine nous montre que la vérité sur la période de Vichy est toujours un combat pour l’histoire. Nous l’avons mené en son temps avec Marc Olivier Baruch de la promotion 75 (voir article p. 30) au sein de l’association X Résistance, aux côtés de grandes figures telles que Serge Ravanel (39) et Robert Saunal (40), compagnons de la Libération.
“L’histoire est assez éloignée au fond du style d’enseignement de l’X.”
Quelles spécificités cette formation t’a‑t-elle apportées dans la pratique de ce métier ?
Dans le champ de l’histoire des sciences et des techniques, la formation polytechnicienne constitue sans doute un atout pour comprendre les sources, mais également les acteurs de l’histoire. Travaillant pour ma thèse sur les ingénieurs du service des phares, je n’étais pas impressionné par les écrits de Fresnel (1804) et de ses successeurs. Mais le métier s’apprend surtout par compagnonnage, au contact des collègues et des maîtres de la discipline. Je me souviens en particulier du séminaire de Roger Chartier, consacré à l’histoire du livre et de la lecture, que je suivais à l’EHESS alors que j’étudiais rue des Saints-Pères. L’histoire est une formation longue, quotidienne, parfois solitaire, à la manière des arts martiaux, assez éloignée au fond du style d’enseignement dispensé à l’X.
Existe-t-il un lien entre tes domaines de spécialisation et ton passage par l’X ?
Je n’aime pas trop l’idée de spécialisation, même si, bien sûr, l’historien s’attache à des périodes et des objets spécifiques. Dans cette perspective, je dois sans doute plus à l’École des ponts, où j’ai effectué ma formation complémentaire et préparé ma thèse, sous la direction d’Antoine Picon (voir l’article ci-après). Les deux années à l’X ont été décisives pour m’engager dans la voie de la recherche, mais c’est aux Ponts que je m’oriente vers l’histoire des techniques, l’histoire maritime… J’y enseigne toujours l’histoire des transports et de la mobilité. Mais j’ai conservé de l’X le premier sujet qui m’avait intéressé, la relation entre l’histoire et le cinéma. Sans doute parce que, avec Christian Delage, nous avons cultivé cette passion commune dans plusieurs publications, dont un manuel intitulé L’historien et le film. Un chapitre y est d’ailleurs consacré à notre expérience cinématographique du bicentenaire de l’X.