Quand les forestiers innovent ensemble
REPÈRES
REPÈRES
En 2006, après les tempêtes de 1999 et la canicule de 2003, le milieu forestier prend pleinement conscience que le changement climatique est là, avec des événements extrêmes catastrophiques, qui dessinera le visage de la forêt de demain. Phénomène lent mais inexorable ? Une alternance d’événements catastrophiques et de périodes calmes ? Des différences d’impacts selon les régions ? Le passage de Klaus en 2009, les années sèches d’après 2003 confirment la sensibilité des forêts françaises aux perturbations d’origine climatique
La forêt, tel un boxeur, reçoit des coups, résiste, récupère, mais un coup supplémentaire la met K.-O. Les arbres encaissent les coups, visibles sur les cernes du bois, et une fois les réserves épuisées, finissent par dépérir puis mourir. Ils peuvent aussi mourir au premier coup si celui-ci est intense. À ce jour, on ne sait pas tout expliquer.
Cinq thèmes de travail
Forts de ces constats, les forestiers publics et privés ont été très actifs sur ce thème, en repérant les principales questions qui se posent pour préparer les forêts à ces changements.
Un coup supplémentaire met la forêt K.-O.
Cinq thèmes ont été identifiés : les stations forestières (concept forestier qui associe un sol, un climat, une essence, une topographie, un peuplement), la vulnérabilité des forêts, la génétique, la sylviculture et la croissance, et enfin l’économie.Ils ont fait l’objet d’une soixantaine de questions aux chercheurs.
De leur côté, la Forêt publique et la Société forestière de la Caisse des dépôts et consignations ont mené des actions équivalentes.
En 2007, le ministère de l’Agriculture confie une mission à Bernard Roman-Amat pour préparer les forêts au changement climatique. Ce dernier conseille la création de plusieurs réseaux mixtes technologiques (RMT). Finalement, un seul d’entre eux, avec plusieurs axes de travail, est privilégié par les partenaires forestiers. Coordonné par l’Institut technique forestier (IDF), il voit le jour à l’automne 2008.
La force d’un réseau
La première finalité du réseau est la mise au point d’outils d’aide à la décision permettant au gestionnaire de réduire la vulnérabilité des peuplements aux évolutions climatiques attendues. Le réseau Aforce est labellisé pour trois ans par la Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER). Le financement est assuré par le ministère en charge des Forêts, dont dépend la gestion forestière.
Côté recherche
Des appels à projets de recherche lancés par l’Agence nationale de la recherche (ANR) ou à l’échelle européenne ont été consacrés aux impacts et à l’adaptation des forêts au changement climatique (VMCS, Agrobiosphère, etc.), permettant de financer des projets portant sur la vulnérabilité des écosystèmes au changement climatique (Climator, Dryade, Qdiv, Drought +, etc.).
Le séminaire de mi-parcours, tenu en septembre 2010, a mobilisé une centaine de personnes autour des projets menés par les partenaires du réseau. Le réseau s’y est révélé comme installé dans le paysage forestier, et les premiers effets de ses actions se font déjà sentir : intégration de nouvelles mesures adaptatives dans les documents de gestion, mise à jour du choix des essences dans les catalogues et guides de stations, etc.
Il semble qu’il ait aussi, comme en témoignent certains, des effets indirects et qu’il contribue à créer de nouveaux réflexes autour de l’adaptation des forêts au changement climatique.
Un défi important pour le réseau Aforce est de s’assurer un financement pour les années à venir, mais aussi d’en diversifier les sources, en impliquant davantage les partenaires. C’est donc par la rencontre, le dialogue, les échanges lors des ateliers entre les besoins des gestionnaires et l’offre de connaissances des chercheurs que s’élabore le programme d’actions du réseau Aforce. Au-delà du besoin de s’entendre sur la construction d’un langage commun, il s’agit que chercheurs et forestiers se comprennent.
Prudence, variabilité, incertitudes
En novembre 2011, l’Inra, le GIP Ecofor (Groupement d’intérêt public Écosystèmes forestiers) et le RMT se sont associés pour organiser un séminaire de restitution des projets de recherche sur la vulnérabilité des forêts au changement climatique.
Les conditions climatiques à venir vont être bien moins favorables qu’aujourd’hui
Le constat de cette journée est triple : prudence, variabilité et incertitudes. Rien de révolutionnaire ? Les conditions climatiques à venir vont être bien moins favorables qu’aujourd’hui. De plus, même si l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère a eu, jusqu’à présent, un effet positif sur la croissance, elle ne suffira pas, à terme, lorsque le manque d’eau annoncé sera plus sévère l’été. Les chercheurs mettent notamment en garde sur la récurrence des sécheresses et les effets néfastes des alternances entre excès et manque d’eau. Les sols à faible réserve en eau doivent faire l’objet d’une surveillance particulière.
Les résultats des projets s’accordent sur l’importance des effets du changement climatique sur les pins, le chêne pédonculé et le chêne sessile. C’est pour le hêtre que les résultats sont les plus divergents. Il reste encore des inconnues à lever. Dans tous les cas, pour ces essences, seules des tendances d’évolution sont données.
Adapter les essences au climat
Pour anticiper ces impacts, les principales recommandations évoquées au cours de la journée ont été d’adapter les essences au climat futur en tenant compte du déplacement des aires, de rechercher la meilleure adéquation essences-sol en tenant compte de la réserve en eau, de privilégier des espèces moins exigeantes en eau, notamment feuillues, et enfin de réduire les densités et de contrôler les ravageurs.
Les certitudes ont été distinguées des incertitudes qui ne peuvent encore être levées. Il reste à présent à s’emparer de ces résultats pour aller jusqu’au bout du transfert et apporter ainsi aux gestionnaires les outils pour mieux prendre en compte le risque climatique : mieux connaître les exigences des essences forestières, leurs limites climatiques ; mieux prendre en compte la vulnérabilité dans les guides de sylviculture et dans les directives ; progresser dans le diagnostic de la vulnérabilité et former à sa mise en oeuvre.
Des actions spécifiques
Des actions spécifiques ont été développées par le RMT Aforce : appel à projets, appel à idées, ateliers, séminaires, site Internet, forum, et une organisation qui permet d’impliquer les partenaires en fonction de leurs compétences dans les cinq thèmes de travail du réseau.
Le RMT Aforce propose chaque année des appels à projets permettant le soutien d’initiatives de recherche et développement sélectionnées en tenant compte des préoccupations et des interrogations des gestionnaires. Il a jusqu’à ce jour permis la réalisation de quinze projets dont certains sont encore en cours.
Ces projets portent chacun sur l’une des cinq thématiques de travail du réseau : 1) évolution des stations forestières, 2) vulnérabilité des peuplements, 3) gestion, valorisation et conservation des ressources génétiques, 4) croissance et sylviculture des peuplements, 5) évaluation économique des décisions de gestion.
Parmi les thèmes traités par les projets sélectionnés, priorité a été donnée à l’alimentation en eau des sols comme facteur primordial d’évolution des stations, comme facteur de vulnérabilité des essences forestières.
Interactions entre les acteurs forestiers
Objectifs pour 2012 et 2013
En 2012 et 2013, Aforce concentre ses moyens sur la mise en place de trois groupes de travail multiorganismes, animés par un duo recherche et gestion :
► GT1 : diagnostic stationnel et choix des essences ;
► GT2 : gestion de l’eau dans la sylviculture des peuplements existants ;
► GT3 : création et renouvellement des peuplements.
Ces groupes ont pour vocation de produire des recommandations concrètes et des éléments d’aide à la décision et à l’action pour les agents du développement, gestionnaires et décideurs et surtout de donner les clés pour éviter les principales erreurs. Leur enjeu est de taille : créer de nouveaux comportements de gestion préventive pour limiter le risque.
Si les professionnels forestiers constituent la cible prioritaire, cependant les formations initiales avec l’enseignement technique et le milieu agricole font partie des publics cibles du réseau.
L’originalité du RMT Aforce est d’avoir impliqué de manière importante l’enseignement technique afin de nouer des contacts entre les chercheurs et les enseignants, et les enseignants et les forestiers. Il s’agit de faire entrer les impacts du changement climatique dans les programmes des enseignements techniques, pour la formation des futurs conseillers des forestiers dans les années à venir.
Le RMT Aforce a organisé une formation des enseignants techniques en octobre 2012. Il reste cependant un gros travail de communication pour faire connaître les résultats des projets et des différentes actions du réseau auprès des cibles que sont les forestiers de terrain, les conseillers, les experts, les techniciens. Le réseau apportera une attention toute particulière à ce que les informations soient correctement transmises aux enseignants techniques qui assurent la formation des futurs conseillers techniques des propriétaires forestiers.
Soutenir l’enseignement
Le réseau soutient, par ailleurs, toute action susceptible de faire progresser le transfert des connaissances et d’aider à la mobilisation de l’information. Il a, par exemple, organisé, au cours des trois dernières années, cinq ateliers. Le but de ces derniers était d’informer sur les outils disponibles ou innovations transférables au développeur, de faire progresser la réflexion sur les axes de travail du réseau et d’encourager l’incubation de nouveaux projets.
Impacts du changement climatique sur les forêts
Nouer des contacts entre chercheurs et enseignants, et forestiers
Des dispositifs existent sous l’égide de l’IGN, de l’ONF, du Département Santé des forêts (ministère en charge des Forêts), qui permettent de fournir des données nationales. Sous l’impulsion des plans climat territoriaux, les régions se lancent dans des initiatives régionales avec des objectifs et des méthodes sans harmonisation.
Le but de cet atelier est de rassembler les responsables de ces observatoires pour échanger les méthodes, les objectifs et proposer un minimum d’indicateurs communs pour disposer d’une base de comparaison concernant la forêt, rechercher une cohérence globale entre les actions.
L’arbre hors forêt face au changement climatique
À la demande des partenaires agricoles du réseau, une rencontre entre forestiers et agronomes fera le point des initiatives d’introduction et de gestion de l’arbre dans le monde agricole et identifiera les questions et les sujets sur lesquels les forestiers peuvent apporter leur expertise pour éclairer les agronomes, et vice versa. À l’issue de cet atelier, il sera envisagé de monter des projets de R&D.
Restitution des projets du réseau
Réorienter la sylviculture
Au niveau technique, on a quelques idées à confirmer pour réorienter la sylviculture, axées sur la réduction du stress hydrique aussi bien au moment de la plantation et des entretiens que de la conduite des peuplements. Il semble judicieux de privilégier, par exemple, les peuplements à densité faible (futaie claire) ou de favoriser les mélanges d’essences ou de provenances (à la plantation ou en enrichissement de peuplements existants) bien qu’ils soient plus difficiles à conduire, pour « ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier ».
Il s’agit de faire part des résultats des quinze projets financés par le réseau : l’ouverture du réseau (extension du partenariat vers l’aval notamment et amélioration des liens avec la recherche et avec l’enseignement) et la consolidation de son positionnement sur la thématique de l’adaptation des forêts au changement climatique. Enfin, le réseau est retenu comme partenaire d’actions prévues dans le Plan national d’adaptation au changement climatique, ce qui constitue une reconnaissance de son rôle et une garantie de sa pérennité.
Quelles stratégies d’adaptation ?
Face à ces phénomènes complexes, incertains, le sylviculteur doit faire preuve de discernement et s’assurer qu’il comprend ce qu’il se passe dans sa parcelle : Quel est le climat ? Quelle a été son évolution ces dernières décennies ? Quel est l’état sanitaire des arbres ? Quelle est la station ? Les essences sont-elles en station ?
Le besoin de connaissances est crucial
Le sylviculteur peut se sentir démuni face à une évolution aussi rapide à l’échelle des rythmes forestiers. Le besoin de connaissances est crucial dans de nombreux domaines. Le diagnostic actuel et « prospectif » des stations1 comprend le climat actuel et son évolution au cours des dernières décennies, l’état sanitaire des arbres, l’état du sol et de la station. Celui-ci est devenu indispensable avant de décider de l’installation de nouvelles essences ou du maintien d’essences en place. Comment les facteurs limitants de la croissance vont-ils évoluer en un siècle sous la pression du climat ?
Deux nouveaux partenaires
En 2012, le réseau s’est associé deux nouveaux partenaires : l’APCA et la Bergerie nationale de Rambouillet (un des cinq établissements du Système national d’appui à l’enseignement agricole). Il bénéficie également, depuis fin 2011, d’un nouveau soutien financier conséquent de la part de France Bois Forêt, qui vient s’ajouter aux contributions des partenaires et aux subventions du Ministère en charge de l’Agriculture et de la CDC recherche climat.
L’autécologie des essences est un second point à préciser, notamment pour réorienter les programmes d’amélioration génétique. Quelles sont les essences les plus résistantes au stress hydrique ? La tentation est grande d’appeler à la rescousse des essences exotiques, notamment résineuses, mais dont les caractéristiques sont encore largement inconnues. Pratiquer une sylviculture dynamique, avec réduction des révolutions, lorsque c’est possible, tous les cinquante ans, pour maintenir des peuplements sains, stables, plus résistants à la sécheresse mais aussi aux tempêtes et aux attaques de parasites, est une tendance qui semble se dégager mais qui n’emporte pas l’adhésion de tous.
Les réseaux de surveillance seront aussi à renforcer, tant au niveau phytosanitaire que vis-à-vis des incendies (infrastructures à prévoir). Tous ces axes sont débattus dans le cadre du RMT Aforce.
Un moment charnière pour la forêt
La forêt française est aujourd’hui dans une situation charnière, à la fois comme cible du changement climatique et comme moyen de l’atténuer. Plusieurs de nos essences ancestrales sont menacées à l’horizon du siècle, des certitudes techniques sont à reconsidérer, des recherches sont à réorienter.
Le sylviculteur doit s’assurer qu’il comprend ce qu’il se passe dans sa parcelle
Après un grand dynamisme de reboisement jusqu’à la fin des années 1980 soutenu par le Fonds forestier national, le soufflé est retombé sous l’effet de la réduction des investissements et de catastrophes à répétition.
Les évolutions climatiques, brutales à l’échelle des cycles forestiers, lui porteront-elles le coup de grâce ou seront-elles l’occasion de redynamiser la filière ? Depuis son lancement en 2008, Aforce a mis en place diverses actions visant à aider les gestionnaires à préparer les forêts au changement climatique.
Il s’est ainsi intégré peu à peu dans le paysage forestier, et les premiers effets de ses actions sont visibles. Il contribue à créer de nouveaux réflexes autour de l’adaptation des forêts. L’action du réseau est collective et bénéficie d’une complémentarité recherche et développement. La souplesse de son cadre de travail lui permet d’être réactif et porteur d’initiatives nouvelles.
Développer les échanges
Des connaissances pour de bons diagnostics
Le rôle du RMT est de contribuer à accélérer le transfert des connaissances vers les forestiers, pour qu’ils posent les bons diagnostics de leurs forêts et définissent des stratégies d’adaptation efficaces.
C’est au travers des échanges nombreux et fructueux ayant lieu lors des ateliers et séminaires, entre les besoins des gestionnaires et l’offre de connaissance des chercheurs, que s’élabore le programme d’action du réseau. Ses appels à projets sont une nouvelle voie de transfert appréciée tant par les gestionnaires que par la recherche et qui ne trouvent pas d’équivalent ailleurs. Le renouvellement de la labellisation du réseau pour une période de deux ans (2012−2013) est une opportunité pour lui de poursuivre ses actions.
Des efforts particuliers vont être apportés pour finaliser le transfert, renforcer et ouvrir son partenariat, et produire pour le développement les recommandations et ingrédients nécessaires à guider la décision de gestion. Il continuera, par ailleurs, à produire de nouvelles connaissances et synthèses.
Jusqu’à présent, le réseau avait mis l’accent sur la première phase du transfert pour récupérer les enseignements des résultats de la recherche. Il doit à présent passer à la deuxième phase pour réussir à guider plus efficacement le gestionnaire dans ses choix.
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1. Une station est une étendue de terrain bénéficiant de conditions homogènes de climat, sol, topographie et végétation.