Quand l’IA et la data science contribuent au développement de la filière hydrogène…
Christophe Geissler (École normale supérieure et actuaire), Fondateur et CSO, et David Grimbert (Executive Master promotion 4 de l’Ecole Polytechnique), Directeur Général, nous expliquent comment Advestis accompagne le développement de la filière hydrogène en capitalisant sur la data science et l’intelligence artificielle. Rencontre.
Au cœur de votre activité, on retrouve la data science et l’IA. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre positionnement ?
David Grimbert : Advestis, fondée en 2011 par Christophe Geissler, réalise des projets de data science avec des experts métier et met en production des pipelines d’apprentissage automatique. Au fil des années, nous avons développé une expérience avérée en réalisation et en déploiement d’outils de data science.
Notre proposition de valeur consiste à mettre à la disposition des entreprises l’ensemble des ressources en matière de science des données et d’intelligence artificielle afin d’accélérer la résolution des problèmes techniques rencontrés dans des situations complexes en raison de la multiplicité des données.
Ainsi, en 2014, nous avons été une des premières entreprises françaises à proposer des méthodes d’exploitation systématique des notes ESG attribuées aux entreprises par les agences de notation extra-financière. Les techniques d’apprentissage automatique se sont révélées essentielles pour identifier des profils types d’entreprises, caractérisés par certaines combinaisons de scores. Ces méthodes et combinaisons ont permis d’établir des corrélations entre ces profils et l’évolution du marché des actions. L’algorithme est utilisé depuis 2019 dans un fonds d’actions d’Ecofi Investissements.
Vous mettez vos expertises en data sciences et IA au service du développement de l’hydrogène dont les systèmes sont caractérisés par une très forte complexité. Qu’en est-il ?
Christophe Geissler : En effet, la complexité des systèmes à hydrogène se retrouve à deux niveaux :
- Les technologies de production, de stockage et de conversion de l’hydrogène évoluent rapidement, tandis que la filière est constituée de petits projets. Les données sont éparses, alors que la combinatoire des situations et les variables cachées sont complexes. En outre, les technologies sont difficiles à modéliser d’un point de vue physique. En effet, une application typique de l’hydrogène implique de nombreux dispositifs (un électrolyseur, un compresseur pour stocker l’hydrogène, un dispositif de stockage, une pile pour convertir de nouveau l’hydrogène en courant électrique, etc.) qui, chacun, dispose de ses propres modèles. Leur réunion en un seul et même système crée cette complexité notamment due aux nombreuses situations physiques, qu’on ne maîtrise pas encore parfaitement. À ce niveau de complexité, l’IA permet de proposer des modèles basés sur des données plutôt que d’imposer des modèles physiques ;
- Au niveau des applications, notamment dans le domaine de la gestion de l’énergie domestique, nous nous intéressons aux micro-réseaux avec des sources d’énergie renouvelable et un stockage réversible de l’hydrogène. Actuellement, il n’existe pas de modèle mathématique pour ces systèmes dynamiques et instables, principalement en raison des incertitudes qui les entourent, notamment celles liées à la production d’énergie renouvelable et à la demande des consommateurs. Comment gérer un tel système et prendre la bonne décision à un instant T en matière de stockage, de consommation d’énergie ou de revente ? En l’absence de modèles mathématiques prédéfinis, la modélisation par apprentissage peut aider à résoudre ce problème d’optimisation. Ces techniques d’aide à la décision, que l’on retrouve dans le contexte aléatoire des marchés financiers et dans lesquelles nous avons développé une expertise avérée, peuvent ainsi être déployées pour la gestion des réseaux énergétiques.
Dans cette continuité, vous travaillez sur trois cas d’usages avec des partenaires industriels et des laboratoires de recherche. Quels sont-ils et quelles sont leurs finalités ?
C.G : Commençons avec le cas d’usage qui est le plus proche de la physique. Il s’agit d’une collaboration avec le laboratoire Femto de Belfort, qui est pionnier dans le test et la certification industrielle des piles à hydrogène. Dans le cadre de cette collaboration scientifique, des techniques d’IA sont développées pour résoudre deux problèmes majeurs. Le premier problème concerne la réduction des délais de mise sur le marché des piles à hydrogène en raccourcissant le temps passé sur les bancs d’essais. Dans ce cadre, nous utilisons les modèles génératifs (Generative Adversarial Networks), qui sont connus pour leur performance dans le domaine des images, et que nous avons transposés dans le traitement des séries temporelles issus des essais. Nous arrivons ainsi à produire des données artificielles qui permettent de réduire le temps effectif passé sur le banc d’essai et d’avoir des gains de productivité. Concrètement, les résultats de nos travaux montrent une réduction du temps de test avant le lancement d’un produit de plusieurs milliers d’heures à quelques heures seulement. Le deuxième problème consiste à prédire la durée de vie restante des piles à hydrogène. Afin d’optimiser le service de la pile et de minimiser les coûts/risques de son cycle de vie, un suivi continu du processus de vieillissement et une prédiction précise de sa durée de vie sont nécessaires. L’utilisation des ESN (Echo State Networks) va permettre de prédire la tension de sortie de la batterie, qui est considérée comme un indicateur fiable de sa santé. Ces réseaux légers sont rapides à entraîner et contrastent avec les paradigmes actuels concernant les très grands réseaux neuronaux profonds utilisés pour les images et le traitement du langage naturel (NLP).
En collaboration avec le LaTEP (Laboratoire de Thermique, Energétique et Procédés), nous travaillons sur l’intégration de l’hydrogène comme moyen de stockage d’énergie dans le cadre d’une application pour les réseaux d’énergie de petite taille (micro-grids). Le dimensionnement d’un micro-réseau consiste à trouver la combinaison d’équipements la plus appropriée pour alimenter un système donné. Il s’agit de décider quelles technologies doivent être utilisées et en quelle quantité. Dans tous les cas, il faut faire des prévisions sur la consommation (et très souvent sur le prix de l’électricité ou du gaz) pour 10 voire 20 ans ! Dans ce contexte, l’IA permet de créer un grand nombre de scénarios et d’évaluer la robustesse de différents dimensionnements. Nous pouvons ainsi limiter les effets négatifs de l’incertitude inhérente à de telles prévisions en choisissant des dimensionnements plus résistants aux fluctuations.
Ensuite se pose la question du contrôle et du pilotage des micro-réseaux : le kWh d’électricité doit-il être autoconsommé à un moment donné ? Doit-il être stocké ? Faut-il le convertir en hydrogène ? ou doit-il être revendu ? Aujourd’hui, une fois les systèmes installés, on ne sait pas exactement comment ils vont fonctionner. S’il existe des lois physiques, elles sont basées sur des coefficients propres à chaque modèle qui ne sont pas entièrement connus. Et si elles existent, elles ne modélisent pas avec suffisamment de précision le comportement réel d’un appareil donné pour un usage donné dans un environnement donné. L’approche proposée par Advestis s’articule autour de plusieurs étapes. Tout d’abord, nous observons le comportement des différents appareils du système, puis nous créons des jumeaux numériques, c’est-à-dire des images numériques qui reflètent le comportement des appareils. Ensuite, nous simulons un grand nombre de situations que le système pourrait rencontrer et nous les affectons séquentiellement à un petit nombre de groupes représentatifs, appelés clusters. Enfin, on détermine la meilleure stratégie de contrôle pour chaque cluster. Cette procédure doit être effectuée régulièrement pour s’habituer à l’évolution du système.
Aujourd’hui, quels sont vos vues, enjeux et perspectives ?
D.G : Pour les entreprises, l’émergence constante de nouvelles technologies rend de plus en plus difficile, voire impossible, l’exécution de toutes les tâches de R&D en interne. Cela vaut également pour la mise en place des pipelines pour le traitement des données et l’apprentissage automatique. Au-delà, parce que l’intelligence n’est pas seulement artificielle, notre défi consiste à rester une entreprise apprenante. Dans ce contexte nous constatons qu’Advestis, en tant que société de recherche sous contrat (CRO) spécialisée dans la science des données, est considérée par plusieurs ESN comme un relai de croissance. Ces ESN sont en effet à la recherche d’une différenciation via de nouveaux segments qui apportent une valeur ajoutée à leur offre de services existante.
L’une d’entre elles suggère même un rapprochement, ce qui offrirait des synergies technologiques, un marché plus large pour nos contrats de recherche et un service plus complet à leurs clients en termes de ressources hautement spécialisées.
Nous étudions actuellement les possibilités et l’opportunité d’une telle alliance.