Quand l’IA et les nouvelles technologies accélèrent la recherche pharmaceutique
Quentin Perron, docteur en chimie et cofondateur d’IKTOS, nous explique comment cette jeune pousse française a développé deux technologies de pointe pour optimiser la recherche de candidat – médicaments. Rencontre.
Comment est née votre start-up ?
C’est avant tout le fruit d’une aventure humaine et de ma rencontre avec Yann Gaston-Mahé (X2000) et Nicolas Do Huu, docteur en intelligence artificielle. Après un passage chez Servier où j’ai principalement fait de la chimie médicinale, j’ai rejoint une start-up parisienne afin de développer une offre en machine learning dédiée à la chimie. C’est à partir de là que nous avons eu l’idée, avec Nicolas, de travailler sur des modèles génératifs basés sur les technologies NLP (Natural Language Processing) applicables à la chimie. Concrètement, l’idée de départ a été d’encoder les molécules sous forme de texte afin de les soumettre à des algorithmes d’IA. À l’instar des IA qui génèrent du texte (ChatGPT) notre IA a ainsi été entrainée pour imaginer de nouvelles molécules. Nous avons fait plusieurs tests concluants et avons ainsi développé les premiers modèles génératifs pour imaginer de nouvelles molécules dès 2015. À partir de là, nous nous sommes rapprochés de Yann, qui avait une longue expérience dans le monde pharmaceutique, notamment au sein de Servier et Ipsen, afin de créer la société.
Aujourd’hui, quel est votre positionnement ?
IKTOS est positionné sur le segment de la recherche de candidat-médicament. Dans le monde de la recherche médicale et pharmaceutique, la découverte d’un candidat-médicament est un processus extrêmement long. Prenons une analogie. C’est une démarche qui s’apparenterait à l’étude d’une serrure (protéine, enzyme…) afin de lui identifier la bonne clé (molécule). Et c’est justement la découverte de cette clé qui prend plusieurs années. Dans le processus de développement d’un médicament, cette étape est en amont des essais cliniques, c’est le domaine de la chimie médicinale ou encore du « drug design ». Dans ce cadre, l’ambition d’IKTOS est d’aider à designer cette « clé » en réduisant les délais et les coûts de 30 à 40%, qui sont en moyenne respectivement de trois ans et une douzaine de millions d’euros.
Nous avons lancé notre activité en 2017 et, aujourd’hui, nous sommes une cinquantaine de personnes réparties entre notre siège à Paris, et nos antennes aux États-Unis, en Angleterre et au Japon.
Vous proposez d’ores et déjà deux technologies : un modèle génératif et la rétrosynthèse. À quels enjeux et problématiques permettent-elles de répondre ?
Notre ambition est d’appliquer le potentiel de l’intelligence artificielle à la chimie organique et à la chimie médicinale en particulier. Pour ce faire, nous avons développé deux solutions technologiques. La première, Makya, est une plateforme de logiciel dite de « de novo design » sur laquelle un chimiste va soumettre les données de son projet afin que Makya imagine et génère automatiquement de nouvelles molécules qui sont prédites optimales sur un ensemble d’objectifs prédéfinis par le chimiste.
Jusque-là, le design des molécules était un exercice réalisé par un chimiste qui mobilisait ses connaissances, ses expertises et son expérience pour imaginer de nouvelles structures moléculaires. Grâce à notre solution, Makya extrait automatiquement, à partir des données du projet de chimie médicinale qui lui est soumises, des lignes directrices pour designer via l’IA une molécule qui va maximiser les objectifs du projet. Makya vient ainsi assister les chimistes dans cet exercice de design de nouvelles molécules.
« Notre ambition est d’appliquer le potentiel de l’intelligence artificielle à la chimie organique et à la chimie médicinale en particulier. »
Dans le cadre de cette génération de nouvelles molécules, l’enjeu est que ces dernières puissent ensuite être facilement produites. Si l’intelligence artificielle va trouver des molécules qui sont « a priori » actives, stables, solubles, non toxiques… encore faut-il qu’elles puissent être synthétisées dans un délai et à un coût raisonnable par un laboratoire ! Conscients de cette contrainte, nous avons créé une seconde IA, Spaya, dont le rôle est justement de s’assurer qu’à partir de la chimie connue (disponible dans la littérature) et des composées commerciaux, vendus par divers fournisseurs, il existe un schéma de synthèse, une « recette », pour préparer cette nouvelle molécule imaginée par Makya.
La combinaison de ces deux technologies que nous avons développées est unique sur le marché, car elle couvre aussi bien la dimension modèle génératif que l’axe synthétique, alors que la plupart des autres acteurs positionnés sur ce segment vont uniquement couvrir le volet modèle génératif ou uniquement le volet synthèse. Disponibles en mode SaaS sur AWS, ces deux technologies s’adressent en priorité aux chimistes médicinaux et chimistes computationnels.
Enfin, nous avons publié un papier avec Servier qui met en évidence le potentiel et la valeur ajoutée de nos technologies. Sur un projet pour lequel il n’avait pas été possible d’identifier un candidat-médicament après plusieurs années, Makya a réussi en moins d’un mois à identifier plusieurs molécules très prometteuses dont une remplissant pour la première fois, l’entièreté du cahier des charges. Depuis le lancement de nos technologies, nous avons travaillé sur plus de 50 projets avec les plus grands industriels pharmaceutiques tels que Pfizer, Merck, Janssen…
Aujourd’hui, dans le cadre de votre développement, quels sont vos principaux défis ?
IKTOS est en pleine croissance et est aujourd’hui bien identifié comme un partenaire capable de proposer des solutions technologiques innovantes et performantes. Néanmoins un réel défi de « change management » s’offre à nous afin que les chimistes adoptent et utilisent nos solutions. En effet, l’IA générative perturbe les méthodes de travail historiques et oblige les utilisateurs à aborder leur métier différemment face à l’émergence de ces nouveaux outils.
En parallèle, nous travaillons aussi sur l’évolution de notre modèle. Aujourd’hui, grâce à Makya et Spaya, nous sommes en mesure de designer et de confirmer la faisabilité de la fabrication d’une molécule. Dans cette continuité, la prochaine étape pour IKTOS est de se doter de son propre laboratoire pour produire des molécules en ayant recours à la robotique. Ce couplage IA et robotique est au cœur d’IKTOS Robotics que nous lançons cette année avec la création d’un laboratoire qui compte déjà deux chimistes. Au-delà, nous cherchons aussi à développer le volet « Integrated Drug Discovery Services » ou IDDS, c’est-à-dire la prise en charge à 100 % de projets de recherche pharmaceutiques, du design jusqu’aux tests en passant par la synthèse. Jusqu’alors, nous mettions, à la disposition des acteurs pharmaceutiques, un accompagnement technologique et logiciel au travers de Makya et Sapya, aujourd’hui, nous ambitionnons de prendre en charge leur projet de A à Z.
Et pour relever l’ensemble de ces défis, quelles sont les compétences que vous recherchez ?
Sur la partie technologique et le développement de nos solutions, nous recherchons des experts en IA, Machine Learning, mais aussi des developpers et des ingénieurs en cloud computing. Nous recrutons bien évidemment des chimistes médicinaux et computationnels. Nous cherchons aussi un directeur du développement commercial notamment pour l’offre IDDS et Robotics, afin de nouer de nouveaux partenariats ambitieux avec des acteurs de l’industrie pharmaceutique. Avis aux intéressés !