Quatre ans au service de la communauté polytechnicienne
J & R : Nos lecteurs ont pu prendre connaissance de ton « testament » de président de l’AX dans notre dernier numéro (juin-juillet 2019). Pourrais-tu nous dire aujourd’hui ce que tu as retiré, plus personnellement, de cette expérience ? Et d’abord, as-tu eu des sujets d’étonnement à ton arrivée ?
BA : La première chose qui m’a frappé, ce sont les moyens importants de la délégation générale : j’avais été habitué, en tant que président de l’association des ingénieurs des Ponts, l’AIPC (devenue depuis UnIPEF) ou de la fondation de l’École des ponts, à des structures très petites (2 ou 3 personnes). À l’AX, je découvrais une délégation forte de presque vingt personnes. C’était de vrais moyens ! C’était bien sûr une chance, et il fallait en tirer le maximum pour le bénéfice de la communauté. Mais c’était aussi une responsabilité : on ne pouvait pas se battre d’un côté pour l’excellence de l’École, et d’un autre ne pas se soucier de l’excellence de l’association elle-même. C’est pourquoi, d’abord avec Bruno Van Parys puis avec Yves Demay, nous avons impulsé une modernisation très déterminée de la délégation générale. S’il reste bien sûr des améliorations à apporter à certains de nos processus, la délégation générale s’est incontestablement beaucoup améliorée en quatre ans.
M’a frappé aussi la manière dont se sont mobilisés autour de moi, littéralement dès le lendemain de mon élection, les membres du conseil de l’AX et les grands patrons polytechniciens comme Antoine Frérot, Xavier Huillard, Patrick Pouyanné ou Philippe Varin, réunis au sein de la task force que j’avais créée pour accompagner la réflexion stratégique sur l’avenir de l’École lancée par Jean-Yves Le Drian après le rapport de Bernard Attali. Tous ont montré une implication extraordinaire. De même, quand il s’est agi de rassembler l’ensemble de la communauté, j’ai pu mesurer le degré d’implication de grands anciens comme Bernard Arnault, qui a spontanément demandé à me voir, ou comme le président Giscard d’Estaing, qui m’a reçu immédiatement ; et d’autres encore, comme Claude Bébéar ou Jean-Louis Beffa… Tous ces anciens illustres étaient passionnés, et intensément mobilisables.
J’ai été aussi frappé, dans tout ce processus, de voir que la communauté polytechnicienne, dans son immense majorité, est d’abord mue par l’intérêt général, et pas du tout dans une logique corporatiste. La question était bien : qu’est-ce qui va dans le sens de l’intérêt général pour le pays ? Et s’il y a des évolutions nécessaires du côté de l’École, nous étions tous à la recherche de ce qui était le plus pertinent pour l’intérêt général.
“La communauté polytechnicienne
est d’abord mue par l’intérêt général”
J & R : Quels ont été tes plus grands moments de satisfaction ?
BA : Il y en a beaucoup.
Certainement ce 15 décembre 2015, lorsque la visite de Jean-Yves Le Drian, Emmanuel Macron et Thierry Mandon à Palaiseau m’a permis de constater que nous avions collectivement réussi à convaincre le gouvernement sur les lignes que nous avions défendues. Même sentiment, encore plus fort, le 25 octobre 2017, lorsque le Président de la République a annoncé sa vision en deux pôles pour le Plateau de Saclay, avec l’invitation ferme à s’engager dans la création de ce qui s’est appelé alors transitoirement NewUni, aujourd’hui concrétisé sous la forme de l’Institut Polytechnique de Paris, avec cette main tendue à HEC. Ces deux jours-là, j’ai vraiment eu le sentiment que tout le travail qu’on avait pu faire en amont avait été utile !
Il y a ce jour où Antoine Frérot m’a dit qu’il acceptait de rejoindre le Conseil parce que c’était moi qui le lui demandais : je me suis dit que tout ce que nous avions fait depuis deux ans n’était pas complètement nul !
Il y a cette dernière visite au président Giscard d’Estaing pour lui présenter les résultats de notre mobilisation pour l’École, et où il m’a raccompagné en me disant, de sa voix inimitable : « Je vous remercie d’être venu m’apporter des nouvelles rassurantes. »
Il y a le Bal de l’X à l’occasion des 225 ans de l’École polytechnique, à l’issue duquel de nombreux participants, X mais aussi non‑X, m’ont dit qu’ils avaient vécu un moment exceptionnel.
Il y a cette personne de la délégation générale qui voulait partir et que j’ai convaincue de rester : je me suis dit que les quelques heures que j’avais passées à discuter avec elle n’avaient pas été perdues.
Il y a eu le jour de la mise en service du nouveau site internet, où je me suis dit qu’on avait fait un vrai saut quantique !
Il y a eu ces ravivages de la Flamme à l’Arc de triomphe, avec les élèves et nos amis anciens de la Saint-Cyrienne, de Navale ou de l’École de l’air : des moments très émouvants.
Il y a eu la qualité des échanges avec les jeunes, en particulier les dîners avec la Kès nouvellement élue. Je me souviens de la difficulté de les convaincre de me tutoyer !
Il y a eu la qualité exceptionnelle de la relation avec Denis Ranque, président de la Fondation.
Et enfin, bien sûr, ma désignation, à l’unanimité, comme président d’honneur, par le conseil de l’AX le 26 juin dernier.
J & R : Si tu as eu beaucoup de satisfactions, tu as bien aussi quelques regrets ?
BA : Bien sûr !
Par exemple, je pense qu’on aurait pu aller plus vite sur l’international et la mise en place du programme des ambassadeurs. Ça démarre enfin maintenant avec Marc Valentiny et Michel Georgin, mais on a trop tardé ! Du côté des événements, il y a eu de belles réussites : les Bals, les petits-déjeuners, les ravivages de la Flamme, les colloques avec HEC…, mais pour le Grand Magnan, on peut certainement faire mieux. Il y a le site internet, que je ne trouve pas encore assez intuitif pour les visiteurs. Il y a le projet de colocalisation de l’AX et la FX à la Maison des X, pour lequel j’aurais aimé qu’on aille plus vite. Il y a la place des X dans le débat public : avec les colloques AX-HEC, nous avons bien avancé, mais on devrait pouvoir aller plus loin. Il reste une grande marge de progrès !
J & R : Pour finir, peux-tu nous dire ce que t’inspire le nouveau débat sur les grandes écoles, que le gouvernement vient de relancer ?
BA : Je crois profondément au travail et au mérite républicain. J’ai vécu toute mon enfance à l’étranger. À 17 ans, je suis passé de mon lycée européen de Luxembourg à Ginette, et là j’étais le seul de mon lycée. J’y ai trouvé de très nombreux élèves venant de Franklin… Je ne savais même pas ce que c’était ! Une fois à l’X, je découvre l’existence du corps des Ponts : je ne savais pas que ça existait ! Tout cela pour dire que tout n’était pas écrit à l’avance…
Le débat actuel sur la mixité, aussi bien sociale que de genre, est tout à fait légitime, mais il y a une bonne et une mauvaise façon de l’aborder. Si on impose que, demain, il y ait 50 % de filles à l’X, alors qu’il n’y en a toujours qu’environ 20 % en prépa, c’est sûr que cela affaiblira le niveau. Il faut continuer à travailler en amont pour convaincre les filles de faire des filières scientifiques. C’est la même chose pour la mixité sociale : si on poursuit cette logique à l’extrême, on pourrait bien sûr décider de tirer au sort les candidats… Mais ce n’est pas possible : on ferait inévitablement baisser le niveau. Là aussi, si on veut être sérieux, c’est l’amont qu’il faut travailler. J’ai émis avec Yves Demay l’idée d’un programme, qui a reçu un accueil très favorable du ministère de l’Éducation nationale, pour impliquer dans cette démarche non seulement les élèves de l’École – qui le sont déjà –, mais aussi les anciens en associant l’X, l’AX et la Fondation.
Cela a été un très grand honneur pour moi d’être pendant ces quatre années celui qui impulse l’action de l’association et aussi celui qui la représente à l’extérieur. Je souhaite bonne chance à mon successeur !
J & R : Les valeurs polytechniciennes en trois mots ?
BA : Méritocratie, sens de l’intérêt général, et loyauté.