Que faut-il enseigner ? La question du socle commun
Certes l’école a obtenu en seulement une génération de remarquables résultats : le nombre de bacheliers est passé de 11 % en 1960 à 63 % en 1995. Mais depuis cette date, les résultats stagnent. Plus grave peut-être encore : l’école s’est révélée impuissante à résorber des situations d’échec scolaire. Aujourd’hui, 15 % des élèves sont laissés sur le bord de la route et 150 000 élèves sortent sans rien du système éducatif.
Par ailleurs, les performances des élèves français dans les évaluations internationales se situent tout juste dans la moyenne. Lors des deux enquêtes du Programme international pour le suivi des acquis (PISA) lancées par l’OCDE auprès des élèves de quinze ans, la France se classe au treizième rang. Juste dans la moyenne, donc.
Je rappelle ici que l’évaluation PISA s’intéresse en priorité aux compétences mobilisant des connaissances. C’est-à-dire à l’aptitude à mettre en œuvre un certain nombre de processus fondamentaux, dans des situations très diverses, aléatoires, généralement différentes des situations scolaires. Et ce, en s’appuyant sur la compréhension globale de concepts clés plutôt que sur l’accumulation de connaissances spécifiques. Or, les performances moyennes des élèves français dans PISA s’expliquent par une maîtrise insuffisante des compétences instrumentales de base.
Face à cette situation, il est indispensable de définir une ambition pour l’école : celle-ci doit amener tous les enfants à la réussite. Pas la même bien sûr, mais à une réussite de base commune à tous – la maîtrise d’un socle commun de fondamentaux – et une réussite propre à chacun – la découverte de sa voie d’excellence sur laquelle il ira le plus loin possible.
Ainsi, l’enseignement s’organiserait autour d’un socle commun de fondamentaux que 100 % des élèves devraient avoir acquis à l’issue de leur scolarité obligatoire, donc à la fin du collège, et d’enseignements complémentaires diversifiés, choisis comme voie propre à chaque élève.
Tout passe d’abord par la définition du contenu du socle commun de fondamentaux, qui regroupe les connaissances mais aussi les compétences qu’il est indispensable de maîtriser en fin d’école primaire puis de collège, pour poursuivre ses études quelle que soit la voie empruntée, pour faire face à quarante années de vie professionnelle, pour assumer sa vie de citoyen.
C’est l’exercice auquel s’est attelée une mission d’information parlementaire que j’ai eu l’honneur de présider, qui a largement auditionné, et dont le rapport est consultable sur http://www.assemblee-nationale.fr/ 12/rap-info/i2247.asp.
Nous avons tout d’abord souhaité insister sur le fait que si les connaissances sont évidemment indispensables et leur acquisition une priorité, les capacités à utiliser lesdites connaissances sont déterminantes.
Attention ! Il ne s’agit pas d’opposer connaissances et compétences ! Les secondes se développant au travers de l’apprentissage des premières, cette pseudo-rivalité est absurde. Toutefois, telle ou telle compétence ne peut se développer que si elle constitue une priorité explicitée.
Prenons pour exemple l’acquisition de la lecture et de l’écriture, sorte de b.a.-ba essentiel puisqu’elle conditionne les autres acquisitions. Il y a les connaissances – savoir parler, lire et écrire – et les compétences – pouvoir communiquer dans sa langue. Et ainsi, pouvoir mettre en mots sa pensée, comprendre que l’on peut dominer ses émotions, écouter l’autre, communiquer de façon appropriée dans des contextes variés, oralement ou par écrit, choisir un langage pertinent en tenant compte de l’intention, du contexte et des destinataires, ajuster la communication en fonction de la réaction de l’autre, formuler ses arguments ou un questionnement, etc.
Il est ressorti des auditions et des témoignages recueillis une priorité accordée à certaines compétences sur lesquelles l’accent n’aurait probablement pas été mis à ce point voici seulement quelques années. Après le savoir communiquer dans sa langue, en voici quelques exemples :
Savoir travailler en équipe, coopérer avec autrui, « vivre ensemble ».
Il s’agit notamment de la capacité d’écouter et de respecter le point de vue de l’autre, d’exprimer et de faire-valoir son opinion de façon constructive, de travailler en équipe et en réseau, de contribuer à résoudre un conflit. Bref, d’atteindre un objectif en conjuguant les forces de chacun. Ce qui passe par la compréhension des codes de conduite et des usages différents des siens propres.
Se forger un esprit critique, savoir valider, analyser, trier l’information.
Il s’agit là de savoir tenir compte des faits, de faire la part de ses émotions, de recourir à l’argumentation logique, de relativiser ses conclusions en fonction du contexte, d’accepter de faire une place au doute. Ici, l’apprentissage des technologies de l’information et de la communication (TIC) prend tout son sens : outre les indispensables connaissances techniques, c’est l’aptitude à rechercher, valider et trier l’information que l’on apprend.
Savoir se repérer dans le temps et l’espace.
Tout élève achevant sa scolarité obligatoire doit savoir se repérer dans le fonctionnement de la société qui l’entoure, dans l’espace géographique, historique, culturel, institutionnel français, européen, mondial. L’objectif général est de former des citoyens adaptés à leur temps et leur environnement, avec une vision claire du monde dans lequel ils vivent.
Développer son potentiel à apprendre.
Ce sont les aptitudes à se motiver face à la démarche d’apprendre, à auto-évaluer sa propre capacité à réaliser une tâche, à organiser son travail, à avoir acquis un certain degré d’autonomie. Mais aussi à développer un bon niveau d’estime de soi.
Savoir assumer ses responsabilités, participer, s’impliquer, s’engager, s’orienter, mener un projet.
Il s’agit là d’une reconnaissance de l’intérêt général, de l’acceptation de devoirs au-delà des droits. Mais aussi de la capacité à se prendre en charge, à s’engager, à prendre des décisions et à les assumer, à choisir, à prendre des initiatives.
Bien évidemment, les compétences que je cite n’enlèvent rien au rôle primordial des connaissances. Elles vont de pair et de concert avec la nécessité pour tous les élèves de maîtriser correctement les savoirs fondamentaux.
Et surtout, ces compétences s’acquièrent au travers des apprentissages effectués dans les différentes matières. Qu’il s’agisse de la langue orale, écrite, des disciplines scientifiques, mais aussi technologiques, historiques, sportives ou artistiques. Encore faut-il décloisonner les disciplines… Mais là-dessus, le constat est presque unanime.
Il faut également veiller à valoriser les diverses formes d’intelligence. La culture scolaire est encore très marquée par une dominante intellectuelle, privilégiant l’abstraction au risque de rejeter un grand nombre. Toutes les autorités scientifiques auditionnées ont insisté avec force pour rééquilibrer les approches inductives et déductives, pour prendre en compte les intelligences techniques et manuelles, pour faire plus appel à la créativité, à l’innovation.
Et puis, si l’on veut que ces contenus soient réellement acquis par tous les élèves à l’issue de leur scolarité obligatoire, il sera indispensable de personnaliser les temps et les modes d’apprentissage. Les enfants sont différents dans le rythme de leur progression, dans les ressorts de leur motivation, dans leur maturité, dans leurs talents.
Or, l’école prend insuffisamment en compte cette diversité, notamment de rythme. L’acquisition du socle commun constituant la priorité, chaque élève doit pouvoir consacrer, à l’intérieur du cadre scolaire, le temps qui lui est nécessaire pour en acquérir une maîtrise correcte. Personnalisation des temps d’apprentissage, mais aussi personnalisation des pratiques pédagogiques pour tenir compte des diverses formes d’intelligence.
Enfin, je suis convaincu que la définition des « savoirs enseignés à l’école » devra être concertée pour être partagée : c’est la condition pour qu’elle soit demain mise en œuvre. Dès lors, la définition du contenu du socle fondamental commun devra recevoir une légitimité démocratique. Il s’agit là de ce que la Nation demande à son école de transmettre à tous ses enfants. On touche là à la compétitivité de notre économie, à la cohésion de notre société, à l’avenir de notre pays, à l’identité de notre Nation. Le Parlement a donc particulièrement vocation à en débattre et à en valider les grands éléments