Que faut-il enseigner ? Le socle commun dans la loi d’orientation et de programme de 2005
La question du sens de la scolarité obligatoire est centrale et c’est un problème qui a l’évidence n’est pas totalement résolu. Sans refaire l’histoire du collège unique, esquissé dans l’article de Claude Lelièvre, il convient de rappeler que depuis au moins 1974, date à laquelle Valéry Giscard d’Estaing, président de la République, déclare, le 25 juillet, qu’à côté de l’obligation scolaire il faudrait « imaginer une autre obligation qui serait de donner à chaque Française et à chaque Français un savoir minimal ».
On tient là le sens et l’origine du socle tel qu’il apparaît depuis le printemps 2005 dans la loi. L’expression elle-même figure dans les travaux du Conseil national des programmes présidé par Luc Ferry, mais de gauche ou de droite, cette idée a de nombreux détracteurs, le socle est accusé de vouloir « minimiser les savoirs », de vouloir le nivellement par le bas. L’idée poursuit cependant son chemin et il n’est pas d’étude qui n’en rappelle la nécessité.
Au cours des deux dernières années, la Commission du débat national pour l’avenir de l’école en fait un élément majeur de lutte contre l’échec scolaire et la Commission parlementaire présidée par Pierre-André Périssol en pose les fondements. La définition française du socle de connaissances et de compétences indispensables ne peut faire abstraction de la volonté de rapprochement des systèmes éducatifs à l’intérieur de l’Union européenne. La définition française du socle ne peut donc ignorer les définitions proposées par Bruxelles.
Trois articles de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école publiée le 24 avril 2005 précisent les contours et la fonction du socle.
• ARTICLE 9
« Art. L. 122−1−1 – La scolarité obligatoire doit au moins garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun constitué d’un ensemble de connaissances et de compétences qu’il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en société. Ce socle comprend :
– la maîtrise de la langue française ;
– la maîtrise des principaux éléments de mathématiques ;
– une culture humaniste et scientifique permettant le libre exercice de la citoyenneté ;
– la pratique d’au moins une langue vivante étrangère ;
– la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication.
Ces connaissances et compétences sont précisées par décret pris après avis du Haut-Conseil de l’éducation.
L’acquisition du socle commun par les élèves fait l’objet d’une évaluation, qui est prise en compte dans la poursuite de la scolarité.
Le Gouvernement présente tous les trois ans au Parlement un rapport sur la manière dont les programmes prennent en compte le socle commun et sur la maîtrise de celui-ci par les élèves au cours de leur scolarité obligatoire.
Parallèlement à l’acquisition du socle commun, d’autres enseignements sont dispensés au cours de la scolarité obligatoire. »
• ARTICLE 16
« Art. L. 311−3−1 – À tout moment de la scolarité obligatoire, lorsqu’il apparaît qu’un élève risque de ne pas maîtriser les connaissances et les compétences indispensables à la fin d’un cycle, le directeur d’école ou le chef d’établissement propose aux parents ou au responsable légal de l’élève de mettre conjointement en place un programme personnalisé de réussite éducative. »
• ARTICLE 32
« Art. L. 332–6 – Le diplôme national du brevet sanctionne la formation acquise à l’issue de la scolarité suivie dans les collèges ou dans les classes de niveau équivalent situées dans d’autres établissements.
Il atteste la maîtrise des connaissances et des compétences définies à l’article L. 122−1−1, intègre les résultats de l’enseignement d’éducation physique et sportive et prend en compte, dans des conditions déterminées par décret, les autres enseignements suivis par les élèves selon leurs capacités et leurs intérêts. Il comporte une note de vie scolaire. »
Par ailleurs la place du socle dans le fonctionnement de la scolarité obligatoire est précisée dans les premiers décrets d’application de la loi (décrets du 24 août 2005, publiés au J. O. du 25 août 2005 et parus dans le bulletin officiel n° 31 du 1er septembre 2005).
« Le ministre chargé de l’Éducation nationale définit par arrêté les programmes d’enseignement incluant les objectifs de chaque cycle, ainsi que des repères annuels pour les compétences et connaissances dont l’acquisition doit être assurée en priorité en vue de la maîtrise des éléments du socle commun à la fin de l’école primaire. »
» Art. 4 – Les dispositions pédagogiques mises en œuvre pour assurer la continuité pédagogique, en particulier au sein de chaque cycle, prennent en compte les besoins de chaque élève afin de permettre le plein développement de ses potentialités, ainsi que l’objectif de le conduire à l’acquisition des éléments du socle commun de connaissances et compétences fondamentales correspondant à son niveau de scolarité.
À tout moment de la scolarité élémentaire, lorsqu’il apparaît qu’un élève ne sera pas en mesure de maîtriser les connaissances et les compétences indispensables à la fin du cycle, le directeur d’école propose aux parents ou au représentant légal de l’enfant de mettre en place un dispositif de soutien, notamment un programme personnalisé de réussite éducative. Un document, préalablement discuté avec les parents de l’élève ou son représentant légal, précise les formes d’aides mises en œuvre pendant le temps scolaire ainsi que, le cas échéant, celles qui sont proposées à la famille en dehors du temps scolaire. Il définit un projet individualisé qui devra permettre d’évaluer régulièrement la progression de l’élève. »
Il résulte de l’analyse de ces textes réglementaires que les contours formels du socle sont définis par la loi. Il s’agit de connaissances et de compétences. Les règles de comportement, le civisme tel qu’envisagé par diverses études ne sont pas explicitement prévus. L’engagement pris par le législateur est un engagement de moyens, pas de résultats.
Ces connaissances et ces compétences s’enracinent dans cinq champs du savoir qui font l’objet d’un enseignement à l’école primaire et au collège : la langue française, les mathématiques, la culture humaniste et scientifique (au cours de la scolarité obligatoire cette culture relève essentiellement de la littérature, de l’histoire, de la géographie, de l’éducation civique, des sciences physiques, des sciences de la vie et de la terre et de la technologie), une langue vivante étrangère et des techniques de l’information et de la communication. Il est cependant à noter :
• que le texte de loi mentionne clairement la maîtrise d’éléments de connaissances et de compétences indispensables de deux disciplines d’enseignement (le français et les mathématiques) ;
• que la culture humaniste n’est pas déclinée en termes de disciplines d’enseignement, mais qu’elle est simplement qualifiée par sa finalité civique ;
• que c’est la pratique d’une langue vivante qui est attendue, soit une compétence ;
• que dans le même ordre d’idées l’information et la communication entrent dans le socle en qualité de compétences à maîtriser des techniques.
Le lien entre socle et programmes d’enseignement est établi : « Le Ministre définit les programmes et les repères pour les connaissances et les compétences indispensables… » Le socle n’est pas un ajout aux programmes, il devrait en être une composante qu’il s’agit de définir par une forme d’extraction.
Le socle ne représente pas la totalité de ce qu’un élève doit acquérir ni de ce qui est enseigné à l’école primaire ou au collège. Il ne couvre pas l’ensemble des connaissances et des compétences énoncées dans les disciplines ou les champs du savoir énumérés par la loi. Par ailleurs, d’autres disciplines sont enseignées, elles peuvent, par le biais de certaines compétences retenues, participer à la définition du socle (disciplines artistiques et éducation physique et sportive, par exemple).
La fonction du socle est elle aussi précisée par la nouvelle réglementation. La définition d’un socle commun est un élément important de la lutte contre les inégalités scolaires. Le socle est utile dans la mesure où il constitue les connaissances et les compétences qui sont indispensables pour que l’élève puisse poursuivre sa scolarité, mais aussi et surtout réussir sa vie sociale et professionnelle. Le système éducatif doit, en conséquence, s’assurer de sa maîtrise par tous les élèves. Pour ce faire son ampleur doit impérativement être limitée à sa finalité, sa maîtrise par les élèves doit pouvoir être régulièrement évaluée et l’organisation même de la scolarité obligatoire doit en faire une priorité. C’est le sens des dispositions pédagogiques mises en œuvre pour assurer la continuité pédagogique, au sein de chaque cycle en particulier par le programme personnalisé de réussite éducative qui prend en compte les besoins de chaque élève et vise prioritairement l’acquisition et la maîtrise du socle. C’est aussi le sens du nouveau diplôme national du brevet.
Pour que ces mesures soient pleinement efficaces et que le socle joue totalement son rôle, il convient non seulement de définir les connaissances et les compétences que tous les élèves maîtriseront à l’issu de la scolarité obligatoire et qui seront évaluées, il faut en décliner les principales étapes et donc définir, pour chaque cycle ou classe, les connaissances et les compétences qui concourront à la maîtrise de l’ensemble.
Le chantier est aujourd’hui ouvert, les services du ministère ont esquissé une première ébauche du socle, le nouveau Haut Conseil de l’éducation prépare ses remarques et amendements. Le Gouvernement ira-t-il jusqu’au bout pour appliquer la loi trente-deux ans après le souhait de Valéry Giscard d’Estaing ?