Que faut-il enseigner ? Les attentes des “usagers”
Les quatre textes suivants sont extraits de : Les Français et leur École. Le miroir du débat, éditions Dunod. Ils constituent une synthèse des attentes de ceux que l’on considère souvent comme les usagers de l’école. Leur témoignage a été recueilli au cours du grand débat organisé en 2003–2004 par la Commission nationale sur l’avenir de l’école.
UNE SYNTHÈSE DE CE QUE LES FRANÇAIS ONT EXPRIMÉ
Les quatre lignes de force suivantes permettent de mettre en perspective les demandes des Français quant à leur école.
Les Français, par l’importance qu’ils accordent aux différents sujets proposés, par leurs propos, et par nombre des priorités qu’ils ont énoncées, demandent que l’école se préoccupe beaucoup plus de la maîtrise par les élèves de ce qu’ils doivent savoir. En ce sens, l’école doit déplacer quelque peu son accent : non plus seulement transmettre, mais faire maîtriser. Cela suppose des élèves plus motivés (l’école pourrait y contribuer, sans être seule à le faire), que l’école aide et accompagne davantage. Non que la transmission et le souci de la maîtrise soient contradictoires ; mais le second ne dérive pas automatiquement de la première.
Ce ne sont ni l’élève ni les savoirs qui doivent être au centre du système : c’est la maîtrise par l’élève non seulement des savoirs mais aussi de certaines compétences et règles de comportement (cf. ci-dessous). Ainsi, un débat sur deux a retenu la question : « Comment motiver et faire travailler efficacement les élèves ? » ; et les cinq autres sujets les plus choisis illustrent aussi cette volonté de traiter la question du « comment » : comment lutter contre la violence, comment prendre en charge les élèves en grande difficulté, comment associer les partenaires, et notamment les parents, à la réussite des élèves, comment répondre à la diversité de ces derniers, etc. On ne veut plus désormais séparer la réflexion sur les valeurs et les missions, de celle sur le fonctionnement et les moyens. L’école doit être performante, à l’aune des valeurs qui sont les siennes et des missions qu’elle doit accomplir : elle doit réussir, c’est-à-dire faire réussir les élèves. S’il est pris au sérieux, ce déplacement d’accent peut avoir des conséquences immenses.
Une deuxième idée majeure a trait aux « frontières » de l’école. Les personnes, dans leur majorité, ne demandent pas que l’école se limite aux seuls savoirs, que l’instruction soit sa seule mission. L’école doit non seulement instruire, et instruire mieux – se préoccuper davantage, comme on l’a dit plus haut, de la maîtrise des savoirs, notamment des fondamentaux – mais aussi éduquer : au-delà des connaissances et des compétences, elle doit apprendre aux élèves des règles de comportement, leur apprendre par exemple à vivre ensemble.
Mais l’on y met une condition : que ce soit « en second », après les parents, qui doivent éduquer en premier ; coéduquer, si l’on veut, mais en complément. Et si les parents sont défaillants ou éprouvent de grandes difficultés pour telle ou telle raison, on ne souhaite pas majoritairement que l’école se substitue à eux. Il faut que l’on cesse de faire jouer à l’école le rôle universel, voire unique d’éducation et de socialisation de la jeunesse lorsque les parents sont impuissants. Il ressort du débat qu’il conviendrait d’accompagner la politique éducative d’une politique d’aide à la parentalité. Elle répondrait à cette constatation quotidienne : le « métier de parent » est devenu beaucoup plus difficile qu’autrefois, même s’il est vrai que la très grande majorité des parents, loin d’être démissionnaires, s’efforcent de le faire, et de le faire bien.
Troisième ligne de force, la réussite scolaire, éducative plutôt, ne peut résulter de l’action de l’école seule : les partenaires, et notamment les parents, doivent y contribuer davantage. Il faut parvenir à surmonter le double écueil de la situation française : des parents éloignés de l’école, qu’ils s’en soient éloignés, ou qu’ils en aient été éloignés par l’école elle-même, et, en même temps, des parents, les mêmes ou d’autres, qui interviennent de façon excessive et personnelle, pour leurs seuls enfants.
Construire un vrai partenariat au service de la réussite de tous les élèves, avec le maximum de parents et à égale distance des deux écueils précédents, qui associe plutôt que de les opposer enseignants et parents, tel est, si l’on en croit le débat, un des enjeux des quinze prochaines années. On juge que cela suppose une ouverture plus nette de l’école aux parents, débouchant sur une présence plus grande de ces derniers, mais adaptée, chacun faisant son métier dans le respect mutuel.
Enfin, d’une façon générale, se dégage du débat l’idée que l’école devrait redevenir l’école de la Nation. Car, dans l’arbitrage entre les « experts » (ministère, enseignants, inspecteurs, universitaires, experts stricto sensu, groupes de pression disciplinaires, etc.) et la Nation, duquel naît le système éducatif, le poids des experts s’est accru au cours des dernières décennies. L’école apparaît ainsi comme étant trop technique, opaque – trop l’affaire des experts précisément.
Des programmes difficiles à comprendre ; des enseignements dont le sens échappe souvent aux élèves ainsi qu’aux parents ; des horaires excessifs et des rythmes de travail peu soucieux des élèves ; des orientations qui, même si les parents et les jeunes ont souvent le dernier mot, se concrétisent par des affectations dans des formations qu’on n’a pas choisies, qu’on n’aime pas, parce que c’est bien souvent l’école qui en a décidé ainsi (« c’est là qu’il y a des débouchés », « c’est là qu’il y a de la place », « c’est là qu’il y a des établissements, des sections, des enseignants », etc.) : voilà quelques exemples qui illustrent que « l’offre d’éducation » a pris le pas sur la « demande d’éducation ». On juge certes que l’école doit être un peu à part dans la société : elle ne peut reposer sur les mêmes valeurs, ni fonctionner exactement selon les mêmes critères que la société. On ne souhaite pas, cependant, qu’elle soit un monde trop fermé, mais qu’elle se fonde sur un équilibre entre l’offre et la demande d’éducation.
Or, sur la plupart des questions éducatives, les différents acteurs ou membres de la communauté éducative s’opposent. Trois pôles, en effet, se dégagent : les parents et les jeunes, qui représentent, partiellement, la demande éducative, et dont les avis sont proches ; les enseignants, qui s’écartent souvent dans leurs opinions de ce premier pôle ; les chefs d’établissement, enfin, dont le jugement, selon les thèmes, se rapproche tantôt de celui des enseignants, tantôt de celui des parents et des jeunes. On retrouve ainsi, sous un autre angle, l’extrême diversité des avis, des souhaits, des jugements sur le système éducatif.
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UN EXEMPLE DES ATTENTES DES PARENTS D’ÉLÈVES :
L’OPINION DE L’UNAPEL
Parce que les jeunes Français doivent être égaux devant leur avenir, il ne peut exister qu’une école : celle qui éduque des personnes et forme leur conscience.
Parce qu’égalité ne rime pas avec uniformité, cette école doit être elle-même signe de diversité : publique ou associée à l’État par contrat, elle doit offrir, dans une présentation la plus lisible possible, une riche palette de possibilités à ceux qui la fréquentent.
Parce qu’elle est le creuset de la société, l’école doit être le lieu d’apprentissage de la fraternité.
Tout à la fois, l’école doit être lieu de vie, communauté et lieu de liberté.
Pour être un véritable lieu de vie, l’école doit être protégée des atteintes extérieures afin que tout enfant puisse s’y épanouir au cours du moment unique de son existence que constitue sa scolarité, au sein d’une institution qui lui est entièrement consacrée, et qui ne peut limiter sa mission à l’enseignement : au-delà du temps scolaire, l’élève doit pouvoir y trouver des lieux d’échange et d’écoute, des activités périscolaires et, surtout, des adultes, enseignants et parents qui suscitent en lui un « désir d’école » et qui soient prêts à lui apporter un encadrement pédagogique et éducatif personnalisé ; on soulignera qu’il peut s’agir d’un second mode d’exercice de leur métier pour des enseignants ne pouvant plus ou ne voulant plus dispenser de cours.
Afin de devenir une communauté, l’école doit donner toute leur place aux parents, premiers éducateurs, en particulier au sein d’un véritable conseil d’établissement qui élabore et fasse vivre un véritable projet éducatif. Elle aura soin de former des équipes pluridisciplinaires d’enseignants travaillant en lien avec les autres acteurs de l’école. Enfin et surtout, elle s’attachera à créer une véritable relation de confiance entre les personnes ; après sa famille, c’est au sein de l’école que l’enfant a le plus besoin d’être aimé.
Enfin, pour être lieu de liberté, l’école doit pouvoir effectuer des choix pédagogiques répondant à un référentiel national mais tenant compte de réalités régionales ou locales. Refusant de s’inscrire dans un champ délibérément concurrentiel, elle ne saurait craindre l’émulation, ni le partenariat avec des collectivités publiques ou des institutions susceptibles de partager ses idéaux.
Éric Raffin,
président de l’UNAPEL
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UN EXEMPLE DES ATTENTES DE L’ENTREPRISE :
L’OPINION DU MEDEF
Pour répondre aux défis du xxie siècle, redéfinir les valeurs, les missions et le socle commun de compétences
L’École du xxe siècle s’est construite à la fin du xixe sur l’adhésion aux valeurs républicaines, dans un contexte strictement national. Il faudrait redéfinir les valeurs collectives d’une France intégrée à une Union européenne élargie. L’objectif de l’école est de permettre aux femmes et aux hommes qu’elle forme d’être libres, responsables, autonomes, impliqués. L’entreprise et l’économie de marché doivent occuper la place qui leur revient dans les programmes.
Faire acquérir une culture générale permettant de comprendre son environnement, apprendre à apprendre et à agir doivent être les principales missions de l’école. Le socle de compétences « lire, écrire, compter » doit être renforcé et complété par la connaissance de l’anglais, la pratique des technologies de l’information et le développement d’aptitudes à communiquer et à travailler en équipe. Dans un contexte démographique défavorable, susciter la réussite du plus grand nombre grâce à la diversification des parcours et des méthodes d’enseignement.
Les flux et les niveaux de formation initiale devraient répondre aux besoins à long terme en emplois et qualifications de l’économie. Chaque examen ou niveau de sortie doit être le garant d’un degré déterminé d’assimilation de savoirs et de capacités à faire. Une meilleure prise en compte de l’habileté manuelle, dès le primaire, devrait permettre de placer les formations correspondantes au même niveau que celles qui privilégient les capacités intellectuelles. Afin d’optimiser la transition vers l’emploi, quel que soit le niveau, il faudrait en particulier favoriser le suivi de la dernière année d’études en alternance.
Réorganiser l’orientation scolaire en tenant mieux compte de la réalité des emplois et des métiers
L’orientation, dans le cadre d’une véritable « éducation au choix », doit être menée avec la contribution de personnes extérieures à l’école. Les jeunes professionnels, les jeunes en alternance et les entreprises pourraient être davantage impliqués dans la présentation de leurs métiers et de leurs expériences auprès des enseignants, des conseillers d’orientation et des classes. Chaque dossier d’inscription dans l’enseignement supérieur devrait comporter des données précises sur les perspectives de métiers et d’emplois auxquels peuvent mener la filière concernée.
Favoriser l’implication des entreprises dans la communauté éducative
Les entreprises se considèrent comme membres à part entière de la communauté éducative, aux côtés des enseignants et des parents, des collectivités locales et de l’État. L’enseignement professionnel, qui doit être élaboré, géré et évalué avec le concours de professionnels, devrait continuer à être promu et développé à tous niveaux. Le dispositif de formation initiale devrait être incité à prendre une part plus active à la formation tout au long de la vie. La mise en œuvre des enseignements devrait être accompagnée par une présence significative de salariés d’entreprises.
Moderniser la gestion
L’expérience des entreprises est qu’une stratégie définie globalement est d’autant plus efficace qu’elle est mise en œuvre par des établissements disposant d’une large autonomie d’exécution, appuyée par une solide évaluation des performances ; elle est aussi que l’allocation des moyens doit être constamment adaptée à l’évolution de la demande.
Dans cet esprit, l’autonomie des établissements scolaires et universitaires devrait être favorisée, dans le respect des normes nationales, en particulier des diplômes. Cela suppose notamment la revalorisation du rôle des chefs d’établissement. Les moyens dont dispose le système scolaire et universitaire devraient être réalloués en permanence, en fonction des évolutions démographiques, entre les différents niveaux d’enseignement.
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UN EXEMPLE DES ATTENTES DES SYNDICATS :
L’OPINION DE LA CONFÉDÉRATION FRANCAISE DÉMOCRATIQUE DU TRAVAIL (CFDT)
Changer l’école pour qu’elle assure la réussite de tous, telle est l’ambition depuis toujours de la CFDT. Pour cela, il faut, en mettant « l’élève au centre » pour l’amener à son point d’excellence :
1. améliorer la qualité de l’efficacité du système scolaire : cela passe à la fois par une réduction du nombre de sorties sans qualification et une élévation du niveau général des sortants du système, afin de faire face aux défis auxquels chaque jeune sera confronté ;
2. assurer l’égalité des chances, quels que soient l’origine (sociale, ethnique, territoriale), le sexe ou le handicap ;
3. développer une nouvelle approche des contenus de formation et d’évaluation. Partir d’objectifs nationaux à atteindre aux différents paliers de la scolarité, mettre en place, dans toutes les voies de formation, une évaluation basée sur des critères collectivement définis et reconnus, revoir les modalités actuelles de délivrance des diplômes, notamment du brevet ;
4. ouvrir plus largement l’école sur son quartier, son environnement, l’amener à travailler avec d’autres pour la réussite du jeune : relancer les contrats éducatifs locaux, développer les partenariats avec non seulement les parents et les entreprises, mais aussi les associations, les travailleurs sociaux, les professionnels de la santé et de l’insertion… ;
5. dans le cadre de la décentralisation, revoir l’offre de formation :
. passer d’une logique de l’offre (orientation en fonction des sections de formations existantes) à une logique de la demande (réponses aux demandes des individus et de l’économie)
. développer et généraliser l’alternance, sous toutes ses formes ;
. assurer une réelle complémentarité entre la voie professionnelle sous statut scolaire et l’apprentissage ; conjointement, au niveau national, mener rapidement une réflexion sur l’avenir des voies professionnelles et technologiques, afin de mieux assurer leur complémentarité et d’améliorer l’insertion professionnelle des jeunes ;
6. mettre en œuvre la formation tout au long de la vie, véritable outil pour répondre aux besoins de qualification, basée sur une formation initiale de qualité qui assure au minimum à chacun un socle commun de base lui permettant de s’inscrire ensuite positivement dans une démarche de formation continue ;
7. redéfinir le rôle de l’Éducation nationale dans la formation continue, et le lien qu’elle entretient avec les autres acteurs de cette mission ;
8. développer une orientation, vécue comme un véritable investissement, qui soit au cœur du fonctionnement quotidien d’un système qui reconnaîtrait le droit à l’erreur et faciliterait la fluidité des parcours ;
9. développer le travail en équipe, modifier les critères de recrutement et de formation des personnels et notamment des enseignants. Leur permettre, par la formation initiale et continue, de faire face aux évolutions de la société. Diversifier les recrutements afin de permettre le brassage des expériences et compétences ;
10. assurer le pilotage du système éducatif, à partir d’un projet politique clair, expliqué et partagé par le corps social : « un nouveau contrat social pour l’école ». Dresser régulièrement des bilans pour réorienter le système dès que nécessaire.