Quel avenir pour le secteur électrique au Maroc ?
En pleine croissance économique, le Maroc doit faire face à de nouveaux besoins énergétiques. En matière d’électricité, le développement des capacités de production, de transport et de distribution implique des investissements importants et l’appel accru au secteur privé. L’optimisation de la consommation passe par une éducation de l’utilisateur.
Afin de maintenir sa croissance et d’assurer son plein développement, le Maroc doit faire face à la problématique d’approvisionnement et de suffisance énergétique. En particulier, la demande en électricité a progressé de plus de 7 % par an pendant les cinq dernières années ; en raison notamment de la généralisation de l’accès à l’électricité (en dix ans, le taux d’électrification rurale est passé de 18 % à 97 %), mais aussi en raison du développement des produits et systèmes fortement consommateurs d’électricité, tant dans le secteur résidentiel (climatisation) que dans le secteur industriel.
Le royaume du Maroc
Le royaume du Maroc connaît depuis plus de cinq ans un fort développement économique, avec une croissance du produit intérieur brut de près de 8 % par an. La libéralisation de l’économie et l’entrée en vigueur simultanée d’accords de libre-échange avec les États-Unis et l’Union européenne accroissent l’attractivité du Maroc pour les groupes internationaux : les investissements directs étrangers (IDE) ont été multipliés par cinq entre 2000 et 2006. Cette croissance a été notamment tirée par le développement du tourisme, de l’offshoring et de la sous-traitance industrielle. Elle s’accompagne par ailleurs d’un fort développement urbain, le Maroc comptant, en 2007, trois villes de plus de 1 million d’habitants, dont Casablanca, véritable poumon économique du pays.
Réduire la dépendance aux énergies fossiles
À ce jour, la production d’électricité au Maroc est en partie assurée par l’Office national de l’électricité (ONE), représentant (en 2006) 30 % de l’électricité produite, et par deux producteurs privés principaux : Jorf Lasfar Energy Company (48 % de l’électricité produite) et Énergie électrique de Tahaddart (12 % de l’électricité produite). Le reste de la production est assuré par des producteurs tiers (1 %) et complété par des importations. Parmi les 5,2 GW de capacité de production installée en 2006, deux tiers sont constitués de centrales au charbon (47 %) et au gaz (19 %), et un quart est assuré par des centrales hydroélectriques. Les infrastructures éoliennes et solaires ne représentent à ce jour qu’entre 1 % et 2 % du parc installé. Avec un tel » mix » énergétique et face à la forte volatilité actuelle des prix des énergies fossiles, un des enjeux majeurs pour le Maroc est donc de réduire sa dépendance aux énergies fossiles et de développer des sources d’électricité renouvelables, en particulier éolienne.
Malgré les efforts déployés par l’ONE et les investisseurs privés pour développer les capacités de production marocaines, l’offre nationale ne permet pas aujourd’hui de subvenir à la forte demande, obligeant le Maroc à importer 9 % de son électricité en provenance d’Espagne et d’Algérie. Le Royaume est ainsi aujourd’hui dans une situation délicate qui pourrait entraîner des difficultés d’approvisionnement en électricité. Pour préparer l’avenir, l’ONE a lancé un grand nombre de projets visant à augmenter la capacité de production nationale.
Les capacités d’interconnexions avec l’Espagne et l’Algérie sont en train d’être renforcées, mais, tant pour des raisons économiques que politiques, ces dernières ne devront rester qu’une source d’approvisionnement d’appoint. Au global, et en supposant que les projets en cours n’accusent aucun retard, le Royaume pourrait être autosuffisant à partir de 2012.
Le royaume du Maroc pourrait être autosuffisant à partir de 2012
Toutefois, l’effort d’équipement devra être poursuivi dans les années à venir : chaque année, le Maroc requiert environ 500 MW de capacité de production additionnelle, soit l’équivalent de ce qui est nécessaire pour satisfaire la consommation d’une ville comme Rabat. Le secteur électrique au Maroc doit donc faire face à un double enjeu : assurer l’adéquation » offre-demande » à court et moyen terme, tout en préparant l’avenir et en diminuant la dépendance aux énergies fossiles. Pour répondre à ces défis, le Maroc pourra :
1. développer et diversifier les moyens de production nationaux en attirant notamment des investisseurs privés ;
2. améliorer la performance des réseaux de transport et de distribution pour limiter les pertes ;
3. sensibiliser les clients finaux – industriels et résidentiels – afin de promouvoir une meilleure utilisation de l’électricité.
Développer les moyens de production
Compte tenu de l’ampleur des investissements nécessaires, le secteur public marocain ne pourra pas à lui seul combler l’écart grandissant entre la demande en électricité et les capacités de production. La poursuite du processus de libéralisation du secteur électrique semble donc inévitable pour permettre à de nouveaux investisseurs privés de financer les infrastructures nécessaires.
Aujourd’hui, la production de l’électricité est partiellement ouverte au secteur privé (deux concessionnaires privés sont déjà installés), mais les conditions d’achat de gros de leur électricité font supporter à la collectivité une grosse partie des risques liés à la fluctuation du prix des matières premières. Le marché du transport de l’électricité est aujourd’hui un monopole de l’ONE.
Le marché de la distribution, quant à lui, est partiellement ouvert au travers de concessions urbaines attribuées à des acteurs privés pour quelques grandes villes (Rabat, Casablanca…). Le prix pour le client final (particulier et industriel) est régulé par l’ONE à un niveau relativement bas : entre 6,6 et 7,1 centimes d’euros/kWh contre 10,6 à 12,8 centimes d’euros/kWh en France.
Diversifier les moyens de production
Le pays doit également sécuriser ses approvisionnements en combustibles primaires, par exemple en se dotant d’infrastructures d’approvisionnements de gaz (réseaux de transport et terminaux gaziers) et en négociant de nouveaux contrats d’approvisionnement à long terme (gaz, GNL, charbon, etc.) avec les principaux pays partenaires.
Diminuer les pertes
Dans un contexte de saturation des actifs de production, la baisse du taux de perte sur les réseaux constitue un enjeu majeur pour le pays : la baisse de 1 point du taux de perte entre 2005 et 2006 a permis d’économiser 200 GWh d’électricité, soit l’équivalent de la production éolienne et solaire du pays.
Dans ce cadre, et au-delà de l’équipement nécessaire en actifs de production d’électricité renouvelable (notamment le parc éolien sur la côte Atlantique), la production d’électricité à partir de gaz au Maroc (environ 20 % aujourd’hui) pourrait constituer un complément attractif à la production des centrales au charbon, à la fois parce qu’elle permettrait une diversification de l’approvisionnement du pays en combustibles fossiles et parce que les centrales à cycles combinés (CCGT) affichent une très bonne efficacité énergétique. Toutefois, l’accès au gaz naturel du Maroc est aujourd’hui limité au Gazoduc Maghreb-Europe (GME) qui offre une capacité au Maroc de 1,8 milliard de m3.
Si l’option gaz était retenue, le Maroc pourrait importer jusqu’à 2,7 milliards de m3 d’ici 2010 et environ 4,3 milliards de m3 d’ici 2015. Cela nécessiterait donc le renforcement des points d’entrée actuels du gaz au Maroc, au travers notamment de la construction d’un terminal GNL, de négocier des contrats d’approvisionnement de long terme en GNL et d’assurer des débouchés pour l’utilisation de ce gaz (c’est-à-dire de lancer en parallèle la construction de centrales à cycles combinés).
Cerise sur le gâteau, une augmentation significative de la capacité de production d’électricité du Royaume pourrait offrir des opportunités d’export vers l’Espagne aujourd’hui autosuffisante mais qui connaît néanmoins des coupures régulières. Enfin, le Maroc envisage des solutions complémentaires soit de long terme, comme le développement d’une filière électronucléaire en collaboration avec la France, soit à plus court terme comme la valorisation de schistes bitumineux.
Revoir le cadre réglementaire
Afin d’attirer des investisseurs privés, les autorités publiques doivent faire de l’électricité un marché viable au Maroc : il s’agit de trouver l’équilibre adéquat entre régulation (tarifs de vente aux clients finaux, prix de vente de l’électricité en gros) et mécanismes de marché. Pour cela, le Maroc doit revoir en profondeur son cadre réglementaire, à l’instar des réformes engagées depuis la fin des années quatre-vingt-dix en Europe et aux États-Unis. Cependant, les enjeux au Maroc et en Europe sont distincts : alors que le Maroc vise à permettre et à accélérer le développement des capacités de production, les réformes entreprises en Europe visaient, quant à elles, à introduire davantage de concurrence entre les acteurs dans les activités de commercialisation de gros et de détail. Le cadre réglementaire rénové devra donc assurer aux investisseurs un équilibre entre risques encourus et profitabilité espérée (un cycle combiné de 300 MW représente un investissement d’environ 300 M d’euros). Cela pourra s’effectuer, non pas en garantissant ex ante la profitabilité des actifs, mais en mettant en place des mécanismes de marché clairs et durables permettant aux opérateurs privés d’anticiper leurs risques et leurs profitabilités à venir (mécanismes de fixation du prix de l’électricité de gros et de détail, visibilité sur les conditions d’approvisionnement du pays en combustible, sur le développement de la concurrence).
Améliorer transport et distribution
Le développement des capacités de production soulève naturellement la question de la capacité des réseaux de transport et de distribution à absorber l’augmentation des flux électriques.
Plus précisément, l’enjeu pour les réseaux est double : comment suivre l’augmentation de la demande, tout en améliorant les performances actuelles ?
Sur le réseau de transport tout d’abord où, bien que le taux de perte ait diminué significativement de 5,3 % en 2005 à 4,7 % en 2006, une marge de progression est encore envisageable, notamment en regard des performances atteintes par les best players : par exemple, en France le taux de perte s’établit à environ 2,5 %. Pour ce qui concerne le réseau de distribution, de nombreuses initiatives ont été lancées par l’ONE : automatisation de l’exploitation, amélioration de la structure du réseau et renforcement de la maintenance préventive.
Les réseaux : suivre l’augmentation de la demande tout en améliorant les performances actuelles
Ce dernier point est un élément clé pour les consommateurs, le réseau de distribution connaissant régulièrement des » coupures » dans certaines régions du Maroc. En avril 2008 par exemple, le manque de coordination entre les différents distributeurs et la structure non adaptée du réseau ont engendré des coupures de courant répétitives dans la ville d’Agadir.
Enfin, la volonté du Maroc de développer la part des énergies renouvelables au sein de son mix énergétique (comme l’illustre l’objectif d’atteindre 1 GW d’énergie éolienne installée au Maroc d’ici 2012) devra s’accompagner d’un renforcement des systèmes de gestion du réseau. En effet, les énergies éolienne et solaire, fortement dépendantes des conditions climatiques, peuvent engendrer de fortes fluctuations sur le réseau et conduire à des surcharges. Les réseaux de transport et de distribution devront donc être suffisamment » robustes » pour supporter ces fluctuations.
Mieux utiliser l’électricité
Le centre de Casablanca. |
Après l’accroissement de la capacité de production et la réduction des pertes sur les réseaux, le dernier levier d’équilibrage de l’électricité au Maroc est l’optimisation de la consommation. Réduction de consommation tout d’abord, et autant que possible lissage de la consommation tout au long de la journée.
Dans ce cadre, de nombreuses actions de sensibilisation ont été lancées par l’ONE cette année au Maroc vis-à-vis des consommateurs résidentiels, comme, par exemple, le » 15 minutes éco » qui incite les foyers à n’utiliser qu’une seule ampoule entre 21 h 30 et 21 h 45.
Par ailleurs des actions ayant des impacts plus massifs, comme l’équipement des éclairages publics du pays en ampoules basse consommation, ont permis des gains significatifs rapides. Enfin, ces mesures devront être complétées par des actions vis-à-vis des industriels pour inciter ces derniers à décaler leur consommation autant que possible en dehors des pics de consommation du pays.
D’autres enjeux
Le défi électrique ne constitue qu’un des enjeux auxquels le Maroc doit répondre aujourd’hui. D’autres problématiques, économiques (accroissement des investissements directs étrangers, augmentation des exportations, développement des activités secondaires et surtout tertiaires, développement des infrastructures…) et sociales (réduction des inégalités, remise à niveau du système éducatif et lutte contre l’analphabétisme, amélioration de la formation…) doivent impérativement être traitées dans les années à venir pour soutenir la forte croissance actuelle et la stabilité du pays.
Cet article a été écrit avant la diffusion fin juillet 2008 par le ministère de l’Énergie, des Mines, de l’Eau et de l’Environnement marocain des grandes lignes de sa nouvelle stratégie énergétique. Le lecteur ne retrouvera pas ici obligatoirement l’ensemble des axes retenus.
En bref
Fondé en 1967, Roland Berger Strategy Consultants est l’un des leaders mondiaux du conseil de direction générale et le premier cabinet d’origine européenne avec 1 800 collaborateurs, répartis dans 36 bureaux et 25 pays. Roland Berger Strategy Consultants a décidé d’ouvrir cette année un bureau à Casablanca afin de pouvoir offrir :
– à ses clients marocains, publics et privés, le meilleur support face à leurs défis stratégiques et opérationnels ;
– à ses clients mondiaux, une expertise des marchés du Royaume et une compréhension des facteurs clés de succès de leur développement.