Quel véhicule autonome pour demain ?
Une lutte sans merci s’est engagé entre les différents protagonistes voulant développer le véhicule autonome. D’un coté les constructeurs et équipementiers, de l’autre les nouveaux entrants tels Uber et Google ou Tesla qui utilisent des techniques de programmation inédites. Compte tenu des efforts engagés, la question n’est plus de savoir si le véhicule du futur sera autonome, mais quand.
Quelle mouche a donc piqué les ingénieurs automobiles du monde entier, pour qu’ils se mobilisent avec autant d’ardeur autour du véhicule autonome ?
“ Uber et Google voient dans le véhicule autonome un levier d’accélération de leur modèle économique ”
Est-ce pour répondre au besoin de nos mégapoles engorgées par le trafic, soucieuses de maîtriser la congestion et de réduire les émissions de CO2 ?
Est-ce pour apporter une réponse aux attentes d’une société voulant assurer la mobilité pour tous, y compris les plus âgés ?
Est-ce un mouvement activé par de nouveaux acteurs du monde privé comme Uber et Google, qui voient dans le véhicule autonome un levier d’accélération de leur modèle économique ?
Est-ce enfin simplement une évolution rendue aujourd’hui possible par l’émergence de nouvelles technologies en matière de capteurs ou d’intelligence embarquée, mais ne répondant à aucun réel besoin des clients ?
REPÈRES
Les standards internationaux classent les véhicules autonomes en cinq niveaux d’automatisation. Jusqu’au niveau 2 inclus, c’est le conducteur qui supervise l’environnement du véhicule, assisté par un ou plusieurs systèmes d’automatisation.
À partir du niveau 3, on peut parler véritablement de véhicule automatisé car le système assure à la fois le contrôle dynamique du véhicule et la surveillance de l’environnement.
UNE AUTOMATISATION CROISSANTE
Les systèmes de niveau 1 automatisent une des deux fonctions de contrôle du véhicule (vitesse ou direction) ; ils sont commercialisés depuis plusieurs années, comme, par exemple, la fonction de régulation active de la vitesse introduite par Jaguar ou Land Rover dès 1999.
La conduite autonome sur autoroute commence à être bien maîtrisée par les constructeurs.
Cette fonction, qui permet de moduler la vitesse de croisière en fonction de la distance avec le véhicule qui vous précède, a été peu à peu perfectionnée avec l’utilisation de capteurs plus performants et notamment des radars.
Des systèmes de niveau 2 ont été lancés plus récemment, qui conduisent automatiquement dans les bouchons grâce à un guidage latéral du véhicule dans sa file et un contrôle de la distance avec le véhicule précédent.
Proposé sur la dernière Passat de Volkswagen ou sur le X5 de BMW, ce système permet de libérer complètement le conducteur jusqu’à des vitesses de 60 km/h.
Citons également le Remote parking pilot, lancé par Mercedes cette année sur la nouvelle classe E, qui permet de garer sa voiture automatiquement en la contrôlant depuis son téléphone mobile de l’extérieur de la voiture.
Le véhicule autonome le plus abouti commercialisé à ce jour est incontestablement la Tesla Model S, première voiture capable de changer de file automatiquement quand le conducteur le lui demande en agissant sur le clignotant. On entre ici dans le club restreint des véhicules autonomes prêts pour le niveau 3.
Tesla a osé proposer un système performant, ludique et a pris des risques assumés avec une fonction prévue pour l’autoroute que rien n’empêche d’activer en ville.
AUTOMATISER LES FONCTIONS DE CONDUITE
Quatre domaines sont directement concernés : la perception de l’environnement, le contrôle dynamique du véhicule, les algorithmes de décision et l’interface homme-machine.
“Désormais, le conducteur délègue l’exécution de manœuvres à grande vitesse”
Le contrôle dynamique du véhicule est le plus simple : il fait appel à des organes éprouvés pour le contrôle de la direction, du freinage, du moteur, ou de la boîte de vitesses. Toutes ces fonctions dynamiques sont depuis longtemps pilotées par des calculateurs électroniques.
Le véhicule autonome n’ajoute qu’une exigence accrue de fiabilité et de sécurité, car le conducteur délègue désormais l’exécution de manœuvres à grande vitesse.
PERCEVOIR L’ENVIRONNEMENT
DES MILLIONS DE KILOMÈTRES EN GOOGLE CAR
Parmi les projets les plus ambitieux visant à un véhicule totalement autonome (sans chauffeur), il faut mentionner la Google Car. Google, pionnier dans ce domaine, se distingue par une approche massivement expérimentale avec un total cumulé en février 2016 de 2,3 millions de kilomètres parcourus par sa flotte de roulage composée d’une vingtaine de Lexus.
Google se distingue également par l’apport de technologies d’intelligence artificielle comme le deep learning, qui améliorent considérablement la performance des algorithmes de décision. La commercialisation de ses véhicules autonomes est annoncée pour 2020.
Autrement plus complexe est le problème de la perception de l’environnement. Un des capteurs les plus emblématiques équipant les véhicules autonomes est le LiDAR : ce télémètre laser infrarouge permet de reconstruire une image 3D de l’environnement de la voiture et ainsi de détecter tous les obstacles potentiels tels qu’un véhicule, un cycliste ou un piéton.
L’intérêt du LiDAR est qu’il émet ses propres impulsions lumineuses, permettant son fonctionnement quelle que soit la luminosité. Il offre également une résolution et une distance de détection compatibles avec un fonctionnement à grande vitesse.
Seul inconvénient, outre son coût encore important, il perd en performance dans des conditions climatiques sévères (neige, forte pluie, brouillard). Il est à ce jour essentiel dès lors qu’on veut s’affranchir totalement d’une supervision humaine.
Comment reconnaître les panneaux de signalisation ou les marquages au sol ? Comment identifier un enfant jouant au bord de la route et susceptible à tout moment de couper votre trajectoire ? Cette tâche est généralement confiée à des caméras cumulant faible coût, grande résolution, grande flexibilité d’installation et d’usage malgré la qualité variable de l’éclairage de la scène. Ici, les performances des caméras sont démultipliées par les progrès considérables du traitement d’image.
Citons enfin comme dernière catégorie de capteurs embarqués les radars, qui garantissent un fonctionnement sûr par temps de brouillard et offrent également l’avantage de mesurer par effet Doppler la vitesse relative de l’obstacle détecté, même si leur résolution est faible.
Pour savoir sur quelle file on se trouve ou éviter une zone de chantier ou d’accident, l’approche générale retenue consiste à enrichir les données GPS par celles provenant des caméras, de l’odomètre ou des capteurs inertiels, et à croiser l’ensemble de ces données avec une cartographie haute définition.
Ce type de cartographie permet également d’anticiper la commande du véhicule par rapport à des risques situés en dehors de la zone de perception directe du véhicule, de l’ordre de 50 à 100 mètres.
AU CŒUR DU SYSTÈME
Au cœur du système, les algorithmes de commande calculent la trajectoire optimale du véhicule pour assurer des fonctions aussi variées que garder sa file, dépasser un véhicule, s’insérer dans le trafic ou s’arrêter à une intersection.
LOCALISER LE VÉHICULE AVEC PRÉCISION
Pour assurer un déplacement en totale autonomie, le véhicule doit pouvoir être localisé avec une précision dépassant largement celle offerte par les systèmes de localisation satellite. On avance en général le chiffre de 10 à 20 cm.
Mais ils doivent être capables d’intervenir également en cas d’urgence pour éviter une collision. Le tout en optimisant le confort pour les passagers, en évitant les à‑coups, les freinages violents et les écarts brusques.
Si la conduite autonome sur autoroute commence à être bien maîtrisée par les constructeurs, en revanche la conduite urbaine, de par la densité des véhicules proches, la complexité des intersections (sans même envisager encore la place de l’Étoile) et la présence de piétons et cyclistes reste un véritable défi.
UNE INTERFACE HOMME-MACHINE SOPHISTIQUÉE
Il importe alors, dans les cas où le système trouve ses limites, de rendre la main au conducteur : c’est une des missions allouées au module d’interface homme-machine.
Celui-ci a d’autres missions importantes : rassurer le conducteur sur le bon fonctionnement du système de conduite autonome, par exemple en visualisant la zone « cocon » de sécurité autour du véhicule, ou surveiller l’état de vigilance du conducteur pour garantir qu’il est à même à tout moment de reprendre le contrôle.
TENIR LA PROMESSE DE SÉCURITÉ ACCRUE
Il importe alors, dans les cas où le système trouve ses limites, de rendre la main au conducteur .
Le principal défi du véhicule autonome est probablement de tenir la promesse de sécurité accrue mise en avant par les constructeurs. Le point le plus délicat touche probablement aux composants logiciels intervenant dans la fusion de données, la reconnaissance de scènes, la planification des trajectoires.
Ces composants sont majoritairement issus de processus de programmation par apprentissage de type deep learning, à l’opposé des logiciels obtenus par programmation impérative, de loin les plus utilisés dans notre industrie automobile.
Or il n’existe aucun retour d’expérience de l’utilisation dans des applications critiques de ce type de logiciels, par ailleurs bannis des secteurs aéronautiques, nucléaires ou ferroviaires.
Et, plus les algorithmes sont puissants, plus leur fonctionnement est opaque. Les standards et méthodes de conception et de preuve de la sûreté de fonctionnement sont ici à construire.
À cet égard, l’accident qui a coûté la vie au conducteur d’une Tesla model S en Floride en mai 2016 et les vives réactions qu’il a provoquées ont malheureusement mis en lumière les limites de la technologie déployée à ce jour, mais aussi l’insuffisance du cadre réglementaire régissant l’homologation et l’utilisation des véhicules autonomes.
FAIRE ACCEPTER LA VOITURE AUTONOME PAR LES USAGERS
L’acceptation par les usagers de la voiture autonome est le second enjeu majeur : il s’agit de créer un sentiment de sécurité à bord pour l’usager qui met sa vie entre les mains de la machine. Dans ce domaine, la psychologie compte plus que les données rationnelles.
VÉRIFIER EMPIRIQUEMENT LA SÛRETÉ DE FONCTIONNEMENT
En l’absence de cadre formel de vérification de la sûreté de fonctionnement, les démarches empiriques de validation – par l’accumulation des kilomètres parcourus – vont perdurer dans les prochaines années, couplées à des moyens souples et réactifs de corrections des inévitables « bugs ». La connectivité joue ici un rôle important car elle permet la mise à jour du système d’exploitation de la voiture à distance, sans avoir à ramener son véhicule en concession.
Car l’acceptation du risque n’est pas la même suivant que l’on est maître du véhicule ou non : même si les accidents de la route tuent 1,2 million de personnes par an dans le monde entier, il peut suffire de quelques cas d’accidents mortels à bord de véhicules autonomes pour ruiner leur réputation.
La cohabitation entre véhicules autonomes et véhicules non autonomes va aussi créer des frictions – que penser d’un véhicule qui ne réagit pas aux appels de phares et aux coups de klaxon ? Se posent même des questions d’ordre éthique et moral dans le cas où l’accident n’est pas évitable : peut-on laisser la machine décider par elle-même quelle vie a plus d’importance qu’une autre ?
Des difficultés techniques restent à résoudre, en particulier le fonctionnement en zone urbaine et plus particulièrement dans certaines intersections délicates où l’humain négocie le passage de son véhicule par un regard, un geste, ou un signal d’avertissement.
“La machine peut-elle décider quelle vie a plus d’importance qu’une autre ?”
Il est probable que, face à ces difficultés, le déploiement du véhicule autonome ne pourra se faire que par étapes en commençant par la circulation autoroutière ou dans certaines villes-tests. Une étude intéressante menée aux États-Unis suggère qu’il faudra attendre une vingtaine d’années pour voir se déployer de vrais robots-taxis et une quarantaine d’années pour que l’essentiel des véhicules commercialisés soient autonomes.
Le stade ultime du véhicule autonome imposé par la loi pourrait quant à lui intervenir entre 2060 et 2080, lorsque les bénéfices du véhicule autonome auront été démontrés à grande échelle.
À QUAND LA RUPTURE CONSOMMÉE ?
Le véhicule autonome s’annonce comme une rupture majeure pour notre vieille industrie.
S’ADAPTER AU CONTEXTE LOCAL
Que faire dans les pays où l’infrastructure (marquages au sol, signalisation) est déficiente ? Ou les pays où de nombreuses libertés sont prises avec le code de la route, où se créent par exemple des files « sauvages » sur des axes embouteillés ? Les solutions développées par les constructeurs devront tenir compte de ces particularités.
L’effort considérable déployé par les nouveaux entrants comme Google, Apple, Tesla ou Uber pour débaucher les talents de la Silicon Valley, le rachat par GM de Cruise Automation, petite entreprise de 40 personnes, pour un montant estimé à 1 milliard de dollars, les initiatives récentes d’acteurs chinois comme Baidu, le Google chinois, avec le support actif du gouvernement qui rêve de gagner face aux États-Unis la bataille du véhicule autonome, sont autant de signes éloquents.
Les constructeurs d’automobiles traditionnels, qui ont bien compris le risque de se voir dépassés par ces nouveaux acteurs ambitieux, mettent les bouchées doubles pour rattraper leur retard. Ainsi Toyota aurait déjà déposé 1 400 brevets en la matière.
Compte tenu des efforts incroyables engagés dans ce qu’on pourrait comparer à une ruée vers l’or et au regard des bénéfices qu’en attend la société, la question n’est plus de savoir si le véhicule du futur sera autonome. La question est simplement quand.