Quelle comptabilité pour les banques ?
Chaque activité d’entreprise repose sur une logique économique spécifique. Des activités différentes ont des modèles de fonctionnement différents. La valeur d’une ressource pour une activité dépend de la manière dont cette ressource contribue aux recettes nettes, dans le contexte de la logique économique de l’activité considérée, c’est-à-dire selon sa fonction et la manière dont elle est utilisée.
L’indicateur le plus riche en informations pour un investisseur est le compte de résultat car il reflète ce qu’il est possible d’attendre en matière de variations des recettes de l’entité et peut permettre de prévoir la capacité à long terme de l’entité à générer des bénéfices dans un modèle d’entreprise donné. Même si la valeur du bilan peut intéresser un investisseur, elle est un élément moins important dans la mesure où elle ne représente pas la manière dont l’entité utilise effectivement ses ressources et ne donne pas d’éclairage sur la capacité de gains futurs.
Repères
Dans les années quatre-vingt, le développement considérable des marchés de capitaux et des instruments dérivés (options de change, swaps de taux d’intérêt, transactions à terme sur indices boursiers, etc.) a conduit à l’émergence d’un nouveau mode de comptabilisation, la » juste valeur de marché » (en anglais : fair market value), consistant à valoriser au fil de l’eau les instruments financiers à leur valeur instantanée, telle que constatée sur les marchés où ils peuvent s’échanger (mark to market).
Cette méthode, incontestablement plus adaptée aux activités de négoce de court terme (trading), a été progressivement étendue au-delà. Toute une école de pensée, dominante dans les cercles de théoriciens comptables aux États-Unis, a même promu l’évolution vers une comptabilisation de tous les instruments financiers, donc de l’ensemble des bilans bancaires, selon cette méthode : la full fair market value.
Distinguer négoce et production
Un actif peut produire des bénéfices de différentes manières. Cependant, pour simplifier, la contribution d’un actif aux recettes nettes peut être classée en deux types de logique élémentaires : la contribution par utilisation et la contribution par échange. La contribution par utilisation fait référence à une logique économique dans laquelle la valeur d’un actif provient de l’utilisation d’une ressource en la combinant avec des apports complémentaires éventuels. À l’inverse, lorsqu’une ressource contribue par échange aux recettes nettes, la contribution au flux de trésorerie dans ce modèle n’est obtenue que par abandon de la ressource.
La couverture des risques de taux oblige la banque commerciale classique à utiliser des instruments dérivés
Un élément pouvant être utilisé de ces deux manières, l’information financière doit prendre en compte les différences inhérentes à ces deux modèles d’entreprise et les refléter dans les états financiers.
Les activités financières, à l’instar de bien d’autres, peuvent être décrites par ces deux modèles d’entreprise :
- l’activité de négoce (trading) consiste à acheter et à vendre de manière active des instruments financiers exactement comme on le ferait avec des camions ou des bâtiments. Ce modèle d’entreprise se caractérise par une rotation importante des instruments et une gestion active de couverture ou d’arbitrage. L’objectif principal de ce modèle d’entreprise est de réaliser de la valeur lors de l’échange des instruments financiers ;
- les activités de production de flux (cash-flow) consistent en revanche à prêter et emprunter de l’argent, à détenir et à émettre des titres, et à collecter des dépôts, afin d’obtenir des revenus à partir des flux de trésorerie que génèrent ces instruments financiers. Des actifs peuvent être vendus mais de manière occasionnelle et pas avec une fréquence significative.
Le financement, activité de production
L’activité type des métiers de financement consiste à agir comme intermédiaire entre les déposants et les emprunteurs. Ce type d’activité assure aux emprunteurs et aux épargnants une protection contre les fluctuations des taux d’intérêt. La banque transforme des ressources à court terme en prêts à long terme et transforme des dépôts à taux variable en actifs à taux fixe. Les risques de taux d’intérêt qui en résultent l’obligent à utiliser des instruments dérivés pour se couvrir.
Activités utilisant des instruments financiers
Les banques agréées ne sont pas les seules à mener des activités financières : on peut citer également les courtiers-agents de change (brokers-dealers), les sociétés d’assurance, les fonds d’investissement, les départements de trésorerie des entreprises industrielles, etc. Certaines de ces sociétés mènent uniquement des activités de négoce, d’autres uniquement des activités de production de flux. Les banques tendent à faire les deux, dans des divisions séparées, qui sont souvent désignées par les expressions : » activités de marché » (trading book) et » activités de financement » (banking book).
Les clients des banques ont des besoins différents selon les rôles qu’ils jouent à un instant donné. Par exemple, un client individuel peut être à la fois un déposant et un emprunteur. En tant que déposant, il souhaite être en mesure de retirer à tout moment ses dépôts à vue pour satisfaire ses besoins de liquidités. En tant qu’emprunteur, il veut être capable de prévoir ses remboursements futurs et demande de la prévisibilité sur les flux de trésorerie à long terme. L’activité de financement bancaire produit le service demandé des deux côtés et assume les risques de liquidité et de taux d’intérêt qui en résultent en les couvrant grâce à des instruments de marché tels que des obligations d’État, des titres émis par la banque et des dérivés.
Le mode de fonctionnement de l’activité de financement bancaire peut donc être décrit à l’aide de trois portefeuilles de base. Le portefeuille de relation clientèle comprend les dépôts, les emprunts à moyen et long terme, et les prêts accordés aux clients. Ce portefeuille crée un risque de liquidité causé par le décalage dans le temps des flux de trésorerie relatifs à ces instruments, et un risque de taux d’intérêt causé par des différences de rendement des deux côtés du bilan.
Le banking book ne peut réaliser de la valeur qu’en détenant les instruments financiers sur le long terme
Le portefeuille de couverture du risque de liquidité est constitué d’actifs et de passifs que la banque détient pour gérer le risque de liquidité créé par les décalages d’échéance générés par le portefeuille de relation clientèle. Le but de ce portefeuille est de venir en complément du côté actif ou passif pour diminuer le risque provenant des différences d’échéance des deux côtés du bilan. Il comprend, par exemple, les swaps de devises, qui permettent de créer un financement dans une devise à partir d’une émission libellée dans une autre devise. Ce portefeuille peut contribuer aussi à couvrir en partie le risque de taux d’intérêt.
Utiliser en parallèle
Enfin, le portefeuille de couverture de risque de taux d’intérêt est composé d’instruments financiers qui sont principalement des instruments dérivés utilisés par la banque pour couvrir le risque de taux d’intérêt résiduel non couvert par les deux premiers portefeuilles. Il est évident, d’un point de vue économique, que l’existence de trois portefeuilles dans ce schéma organisationnel n’a de sens que lorsqu’ils sont utilisés en parallèle sur la durée. Une banque ne peut réaliser de la valeur dans son banking book qu’en détenant tous ces instruments financiers sur le long terme.
Comment faire la différence entre les deux activités ?
Il y a une différence très claire entre les deux types d’activité d’une banque, trading book et banking book : ils suivent des pratiques de gestion différentes et des règles prudentielles différentes ; ils sont aisément identifiables par la direction et les auditeurs.
Il existe une interaction forte entre le cadre d’information financière et les décisions prises par la direction
La séparation entre les deux portefeuilles est en particulier facile à auditer. Toutefois, dans des circonstances rares, il peut être pertinent pour l’entité de transférer un actif ou un passif d’un portefeuille à l’autre. Ces transferts sont aisés à contrôler et à justifier. En termes de difficulté, c’est beaucoup plus simple et plus transparent que de contrôler la juste valeur d’un instrument qui n’est plus négocié sur un marché actif.
Comptabilité et type d’activité
La direction d’une entreprise travaille à accroître la valeur pour les investisseurs. Il est également vrai que les investisseurs s’appuient sur l’information financière pour déterminer la performance de l’entité et l’efficacité des décisions de gestion.
Transferts d’actifs
Une banque peut avoir intérêt à transférer un actif d’un portefeuille à un autre. Il peut s’agir d’un actif du portefeuille de négoce, dont le marché devient soudain non liquide lors d’une crise financière.
Comme il est désormais impossible de vendre cet actif, la banque peut décider de le conserver dans le portefeuille de financement.
À l’inverse, il peut s’agir d’un actif du portefeuille de financement que la banque décide exceptionnellement de vendre : il est commode de le transférer aux équipes appropriées de la division trading et de leur demander de le vendre sur le marché au meilleur prix.
L’information financière devrait identifier ces transferts exceptionnels et permettre à l’entité de les refléter et d’en faire part dans le reporting sur la performance de l’entité.
En conséquence, il est clair qu’il existe une interaction forte entre le cadre d’information financière et les décisions prises par la direction.
Si les règles comptables ne peuvent pas s’adapter au type d’activité de l’entité et si ces règles ne fournissent pas une représentation pertinente des effets des décisions de la direction, cela va naturellement conduire la direction à mener les activités différemment afin de donner une présentation plus favorable de la performance de l’entreprise.
Les participants au marché ont donc besoin d’un cadre comptable comportant un ensemble de méthodes d’évaluation qui permette aux sociétés de mettre en place leur type d’activité de manière appropriée. La séparation entre la comptabilité à la juste valeur de marché et la comptabilité au coût amorti devrait être effectuée en fonction du type d’activité et non de la nature de l’instrument : la juste valeur de marché devrait être limitée aux activités de négoce
La méthode du coût amorti devrait s’appliquer aux activités de » production de flux » à long terme, qu’il s’agisse de portefeuilles bancaires, d’investissements de sociétés d’assurance ou de financement d’entreprises.