Quelle énergie nucléaire pour la France de demain ?
Le double besoin
Besoin de vivre
90 % des besoins énergétiques de la France sont couverts aujourd’hui par le nucléaire et le pétrole-gaz.
Le double besoin
Besoin de vivre
90 % des besoins énergétiques de la France sont couverts aujourd’hui par le nucléaire et le pétrole-gaz.
Les centrales nucléaires françaises ne font pas parler d’elles (sauf quand on les démolit) et ne rejettent pas de CO2 dans l’atmosphère. Aucun incident grave n’est intervenu depuis quarante ans. Leurs trois responsables (EDF, CEA, Framatome) ont appris à travailler ensemble, avec un encadrement et des techniciens très compétents.
À l’inverse, le pétrole-gaz n’a plus très longtemps à vivre (un petit siècle) et la facture pétrolière est montée de 70 % en dix-huit mois. Certes le pétrole peut être partiellement relayé par le charbon (coal to liquid) mais avec une production record de CO2.
Les énergies de remplacement sont à l’état embryonnaire (sauf l’hydraulique, qui est saturé). Leurs coûts sont assurés de ne pas descendre en dessous de deux à trois fois le coût des producteurs majoritaires actuels (pétrolier et nucléaire). Et leur volume total ne dépasse jamais au mieux 15 à 20 % des besoins. Elles passionnent les journalistes ; elles vivent à coup de subventions et d’achats forcés.
Seules les économies d’énergie apportent au nucléaire un complément substantiel.
Besoin d’exporter
La France n’a plus dans son catalogue de produits que quatre à cinq familles de produits qui sont compétitifs dans le monde. Le nucléaire en fait partie. Notre pays est même dans ce domaine le premier producteur mondial.
La crédibilité du nucléaire français proposé à l’étranger repose sur ce qui a été réalisé sur notre territoire. Il faut donc persévérer, et complémentairement expérimenter des produits adaptés aux divers besoins du monde. La France pourrait mieux faire à l’exportation, en introduisant de tels produits dans son catalogue.
Les objections soulevées par l’énergie nucléaire
1. L’opinion publique
L’énergie nucléaire a été révélée au grand public par Hiroshima et Nagasaki. À Dresde et Magdebourg les victimes ont été aussi nombreuses, mais la puissance destructrice des « bombes atomiques », lancées par deux aviateurs solitaires, a été effarante. À cela s’ajoute le mystère des rayonnements invisibles et persistants qui répandent beaucoup de morts lentes.
Néanmoins peu de gens se sont émus, semble-t-il, que le général de Gaulle ait constitué au CEA une Direction des applications militaires, destinée à fabriquer la bombe atomique ; et l’implantation de centres de recherche sur la bombe à proximité de Paris, Dijon et Tours n’a soulevé que peu de contestation.
La construction des premières centrales atomiques en France et en Belgique (1975−1980) n’a pas soulevé d’opposition. Certes, peu après sont survenus un incident aux États-Unis qui n’a pas fait de victimes, puis le grave accident de Tchernobyl qui en fait environ 200. Les médias et les associations antinucléaires ont surgi aussitôt et ont trouvé en Tchernobyl un argument imparable en multipliant quelquefois par 10 le nombre des victimes.
La traînée de poudre de la désinformation a persuadé les Européens que le nucléaire c’était l’horreur. Chaque ouverture d’un nouveau site de centrale électrique a donné lieu à des manifestations paralysantes, au moment même où des ingénieurs français faisaient déjà tourner sans incident les premières centrales à eau pressurisée, les REP.
Et il n’y a pas eu en Europe de campagnes de redressement des informations alarmistes. L’industrie nucléaire allemande en est morte, l’industrie italienne a avorté… Seule la France n’a pas ralenti sa marche. Grâce soit rendue aux présidents Pompidou et Giscard, et aux dirigeants de l’EDF : ils ont ainsi donné la preuve qu’une autorité qui ne flotte pas dans sa décision inspire confiance à la population et décourage les faux prophètes. Le système de gouvernement ayant changé, la contestation a repris le dessus alors qu’il est impératif de remplacer les premiers réacteurs et d’en construire de nouveaux.
2. Le poids des investissements financiers1
L’industrie nucléaire est effectivement une industrie très lourde (2,5 à 3 milliards d’euros pour un réacteur de 1 600 MW)2.
L’amortissement de l’investissement initial (y compris la prévision de démantèlement) représente 55 % du coût du kWh produit, contre 20 % pour une chaudière à gaz. Mais au total le kWh est moins cher, donc plus profitable.
Pour un programme de 60 tranches de 1 600 MW étalées sur trente ans, il faut investir 5 à 6 milliards d’euros par an. C’est ce qu’a fait la France entre 1970 et 1990. C’est cher, mais accessible et d’une rentabilité certaine.
Certes on pourrait craindre que les investisseurs financiers avides de gros rendements à court terme ne soient pas séduits par de tels investissements. Mais il existe encore des investisseurs à long terme pour qui la certitude d’un bon rendement financier prime sur le délai. Néanmoins l’incertitude politique sur une longue période justifie une assurance collective à laquelle contribuent les pouvoirs publics.
3. Le risque de prolifération permettant des usages militaires
On connaît les produits de base qui permettent de fabriquer de l’énergie nucléaire (essentiellement uranium et thorium). Les productions passent toutes soit par l’enrichissement d’un élément existant dans la nature (tel que l’uranium), soit par la production à partir d’un élément qui n’y figure pas (tel que le plutonium). Il convient donc en premier lieu de contrôler étroitement les techniques d’enrichissement car en poussant très loin l’enrichissement de l’uranium naturel jusqu’à 90 % (contre 3,5 % pour les applications civiles) on obtient de quoi faire des bombes. En outre certains sous-produits des applications civiles, notamment ceux qui proviennent du retraitement des combustibles usés (évoqués ci-après) sont dangereux : à défaut d’être explosifs ils sont très toxiques et les bombes sales, bien que moins nocives que les bombes bactériologiques, pourraient susciter un effet de panique très dommageable à l’avenir du nucléaire.
La substitution du thorium à l’uranium permettrait d’obtenir, par retraitements successifs des déchets, des produits à moindre durée de vie. Il serait utile d’en faire l’expérience de bout en bout afin de ne pas être tributaires d’une seule matière première. Mais le passage au thorium entraîne des modifications très coûteuses.
4. Le risque d’emballement du réacteur
C’est ce qui s’est passé à Tchernobyl : la température du cœur est montée à un niveau terrifiant : les combustibles ont fondu, la dalle recouvrant le réacteur a été soulevée et les produits radioactifs se sont répandus dans la nature.
Les trois manœuvres de sécurité, indépendantes l’une de l’autre, permettant d’arrêter la réaction radioactive ont toutes les trois été défaillantes. Cela résulte d’un vice de conception (perçu et évité en Occident) et d’une succession de fausses manœuvres dues à l’inexpérience des opérateurs.
Dans le nouveau modèle de réacteur EPR une quatrième protection a été introduite réduisant à 10–7 la probabilité de défaillances en cascade ; en outre une troisième enceinte en acier a été ajoutée aux enceintes en béton.
Une solution encore plus sécurisante a été recherchée dans les réacteurs dits hybrides : la réaction de fission dans le cœur ne peut se réaliser qu’avec injection de neutrons supplémentaires issus d’un dispositif tout à fait indépendant. Si un tel réacteur pouvait fonctionner on serait ainsi arrivé tout près du risque zéro. Mais il y a encore beaucoup à faire pour présenter un prototype réalisable industriellement. Les vieux professionnels du nucléaire sont très sceptiques.
5. Le risque d’agression terroriste
Soit de l’extérieur, par un avion kamikaze.
Soit de l’intérieur, par dépôt de charge explosive puissante dans une partie sensible de l’installation.
Le réacteur EPR a été étudié conjointement par Framatome et Siemens en vue de supprimer ces risques. On a envisagé toutes sortes d’agressions depuis l’avion de chasse kamikaze jusqu’à la bombe perforeuse en grande profondeur des Américains. Les Finlandais en ont été satisfaits.
6. Les difficultés d’exploitation
Ces difficultés proviennent du grossissement des centrales de grandes dimensions en vue d’étaler le coût d’investissement sur une grosse production.
a) Rigidité au niveau de la production
Une centrale nucléaire ne peut pas aussi facilement être ralentie ou accélérée qu’un groupe électrogène, mais pas beaucoup moins facilement qu’une centrale traditionnelle d’EDF. C’est pourquoi l’EDF a voulu interconnecter toutes ses centrales malgré le surcoût de la distribution qui en résulte. Ces exigences ont été satisfaites et l’option prise sur l’interconnexion ne peut pas être remise en cause.
b) malgré la déséconomie d’échelle pour les petites centrales
La faible densité démographique de certaines régions et l’électrification des îles lointaines (Antilles, Réunion…) interdit l’installation d’une centrale nucléaire de grande puissance, selon le type que l’on maîtrise aujourd’hui.
D’où la multiplication de bureaux d’études centrés sur des modèles de centrales à 100 MW (au lieu de 1 000), mais sans moyens financiers suffisants. Leur but est de permettre l’ouverture de l’offre à de nombreux pays en voie de développement, avec un mode de financement approprié. Le problème a été résolu pour les sous-marins et les porte-avions, mais à des coûts prohibitifs inconcevables pour une centrale électrique.
Variations mensuelles de la consommation électrique en France (base 100 pour la moyenne annuelle 1990) D’après l’Observatoire de l’Énergie |
7. Incapacité à fournir de l’énergie embarquable et stockable
Ce problème n’est pas spécifique des centrales nucléaires, mais de toutes les centrales électriques en général.
Les transporteurs routiers, fluviaux et aériens ne peuvent pas se relier à un réseau électrique ; de même les groupes électrogènes utilisés sur chantiers ou dans des territoires isolés.
Deux types de solutions pas très satisfaisantes aujourd’hui :
. les batteries d’accumulateurs, longue durée et légères,
. la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau, ou par des piles à combustible.
La première solution est déjà pratiquée pour des transports n’exigeant pas des retours fréquents à des rechargeurs de batterie : une autonomie de 300 kilomètres et un réseau de distributeurs de batteries de rechange tous les 50 km seraient nécessaires, avec des batteries d’accumulateurs ne dépassant pas 80 à 200 kg selon le type de véhicule. C’est ce dernier point qui est le plus difficile.
La deuxième solution présente des difficultés plus grandes, du fait du coût de l’électrolyse (ou de la pile à combustible) et du poids des containers embarquables. Les bilans économique et énergétique sont mauvais.
Par rapport au coal to liquid l’électricité n’est pas propice aux transports autres que ferroviaires.
8. Perspectives d’épuisement des matières premières
Pour l’uranium extrait des gisements terrestres cette perspective ne dépasse pas deux cents ans, dans l’hypothèse d’un doublement de la consommation par siècle.
Pour l’uranium, comme pour le thorium, extrait des océans, la perspective est théoriquement illimitée mais les premiers essais montrent que c’est au moins dix fois plus coûteux que l’uranium terrestre. Par contre dans les réacteurs à neutrons rapides (type Superphénix) les consommations sont réduites de 90 % et le délai d’épuisement dépasse mille ans. En outre l’exploitation des ressources terrestres de minerai radioactif est encore très incomplète.
9. Conclusion sur la production nucléaire avec les moyens actuels
Aucun obstacle ne pourrait justifier une limitation de la construction de nouveaux réacteurs de type EPR. Bien entendu on espère que d’ici cinquante ans on sortira un modèle nouveau de réacteur ayant des performances supérieures, notamment dans trois domaines : le rendement énergétique, le risque de prolifération et le volume des déchets ; mais dans quarante ans le moment sera presque venu de remplacer les premiers EPR construits au début du XXIe siècle. Quant au problème de sécurité on peut le considérer déjà comme résolu techniquement… (mais pas dans l’esprit des utilisateurs !). Seul demeure le problème de la production de carburant liquide aux consommateurs ambulants, l’électricité en général devant être encore longtemps une voie coûteuse malgré son avantage écologique. Reste le problème des petites centrales, de l’ordre de 100 MW, ainsi que le problème conjoint, et peut-être insoluble, du stockage de l’énergie.
Le problème des déchets
N. B. : ce problème important nécessiterait des éclaircissements relativement longs qui seront donnés ultérieurement par La Jaune et la Rouge.
Le Monde annonce en mars 2006 que le sol français est déjà couvert par « un million de mètres cubes de déchets nucléaires ».
En fait, d’après l’ANDRA, chaque centrale de 1 000 MW laisse, chaque année, 3,3 m³ de déchets très toxiques et de longue durée (soit 92 % des déchets les plus toxiques), ce qui depuis la première centrale de 1978 représente environ 3 500 m³. 3 Ce cubage sera multiplié par 5 d’ici 2050 (soit un cube de 20 m d’arrête).
À cela s’ajoutent des déchets de diverses origines, beaucoup plus volumineux, qui contiennent 8 % de la radioactivité, et une grande masse de déchets inertes.
Ces données numériques sont fournies pour situer l’ampleur du problème, et expliquer pourquoi la recherche est concentrée sur la première catégorie de déchets, de loin la plus dangereuse. Trois types de solutions – évidements cumulables – sont à l’étude depuis 1970, avec des résultats très positifs :
1) trouver un procédé de fabrication qui ne génère pas de déchets dangereux ou beaucoup moins,
2) retraiter ces déchets de telle façon qu’ils soient partiellement réutilisés,
3) enfouir les parties inutilisables le plus profondément possible dans une roche qui ne risque pas de dégrader les containers et de faciliter les infiltrations.
1. C’est ce qu’on attend de la réaction de fusion et, avant cette échéance lointaine, de procédés et de combustibles nouveaux (en priorité : la surgénération).
2. C’est ce qui se fait à La Hague avec la production de combustible MOX qui récupère une partie du plutonium, (mais il en reste plus de la moitié).
3. C’est la solution la moins glorieuse mais la plus accessible ; les essais et les mesures qui ont été faits à plus de 500 mètres de profondeur ont montré que même si des dégradations et des infiltrations se produisent, cela ne concernerait que des produits ayant perdu une part importante de leur radioactivité.
Il en résulte que les problèmes des déchets ont des solutions en cours de mise au point, les obstacles les plus difficiles techniquement paraissant déjà franchis.
Mais les déchets n’ont pas fini de faire peur parce qu’ils réunissent toutes les composantes de l’effroi : le poison invisible, silencieux, mortel et quasi éternel. En outre, la preuve expérimentale de l’efficacité des protections est impossible. Le quidam est prisonnier du « dire de l’expert » et même si les experts convergent à 99 %, qui nous dit que ce n’est pas le 100e qui a raison ?
Et pourtant… le danger est-il aussi grave que ce qu’on se raconte ? La molécule radioactive qui risque de s’évader de sa prison et de polluer quelques kilomètres carrés est-elle aussi dangereuse que les virus et les bactéries tout aussi silencieux qui continuent à faire des millions de morts dans le monde.Il ne faut pas se laisser piéger par le principe du risque zéro.
Quels types de production retenir ?
Grosses centrales ou petites centrales ?
Commençons par dire que nous ne savons construire, au moins en France, que de grosses centrales (de 900 à 1 700 MW). Il existe aussi des réacteurs de sous-marins et de porte-avions, mais leurs prix de revient sont rédhibitoires pour les utilisations civiles. En outre, nous avons dû épouser la politique d’interconnexion universelle de notre réseau électrique malgré la majoration du coût de distribution qu’elle a entraînée.
Depuis 1970 nous avons fabriqué des réacteurs à eau pressurisée (REP), initialement conçus par les Américains, mais très améliorés par les Français. Ces réacteurs ont très bien fonctionné sans un seul accident de personnel depuis 1978 mais ils sont gourmands en uranium et producteurs de plutonium, produit très toxique et pouvant concourir après un nouveau traitement à la fabrication de bombes atomiques.
Nous avons alors étudié et construit dans les années 1970–1980 un réacteur (Superphénix) très novateur, qui n’avait pas ces inconvénients (il en avait quelques autres) et il nous aurait donné une génération d’avance sur les Américains. Mais il a suscité une levée de boucliers des mouvements antinucléaires et il a été sacrifié sur l’autel de « l’alternance politique ».
Nous avons alors dû nous rabattre sur un réacteur du même principe que le REP (l’EPR), comportant des sécurités supplémentaires, peut-être inutiles mais répondant à la hantise des écologistes.
Nous avons donc conçu de nouvelles grosses centrales (EPR) proches des REP donc très sûres, mais avec les mêmes inconvénients du côté uranium et plutonium. Deux constructions témoins (l’une en France, l’autre en Finlande) sont en cours et commenceront à fonctionner en 2010.
Le remplacement des précédentes centrales PWR pourra donc commencer en 2011. Plusieurs pays étrangers, qui ont déjà construit des PWR, se sont déclarés intéressés par l’EPR. Mais il est peu probable que les gros marchés (exemple : Chine) s’y intéressent.
Par ailleurs les besoins de tous les pays – ceux qui n’ont pas un réseau connecté et ceux qui sont isolés (sur une île ou dans la steppe) – risquent de ne pas s’y intéresser beaucoup non plus.
Il y a déjà une demande des pays à faible densité de population pour une rénovation de leurs médiocres sources d’énergie (l’animal de trait, la lampe à pétrole, le groupe électrogène…) et des pays régionalisés où chaque région doit produire son énergie.
La Jaune et la Rouge fera le point dans quelques mois sur « les réacteurs de poche » qui seraient un moyen de développement pour les pays en voie de développement et contribueraient à l’inversion des migrations.
Uranium ou thorium ?
Ces deux matières premières n’ont pas encore fait l’objet de recensement des réserves comme on l’a fait pour les matières fossiles ; mais à ce jour les réserves connues ne sont pas considérables, (cent à deux cents ans de consommation si celle-ci se développe fortement). Certes, on pourra toujours trouver de l’uranium et du thorium très abondants dans l’eau de mer ; mais il sera beaucoup plus intelligent de multiplier les surgénérateurs qui peuvent décupler la durée de vie de l’énergie nucléaire et supprimer la diffusion du plutonium dans les pays qui le convoitent pour fabriquer des bombes atomiques. C’est la performance que réalisait Superphénix ; il faudra bien revenir à quelque chose d’équivalent. Aujourd’hui la quasi-totalité des centrales nucléaires du monde marchent à l’uranium, et le passage au thorium serait une opération très coûteuse ; pourtant le thorium a l’avantage, même sans surgénération, de laisser des déchets à plus faible radioactivité. Quant aux surgénérateurs il y en a qui fonctionnent déjà au Japon sans faire parler d’eux.
Quels coûts ?
Le prix de revient de l’électricité d’origine nucléaire est actuellement le plus faible de toutes les autres filières, avec une composition très différente :
. le combustible ne constitue que 20 % du total (contre 70 % pour une chaudière à gaz),
. l’amortissement de la centrale entre pour 65 % (contre 20 % pour une chaudière à gaz)4.
En effet, un réacteur nucléaire de 1 500 MW coûte 2,5 à 3 milliards d’euros, et le prolongement de la durée de vie du réacteur est très profitable ; la fabrication en série de réacteurs identiques est également très payante. C’est ce que les Français ont réalisé pour le modèle PWR et qu’ils souhaiteraient répéter pour le nouveau réacteur (EPR) dont le coût initial est déjà inférieur de 10 % à celui du PWR.
<td class=« rtecenter » « = » »> 94%*
(TWh) | TOTAL | NUCLÉAIRE | FOSSILES | HYDRAULIQUES |
Consommation + export | 465 + 70 | |||
Production | 535 | 417 (78%) | 53 (10%) | 66 (12%) |
Capacité de production | 850 | 552 | 229 | 70 |
Taux d’utilisation | 63% | 75% | 23% | |
* Pendant les pointes de consommation. |
Quel programme nucléaire électrique pour la France ?
Quelle urgence ?
Regardons d’abord les chiffres de 2002 en France pour l’énergie électrique en TWh (voir tableau).
IRIS (International Reactor Innovative and Secure) est un exemple de « petit réacteur » (www.irisreactor.org) |
Les partisans de « ne pas se presser » font observer que, en supprimant l’exportation d’électricité et en demandant aux centrales à combustibles fossiles d’absorber les fluctuations de la consommation, on pourrait faire monter le taux d’utilisation des réacteurs nucléaires à 90 % (comme aux États-Unis) et la capacité de production totale de 20 %. Cela permettrait, affirment-ils, de faire face aux besoins français avec le parc de réacteurs actuel jusqu’en 2012… d’autant plus que les plus anciens de nos réacteurs REP actuels n’atteindront l’âge de la retraite (40 ans) qu’en 2018. À cette date, espèrent-ils, des réacteurs plus performants que l’EPR seront disponibles.
Cette argumentation n’est pas tout à fait sans valeur mais elle est contestable sur les points suivants :
• compte tenu de l’état actuel de l’opinion publique et du délai de mise au point d’un nouveau modèle de réacteur la soudure avec le parc actuel ne serait pas assurée,
• pour la plupart les partisans d’attendre espèrent en fait que le retard se transformera en abandon,
• la relance des centrales à combustibles fossiles coûterait cher,
• l’arrêt de l’exportation détruirait la confiance dans le pouvoir de la France de porter secours à ses voisins imprudemment « sortis du nucléaire ».
Par conséquent, tout en nous réservant la possibilité d’apporter des améliorations à notre réacteur EPR lorsque nous en aurons mis en route une première série (une dizaine), il sera urgent de lancer cette première série dès que les deux prototypes en cours de montage auront été testés (environ 2012).
Et si, dans vingt-cinq ans, un nouveau modèle de réacteur impose sa supériorité à l’EPR nous saurons changer notre fusil d’épaule.
Combien de réacteurs devrons-nous construire ?
Si nous limitons notre horizon à 2050 ce sera prioritairement le remplacement du potentiel actuel qui doit nous préoccuper. Le modèle choisi, compte tenu de l’option prise en France de l’interconnexion, est plus puissant d’environ 30 % aux réacteurs en service ; et le nombre d’unités passera de 58 à 40, en espérant que, du fait de l’amélioration du taux d’utilisation (de 75 à 90 %), il sera possible de faire face à l’extension des besoins français et de l’exportation.
Cette supposition est peut-être optimiste mais elle cadre avec celle de la DGEMP5 et avec l’estimation qui figure dans l’article de Jean-Noël Herman dans le numéro d’octobre de La Jaune et la Rouge.
Nous devons viser la construction de 40 grosses centrales (EPR ou modèle équivalent) en trente ans, soit environ trois tous les deux ans. Au-delà, nos pronostics actuels sont très ouverts mais, sauf effondrement économique de l’Europe, orientés à la hausse.
À cela s’ajoutent les réacteurs de petit format dont nous parlerons ultérieurement.
Quel financement ?
Le coût d’un réacteur de 1 500 MW étant estimé à 2,5 milliards d’euros il faudra 4 à 5 milliards d’euros par an.
C’est moins que le premier programme de 50 REP, et le marché financier est plus riche6. Pour dire cela, nous nous appuyons sur trois arguments :
a) EDF a encaissé les suramortissements du premier programme (calculé pour vingt-cinq ans et prolongé de quinze ans) ;
b) EDF ne s’est engagée sur la stabilité de son prix de vente que jusqu’en 2010, alors que les prix des pays concurrents auront beaucoup monté ; les marges vont s’accroître sensiblement ;
c) les investisseurs financiers, ayant fait une bonne affaire avec les programmes des années 1975 à 2000, seront motivés pour le nouveau programme. Une réserve : l’Union européenne doit donner son accord pour une garantie de l’État français en cas de risques politiques mondiaux.
D’où viendra la volonté de s’engager ?
La superréférence que constitue la réussite du premier programme ne suffit pas.
Le temps n’est plus où nos gouvernements avaient une autorité régalienne sur le pays. « L’ivresse démocratique » dénoncée par Alain Minc les a mis sous le contrôle de l’opinion publique. Et celle-ci est encouragée par les diffuseurs d’émotions paralysantes (Hiroshima, Tchernobyl) et garde l’épouvante de la radioactivité « éternellement mortelle ».
Face à cette déformation de l’opinion, les partisans du nucléaire (qui constituent la majorité des gens instruits) réagissent faiblement. Ils discutent entre eux sur des options techniques non fondamentales et oublient que la vérité ne s’impose pas uniquement par des démonstrations scientifiques.
Le nucléaire a une pente à remonter ; par contre il ne peut utiliser que des moyens loyaux. Mais ses nombreux et éminents partisans se sont tenus sur une position défensive. Ils n’ont pas envahi l’écran de télévision pour dire que l’Europe allait dans le mur, que les générations qui vont nous suivre seront sacrifiées et que la France perdra sa suprématie mondiale dans un domaine majeur. Ont-ils même ouvert leurs portes aux écologistes non politisés (tels que le groupe « Sauvons le climat ») qui ont compris que l’énergie nucléaire est la seule énergie propre ? Qu’attendent-ils pour ouvrir les portes de leurs usines et de leurs laboratoires aux enfants des écoles et aux associations humanitaires de leur voisinage ?
L’anniversaire du drame de Tchernobyl vient de faire l’objet d’une publicité considérable ; mais les réussites contemporaines de Fessenheim et du Bugey n’ont pas été évoquées.
C’est un plan de communication de plusieurs centaines de millions d’euros par an qu’il faut consacrer au déblocage psychologique de nos compatriotes. Après quoi un référendum montrera, il faut l’espérer, que la France a retrouvé le chemin du « Oui ».
Comment préparer l’avenir au-delà de 2050 ?
Il faut, au moins pour les grosses centrales, une quarantaine d’années pour maîtriser au stade industriel un nouveau procédé de production d’énergie.
Le lancement des constructions de gros réacteurs (EPR et autres) ne nous dispense donc pas de préparer de nouvelles générations nucléaires. Dès aujourd’hui les cerveaux sont mobilisés. D’abord aux USA dont le désintérêt pour Kyoto ne doit pas faire illusion, (une dizaine de centres d’études sur l’énergie sont largement subventionnés), mais aussi dans tous les pays qui ont déjà trempé dans le nucléaire : Russie, Japon, Canada… Il y a deux ans le Forum « Génération IV » a réuni une dizaine de pays et a distribué entre eux les domaines de recherche et les objectifs à atteindre. Depuis lors l’énergie de fusion a été attribuée à la France (ITER) et au Japon avec de très larges délais.
Génération IV : six concepts en rupture à l’étude |
À notre avis le Forum s’est insuffisamment tourné vers les « réacteurs de poche », adaptés aux petits périmètres de distribution et s’est centré sur l’accroissement des performances des grosses centrales en faisant une large place aux préjugés de l’opinion publique sur la sécurité. D’une façon plus générale il semble ne pas avoir donné priorité au confinement des produits utilisables militairement.
Néanmoins il est intéressant de présenter les six axes d’étude qui ont été retenus pour la génération IV (c’est-à-dire au-delà des REP et des EPR) :
a) le réacteur à gaz à très haute température couplé à un système de production d’hydrogène, (les Français ne sont pas partants mais cette formule s’accommode de petites centrales à moins de 300 MW),
b) le réacteur rapide à gaz, le combustible étant fait de matériaux réfractaires (le CEA y croit),
c) les réacteurs rapides (RNR) (au sodium pour Superphénix) qui coûteront moins cher aujourd’hui et seront plus sécurisés (la France, la Russie et le Japon sont sur les rangs),
d) le réacteur rapide au plomb (RRP), de plus petite puissance et transportable (les Russes ont une bonne expérience de ce type de solution et rêvent de doter leurs ports de l’Océan arctique de tels générateurs de puissance électrique),
e) le réacteur à eau supercritique (RES) qui cumulera un grand nombre de difficultés,
f) le réacteur à sels fondus (RSF), basé sur le cyclage uranium-thorium, que les Américains ont étudiés dès 1970, mais dont les opérations sont complexes, et qui est gourmand en thorium.
Ces divers types de solution doivent respecter un ordre de succession chronologique : par exemple les EPR produisent du plutonium nécessaire aux ENR7, et ces dernières produisent de l’U 233 dont ont besoin les RSF.
Outre ces six types de réacteurs sélectionnés officiellement, nous pensons qu’il faut donner sa chance à la coopération France-Russie-Suisse (grâce au CERN) pour l’expérimentation d’un réacteur au plomb-bismuth combiné avec une nouvelle technologie du retraitement des déchets. Ce réacteur étant de petite puissance (100 MW), la Chine promet de financer le prototype8.
Que sortira-t-il de ces ententes internationales, soudées par un forum à cadence annuelle (ou semestrielle) ? Vraisemblablement une collaboration loyale et fertile jusqu’aux premiers essais du prototype. Si ces essais sont encourageants il y aura évidemment une course à la récolte des fruits. Mais des alliances partielles se constitueront et de vraies solidarités entre deux ou trois partenaires naîtront.
Conclusion générale sur l’énergie nucléaire
La domestication de l’énergie nucléaire est le plus grand progrès réalisé par l’Humanité depuis plusieurs siècles pour surmonter son impuissance, sans pour autant maltraiter son environnement, au contraire.
En France, d’ici la fin du XXIe siècle, elle progressera quant au prix de revient, à l’économie de matières premières et – espérons-le – à la miniaturisation.
Les maladies de jeunesse qui ont accompagné son émergence, aussi regrettables soient-elles, paraîtront minimes par rapport au surclassement des moyens traditionnels pour dominer la nature (moyens en cours d’épuisement). Aussi lointaine que sera la maîtrise de l’énergie de fusion nous sommes certains que la soudure pourra être assurée.
Au niveau mondial, si l’on parvient à étendre les avantages de cette énergie à l’ensemble de tous les pays, le monde prendra un nouveau visage. L’idée de « sortir du nucléaire » deviendra impensable à tous nos petits-enfants.
Le risque à éviter coûte que coûte est qu’au lieu de se déployer parmi les vivants, l’énergie nucléaire se concentre pour provoquer la mort. L’objectif majeur que doivent se donner les scientifiques est de dresser une barrière infranchissable entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire.
Moyennant quoi, les techniques suffiront-elles ? Il faut aussi, en parallèle, supprimer les raisons de s’entre-tuer entre communautés de toutes conditions ; la proclamation emphatique de la solidarité mondiale dont on nous rebat les oreilles n’y suffira pas.
_________________
1. Pour les objections soulevées par l’énergie nucléaire de 2 à 8 voir les travaux de Nifenecker (55), Bobin (55), Bacher (52).
2. Petit lexique : M = méga (106) G = giga (109) T = téra (1012).
3. Les chiffres relatifs aux déchets émanent de l’ANDRA et ont été communiqués à X‑Environnement par Pierre Boisson (55), ingénieur général des Mines.
4. Voir Société française de Physique Réflexions sur l’EPR (2004) page 2. Il s’agit ici de moyennes entre le régime de marche maximum (7 000 heures par an) et le régime minimum (2 000 heures par an).
5. Direction générale de l’Énergie et des Matières premières.
6. (C’est la volonté des décideurs qui est plus faible.)
7. Voir le remarquable article d’Élisabeth Huffert dans La Jaune et la Rouge de septembre 2004.
8. Consulter Bounine-Cabalé (44) 01.34.86.79.78.