Quelle formation pour les chercheurs en entreprise ?
Dans les entreprises : plus de D, moins de R, moins de docteurs
Les parcours professionnels des chercheurs sont différents dans le public et dans le privé
Par rapport aux laboratoires publics, les entreprises font plus de développement et moins de recherche. Elles font rarement la différence en matière de qualification entre ingénieurs et chercheurs, la distinction étant effective en revanche entre cadres et non-cadres. Elles décrivent comme personnel de recherche et développement tous ceux qui travaillent dans cette activité, techniciens compris.
Parmi les cadres de R&D, que représentent les docteurs ? En proportion, une dizaine de pour cent. En responsabilité, davantage, et cela va croissant avec la mondialisation et l’extension de la recherche coopérative qui mêle les équipes publiques et privées.
REPÈRES
Selon les dernières données connues (Eurostat, 2010), la France est, avec environ 240 000 équivalents temps plein, le premier pays d’Europe pour la proportion de chercheurs dans la population active (8,46 ‰, contre 8,18 ‰ au Royaume-Uni, et 7,87 ‰ en Allemagne).
Mais la vraie spécificité française est ailleurs : autour de 58% d’entre eux travaillent dans les entreprises. C’est une proportion supérieure à celle de l’Allemagne, et très supérieure à celles du Royaume-Uni, de l’Italie, de l’Espagne (plutôt autour de 35%), et c’est le résultat d’une forte augmentation, presque un doublement depuis 1997, alors que le nombre de chercheurs publics n’augmentait dans la même période que de 25%.
Malgré cette proportion importante de chercheurs en entreprise, leurs métiers, leurs compétences distinctives, leurs carrières sont moins décrits que ceux de leurs homologues publics. La possibilité même de faire de la recherche en entreprise est souvent méconnue par les étudiants, auxquels leurs professeurs donnent spontanément l’image du chercheur public.
Quelles formations et carrières pour les chercheurs en entreprise ?
Le plus grand nombre des chercheurs en entreprise sont recrutés avec un diplôme d’ingénieur ou de master universitaire, selon les spécialités. On peut donc se demander en quoi l’enseignement qu’ils ont reçu les a préparés à faire de la recherche. Un aspect méconnu de la recherche appliquée, telle qu’on la pratique dans les entreprises, est qu’on y est proche de certains problèmes de direction générale : les analyses de l’évolution internationale, le positionnement du portefeuille d’activités, la définition des stratégies et des orientations, la protection et la valorisation des résultats en sont des exemples.
Ces questions ne sont pas spécifiques à la recherche, mais on a l’occasion de les aborder plus tôt si on entre dans une équipe de recherche. Aussi pourraient-elles donner lieu à davantage d’enseignement dans les écoles et les universités. Cela révélerait aux étudiants des aspects de l’activité de recherche qu’ils méconnaissent, et qui peuvent être motivants.
Des parcours différents
Les parcours professionnels des chercheurs sont très différents dans le public et dans le privé. Dans le secteur public, on est le plus souvent recruté comme chercheur pour toute une carrière, ce qui ne veut pas dire que les responsabilités ou les projets n’évoluent pas.
C’est le talent qui compte
Les études « Générations » du Céreq le montrent avec constance : les docteurs recrutés par les entreprises le sont surtout pour faire de la recherche ; c’est d’ailleurs le secteur où ils sont le mieux rémunérés en début de carrière.
Pourtant, la perspective classique en entreprise est la mobilité. Comme le passage par la recherche ne donne pas l’assurance de la suite, il faut bien se dire qu’au-delà de l’entrée c’est le talent personnel qui comptera.
Dans les entreprises, la recherche est un passage de quelques années, sauf pour des experts qui, là où la gestion des ressources humaines est codifiée, peuvent être valorisés en tant que tels dans un système à double grille reconnaissant compétence et niveau d’encadrement.
La formation par la recherche qui s’effectue en entreprise pour la majorité des personnes, pour d’autres au moment du doctorat, est-elle bonne pour la suite d’une carrière ? On entend souvent les directeurs de la recherche des grandes entreprises le dire : « Dans ce monde de plus en plus incertain, il faut ne rien tenir pour acquis, s’adapter. Dans l’entreprise, ceux qui passent par la recherche sont particulièrement qualifiés pour cette nouvelle donne. »
Une future élite, donc, ou une future partie de l’élite ? Là encore, on manque de données. Certaines entreprises font de la recherche un passage privilégié, une « pépinière de talents ». Mais cela ne semble pas être la pratique majoritaire.
Valoriser son doctorat
Un docteur, par rapport à un collègue qui se sera arrêté au master ou au diplôme d’ingénieur, aura de plus passé trois ans sur un projet professionnel personnel, agrémenté s’il le souhaite de formations complémentaires qu’il choisira.
Une spécificité française
La proportion de docteurs est-elle caractéristique du niveau de recherche d’un pays ? Il n’y a pas de différences marquées en Europe, et la France n’y fait pas mauvaise figure. On peut noter que c’est le seul pays développé où le nombre de docteurs en « sciences dures » et ingénierie (aujourd’hui largement préférés par les entreprises) l’emporte sur celui des docteurs en sciences humaines et sociales.
Que vaudra ce projet pour sa formation, pour la construction de son expérience ? Tous les sujets de thèse ne se valent pas, non plus que tous les laboratoires où l’on prépare des doctorats, non plus que toutes les aptitudes personnelles.
En France, il y a des différences repérées entre les écoles, une sorte d’échelle reconnue par les employeurs. Le doctorat est une expérience à forte connotation individuelle. Il peut améliorer les chances pour la suite, à condition d’être valorisé.
Certaines entreprises font de la recherche un passage privilégié
Dans ce processus de valorisation, le docteur n’est pas seul en cause, mais sa responsabilité personnelle est grande : appréciation de l’intérêt du sujet, choix du laboratoire puis de la façon de prendre son travail et de le présenter.
Difficile de trouver un emploi
On ne peut éviter de parler de docteurs en entreprise sans revenir encore une fois sur le fait que les docteurs ont actuellement plus de difficultés à trouver un emploi que ceux qui postulent directement au niveau bac + 5.
Ce n’est pas une spécificité française. Les données sont imprécises, mais la différence est sensible. Les causes en ont déjà été citées : la plus grande difficulté à qualifier un travail individuel qu’un cycle scolaire collectif ; les abus, heureusement en voie de disparition, qui ont marqué aussi bien la qualité de l’encadrement que le sort matériel fait au doctorant ; et, en France, la coexistence avec des écoles qui ont fourni la plupart des cadres actuels des entreprises.
Docteur, quoi de neuf ?
Mais les choses bougent. Ainsi, le dispositif des conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE), qui existe depuis 1981, et dont le ministère de la Recherche a confié la gestion à l’ANRT, se caractérise entre autres bénéfices par une « restauration de l’employabilité » des docteurs. Les raisons sont faciles à analyser, elles confirment des pistes de progrès valables pour tous les doctorants. Le sujet de thèse est soumis à une expertise extérieure au laboratoire ; le doctorant est sélectionné dans les mêmes conditions que pour une embauche future ; le travail est solidement encadré ; le doctorant est considéré comme un professionnel et convenablement rémunéré. Il y a deux éléments qui sont particuliers aux CIFRE : le fait que le doctorant est employé par une entreprise qui peut ainsi le tester pendant trois ans ; l’exigence de suivi, qui conditionne le versement trimestriel par l’ANRT à l’entreprise de la subvention accordée par l’État.
Une meilleure lisibilité internationale
Par ailleurs, plusieurs écoles d’ingénieurs, faisant le constat de l’internationalisation des carrières et de la cotation des formations encouragent désormais leurs étudiants à poursuivre leurs formations par un doctorat. Cela a le double effet d’une meilleure lisibilité internationale du niveau obtenu par l’étudiant et des performances scientifiques de l’établissement.
L’X a connu des évolutions importantes depuis les années 1990
C’est le cas de l’École polytechnique comme de plusieurs autres écoles de ParisTech. L’X a en effet connu des évolutions importantes que depuis les années 1990.
Évolutions à Polytechnique
Sous l’impulsion de Bernard Esambert, Pierre Faurre et Yannick d’Escatha, l’École s’est voulue puis s’est organisée dans une perspective internationale.
Un mouvement rapide
Les chiffres montrent la rapidité des mouvements suscités ; pour les X sortis en 2012, 28% sont engagés dans un travail de recherche avec un contrat de doctorant, 48,5% étant par ailleurs embauchés directement en entreprise.
Quant aux formations doctorales dispensées à l’École, elles possèdent des originalités fortes. Les « doctoriales » incluent une semaine de prise de connaissance de l’entreprise et de l’innovation, avec un concours de création d’entreprise ; des modules sont par ailleurs proposés sur quatre semaines à temps plein en collaboration avec ParisTech sur le management.
Ainsi, la réforme X 2000 a permis à la fois de conduire les élèves polytechniciens à être employés très majoritairement dès la sortie de l’École avec une scolarité modifiée et allongée d’une année, et de développer à l’X des formations de masters et de doctorats très ouvertes à l’international. Ainsi, l’École rejoignait le club des établissements mondiaux formant jusqu’au doctorat (PhD aux États-Unis).
Les réformes suivantes que nous avons décidées et qui figurent dans le contrat avec l’État créent plusieurs voies avec l’aide d’établissements partenaires membres ou non de l’Université Paris-Saclay (Mines, Ponts, Agro, HEC, ISAE, etc.). Il s’agit du management de grands projets, de l’innovation et de la création d’entreprises ou de l’approfondissement d’un domaine scientifique ou technologique.
Pour nos élèves et étudiants, cela se traduit d’ores et déjà concrètement par deux évolutions marquantes : un encouragement pour les élèves polytechniciens qui le souhaitent à poursuivre un travail de recherche dans un parcours doctoral ; le développement de formations doctorales à l’École en liaison avec les laboratoires qui y sont implantés avec l’appui du CNRS, de l’INRIA, de l’ONERA, de Total, de Thalès, etc., dans le cadre de l’Université Paris-Saclay.
Commentaire
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François Xavier MARTIN (63)
» La France … est le seul pays développé où le nombre de docteurs en « sciences dures » et ingénierie (aujourd’hui largement préférés par les entreprises) l’emporte sur celui des docteurs en sciences humaines et sociales »
Cette affirmation sur la position de la France par rapport à des pays tels que l’Allemagne, les Etats-Unis ou le Japon surprendra certainement beaucoup de lecteurs car, si elle est exacte, elle va à l’encontre de l’opinion courante.
Voir les chiffres détaillés pour l’ensemble des pays de l’OCDE (et quelques autres) sur le diagramme suivant qui provient de l’OCDE et donne le pourcentage de doctorats en sciences et ingénierie par rapport au nombre total de doctorats :
http://orientation.blog.lemonde.fr/files/2012/09/Doctorat‑6.jpg
Le diagramme de l’OCDE figure dans l’étude :
http://orientation.blog.lemonde.fr/2012/09/14/doctorats-scientifiques-y-a-t-il-un-retard-francais
qui m’a valu d’être cité dans la préparation de la loi de finances 2014 (budget de la recherche et de l’enseignement supérieur) !
http://www.assemblee-nationale.fr/14/budget/plf2014/a1429-tIX.asp#P98_5343
(pour retrouver les 2 citations : rechercher « Xavier » par CTRL – F ; ça va plus vite que par « François » car vous trouveriez également François Hollande, également cité 2 fois …)