Quelle formation pour les chercheurs en entreprise ?

Dossier : Recherche et entrepriseMagazine N°694 Avril 2014
Par Marion GUILLOU (73)
Par Denis RANDET (59)
Par Pierre BITARD

Dans les entreprises : plus de D, moins de R, moins de docteurs

Les parcours professionnels des chercheurs sont différents dans le public et dans le privé

Par rap­port aux labo­ra­toires publics, les entre­prises font plus de déve­lop­pe­ment et moins de recherche. Elles font rare­ment la dif­fé­rence en matière de qua­li­fi­ca­tion entre ingé­nieurs et cher­cheurs, la dis­tinc­tion étant effec­tive en revanche entre cadres et non-cadres. Elles décrivent comme per­son­nel de recherche et déve­lop­pe­ment tous ceux qui tra­vaillent dans cette acti­vi­té, tech­ni­ciens compris.

Par­mi les cadres de R&D, que repré­sentent les doc­teurs ? En pro­por­tion, une dizaine de pour cent. En res­pon­sa­bi­li­té, davan­tage, et cela va crois­sant avec la mon­dia­li­sa­tion et l’extension de la recherche coopé­ra­tive qui mêle les équipes publiques et privées.

REPÈRES

Selon les dernières données connues (Eurostat, 2010), la France est, avec environ 240 000 équivalents temps plein, le premier pays d’Europe pour la proportion de chercheurs dans la population active (8,46 ‰, contre 8,18 ‰ au Royaume-Uni, et 7,87 ‰ en Allemagne).
Mais la vraie spécificité française est ailleurs : autour de 58% d’entre eux travaillent dans les entreprises. C’est une proportion supérieure à celle de l’Allemagne, et très supérieure à celles du Royaume-Uni, de l’Italie, de l’Espagne (plutôt autour de 35%), et c’est le résultat d’une forte augmentation, presque un doublement depuis 1997, alors que le nombre de chercheurs publics n’augmentait dans la même période que de 25%.
Malgré cette proportion importante de chercheurs en entreprise, leurs métiers, leurs compétences distinctives, leurs carrières sont moins décrits que ceux de leurs homologues publics. La possibilité même de faire de la recherche en entreprise est souvent méconnue par les étudiants, auxquels leurs professeurs donnent spontanément l’image du chercheur public.

Quelles formations et carrières pour les chercheurs en entreprise ?

Le plus grand nombre des cher­cheurs en entre­prise sont recru­tés avec un diplôme d’ingénieur ou de mas­ter uni­ver­si­taire, selon les spé­cia­li­tés. On peut donc se deman­der en quoi l’enseignement qu’ils ont reçu les a pré­pa­rés à faire de la recherche. Un aspect mécon­nu de la recherche appli­quée, telle qu’on la pra­tique dans les entre­prises, est qu’on y est proche de cer­tains pro­blèmes de direc­tion géné­rale : les ana­lyses de l’évolution inter­na­tio­nale, le posi­tion­ne­ment du por­te­feuille d’activités, la défi­ni­tion des stra­té­gies et des orien­ta­tions, la pro­tec­tion et la valo­ri­sa­tion des résul­tats en sont des exemples.

Ces ques­tions ne sont pas spé­ci­fiques à la recherche, mais on a l’occasion de les abor­der plus tôt si on entre dans une équipe de recherche. Aus­si pour­raient-elles don­ner lieu à davan­tage d’enseignement dans les écoles et les uni­ver­si­tés. Cela révé­le­rait aux étu­diants des aspects de l’activité de recherche qu’ils mécon­naissent, et qui peuvent être motivants.

Des parcours différents

Les par­cours pro­fes­sion­nels des cher­cheurs sont très dif­fé­rents dans le public et dans le pri­vé. Dans le sec­teur public, on est le plus sou­vent recru­té comme cher­cheur pour toute une car­rière, ce qui ne veut pas dire que les res­pon­sa­bi­li­tés ou les pro­jets n’évoluent pas.

C’est le talent qui compte

Les études « Générations » du Céreq le montrent avec constance : les docteurs recrutés par les entreprises le sont surtout pour faire de la recherche ; c’est d’ailleurs le secteur où ils sont le mieux rémunérés en début de carrière.
Pourtant, la perspective classique en entreprise est la mobilité. Comme le passage par la recherche ne donne pas l’assurance de la suite, il faut bien se dire qu’au-delà de l’entrée c’est le talent personnel qui comptera.

Dans les entre­prises, la recherche est un pas­sage de quelques années, sauf pour des experts qui, là où la ges­tion des res­sources humaines est codi­fiée, peuvent être valo­ri­sés en tant que tels dans un sys­tème à double grille recon­nais­sant com­pé­tence et niveau d’encadrement.

La for­ma­tion par la recherche qui s’effectue en entre­prise pour la majo­ri­té des per­sonnes, pour d’autres au moment du doc­to­rat, est-elle bonne pour la suite d’une car­rière ? On entend sou­vent les direc­teurs de la recherche des grandes entre­prises le dire : « Dans ce monde de plus en plus incer­tain, il faut ne rien tenir pour acquis, s’adapter. Dans l’entreprise, ceux qui passent par la recherche sont par­ti­cu­liè­re­ment qua­li­fiés pour cette nou­velle donne. »

Une future élite, donc, ou une future par­tie de l’élite ? Là encore, on manque de don­nées. Cer­taines entre­prises font de la recherche un pas­sage pri­vi­lé­gié, une « pépi­nière de talents ». Mais cela ne semble pas être la pra­tique majoritaire.

Valoriser son doctorat

Un doc­teur, par rap­port à un col­lègue qui se sera arrê­té au mas­ter ou au diplôme d’ingénieur, aura de plus pas­sé trois ans sur un pro­jet pro­fes­sion­nel per­son­nel, agré­men­té s’il le sou­haite de for­ma­tions com­plé­men­taires qu’il choisira.

Une spécificité française

La proportion de docteurs est-elle caractéristique du niveau de recherche d’un pays ? Il n’y a pas de différences marquées en Europe, et la France n’y fait pas mauvaise figure. On peut noter que c’est le seul pays développé où le nombre de docteurs en « sciences dures » et ingénierie (aujourd’hui largement préférés par les entreprises) l’emporte sur celui des docteurs en sciences humaines et sociales.

Que vau­dra ce pro­jet pour sa for­ma­tion, pour la construc­tion de son expé­rience ? Tous les sujets de thèse ne se valent pas, non plus que tous les labo­ra­toires où l’on pré­pare des doc­to­rats, non plus que toutes les apti­tudes personnelles.

En France, il y a des dif­fé­rences repé­rées entre les écoles, une sorte d’échelle recon­nue par les employeurs. Le doc­to­rat est une expé­rience à forte conno­ta­tion indi­vi­duelle. Il peut amé­lio­rer les chances pour la suite, à condi­tion d’être valorisé.

Certaines entreprises font de la recherche un passage privilégié

Dans ce pro­ces­sus de valo­ri­sa­tion, le doc­teur n’est pas seul en cause, mais sa res­pon­sa­bi­li­té per­son­nelle est grande : appré­cia­tion de l’intérêt du sujet, choix du labo­ra­toire puis de la façon de prendre son tra­vail et de le présenter.

Difficile de trouver un emploi

On ne peut évi­ter de par­ler de doc­teurs en entre­prise sans reve­nir encore une fois sur le fait que les doc­teurs ont actuel­le­ment plus de dif­fi­cul­tés à trou­ver un emploi que ceux qui pos­tulent direc­te­ment au niveau bac + 5.

Ce n’est pas une spé­ci­fi­ci­té fran­çaise. Les don­nées sont impré­cises, mais la dif­fé­rence est sen­sible. Les causes en ont déjà été citées : la plus grande dif­fi­cul­té à qua­li­fier un tra­vail indi­vi­duel qu’un cycle sco­laire col­lec­tif ; les abus, heu­reu­se­ment en voie de dis­pa­ri­tion, qui ont mar­qué aus­si bien la qua­li­té de l’encadrement que le sort maté­riel fait au doc­to­rant ; et, en France, la coexis­tence avec des écoles qui ont four­ni la plu­part des cadres actuels des entreprises.

Docteur, quoi de neuf ?

Mais les choses bougent. Ainsi, le dispositif des conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE), qui existe depuis 1981, et dont le ministère de la Recherche a confié la gestion à l’ANRT, se caractérise entre autres bénéfices par une « restauration de l’employabilité » des docteurs. Les raisons sont faciles à analyser, elles confirment des pistes de progrès valables pour tous les doctorants. Le sujet de thèse est soumis à une expertise extérieure au laboratoire ; le doctorant est sélectionné dans les mêmes conditions que pour une embauche future ; le travail est solidement encadré ; le doctorant est considéré comme un professionnel et convenablement rémunéré. Il y a deux éléments qui sont particuliers aux CIFRE : le fait que le doctorant est employé par une entreprise qui peut ainsi le tester pendant trois ans ; l’exigence de suivi, qui conditionne le versement trimestriel par l’ANRT à l’entreprise de la subvention accordée par l’État.

Une meilleure lisibilité internationale

Par ailleurs, plu­sieurs écoles d’ingénieurs, fai­sant le constat de l’internationalisation des car­rières et de la cota­tion des for­ma­tions encou­ragent désor­mais leurs étu­diants à pour­suivre leurs for­ma­tions par un doc­to­rat. Cela a le double effet d’une meilleure lisi­bi­li­té inter­na­tio­nale du niveau obte­nu par l’étudiant et des per­for­mances scien­ti­fiques de l’établissement.

L’X a connu des évolutions importantes depuis les années 1990

C’est le cas de l’École poly­tech­nique comme de plu­sieurs autres écoles de Paris­Tech. L’X a en effet connu des évo­lu­tions impor­tantes que depuis les années 1990.

Évolutions à Polytechnique

Sous l’impulsion de Ber­nard Esam­bert, Pierre Faurre et Yan­nick d’Escatha, l’École s’est vou­lue puis s’est orga­ni­sée dans une pers­pec­tive internationale.

Un mouvement rapide

Les chiffres montrent la rapidité des mouvements suscités ; pour les X sortis en 2012, 28% sont engagés dans un travail de recherche avec un contrat de doctorant, 48,5% étant par ailleurs embauchés directement en entreprise.
Quant aux formations doctorales dispensées à l’École, elles possèdent des originalités fortes. Les « doctoriales » incluent une semaine de prise de connaissance de l’entreprise et de l’innovation, avec un concours de création d’entreprise ; des modules sont par ailleurs proposés sur quatre semaines à temps plein en collaboration avec ParisTech sur le management.

Ain­si, la réforme X 2000 a per­mis à la fois de conduire les élèves poly­tech­ni­ciens à être employés très majo­ri­tai­re­ment dès la sor­tie de l’École avec une sco­la­ri­té modi­fiée et allon­gée d’une année, et de déve­lop­per à l’X des for­ma­tions de mas­ters et de doc­to­rats très ouvertes à l’international. Ain­si, l’École rejoi­gnait le club des éta­blis­se­ments mon­diaux for­mant jusqu’au doc­to­rat (PhD aux États-Unis).

Les réformes sui­vantes que nous avons déci­dées et qui figurent dans le contrat avec l’État créent plu­sieurs voies avec l’aide d’établissements par­te­naires membres ou non de l’Université Paris-Saclay (Mines, Ponts, Agro, HEC, ISAE, etc.). Il s’agit du mana­ge­ment de grands pro­jets, de l’innovation et de la créa­tion d’entreprises ou de l’approfondissement d’un domaine scien­ti­fique ou technologique.

Pour nos élèves et étu­diants, cela se tra­duit d’ores et déjà concrè­te­ment par deux évo­lu­tions mar­quantes : un encou­ra­ge­ment pour les élèves poly­tech­ni­ciens qui le sou­haitent à pour­suivre un tra­vail de recherche dans un par­cours doc­to­ral ; le déve­lop­pe­ment de for­ma­tions doc­to­rales à l’École en liai­son avec les labo­ra­toires qui y sont implan­tés avec l’appui du CNRS, de l’INRIA, de l’ONERA, de Total, de Tha­lès, etc., dans le cadre de l’Université Paris-Saclay.

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19630197répondre
14 avril 2014 à 13 h 07 min

Fran­çois Xavier MARTIN (63)

» La France … est le seul pays déve­lop­pé où le nombre de doc­teurs en « sciences dures » et ingé­nie­rie (aujourd’hui lar­ge­ment pré­fé­rés par les entre­prises) l’emporte sur celui des doc­teurs en sciences humaines et sociales »

Cette affir­ma­tion sur la posi­tion de la France par rap­port à des pays tels que l’Al­le­magne, les Etats-Unis ou le Japon sur­pren­dra cer­tai­ne­ment beau­coup de lec­teurs car, si elle est exacte, elle va à l’en­contre de l’o­pi­nion courante.

Voir les chiffres détaillés pour l’en­semble des pays de l’OCDE (et quelques autres) sur le dia­gramme sui­vant qui pro­vient de l’OCDE et donne le pour­cen­tage de doc­to­rats en sciences et ingé­nie­rie par rap­port au nombre total de doctorats :
http://orientation.blog.lemonde.fr/files/2012/09/Doctorat‑6.jpg

Le dia­gramme de l’OCDE figure dans l’étude :
http://orientation.blog.lemonde.fr/2012/09/14/doctorats-scientifiques-y-a-t-il-un-retard-francais
qui m’a valu d’être cité dans la pré­pa­ra­tion de la loi de finances 2014 (bud­get de la recherche et de l’en­sei­gne­ment supérieur) !
http://www.assemblee-nationale.fr/14/budget/plf2014/a1429-tIX.asp#P98_5343
(pour retrou­ver les 2 cita­tions : recher­cher « Xavier » par CTRL – F ; ça va plus vite que par « Fran­çois » car vous trou­ve­riez éga­le­ment Fran­çois Hol­lande, éga­le­ment cité 2 fois …)

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