Quelle place pour les mathématiques en France aujourd’hui ?
Les mathématiques et l’École polytechnique, c’est d’abord un long mariage d’amour : les fondateurs de l’École étaient conscients de l’importance de cette discipline dans la formation des futurs officiers des armes techniques, comme l’artillerie, et ils ont voulu la doter de cours d’analyse rigoureux incluant les avancées les plus récentes. Pour ne citer qu’un exemple, c’est avec ce souci de donner des bases solides à son cours que Cauchy introduisit la définition d’une fonction continue, ce qui se fit non sans quelques réticences de la part des élèves ! Au XIXe siècle, les cours d’analyse de l’École polytechnique, enseignés par les plus grands mathématiciens de l’époque, font référence dans l’Europe entière. Encore tout récemment, l’École a résisté avec succès aux tentatives de baisser le niveau d’exigence en mathématiques demandé aux élèves, consciente du fait qu’un haut niveau dans cette discipline sera indispensable aux ingénieurs de demain.
« L’École a résisté avec succès aux tentatives de baisser le niveau d’exigence en mathématiques demandé aux élèves. »
Nul ne sera donc étonné si, parmi les nombreux patrons qui sont intervenus au printemps dernier dans les médias pour défendre les mathématiques, une grande proportion d’entre eux étaient polytechniciens. De quoi s’alarmaient-ils ? Tout d’abord de la disparition des mathématiques dans certaines filières du lycée, alors que, dans la société de haute technologie où nous vivons, des citoyens éclairés ont tous besoin de bases minimales en sciences, et tout particulièrement en mathématiques. Mais aussi de l’appauvrissement de l’enseignement de cette discipline à tous les niveaux, avec des conséquences dramatiques pour notre économie. Éblouies par les derniers feux d’une recherche d’excellence, comme la médaille Fields d’Hugo Duminil-Copin l’été dernier, les autorités politiques se sont refusé à voir un effondrement déjà bien engagé.
Dans La Jaune et la Rouge en ligne de septembre 2022, Emmanuel Royer et moi annoncions la tenue des assises des mathématiques, du 14 au 16 novembre dernier ; le but de ce colloque à l’Unesco était de faire le point sur les nouveaux besoins de mathématiques dans les autres sciences, l’économie et la société ; il a connu un grand succès – la salle de quatre cents places était pleine et nous avons refusé du monde ! Les exposés sont accessibles sur le site du colloque : https://www.assises-des-mathematiques.fr.
On notera les interventions politiques du premier jour : Antoine Petit, PDG du CNRS, a souligné avec force la situation préoccupante de la recherche mathématique en France aujourd’hui ; Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a assuré la discipline de son soutien ; et Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale, a annoncé une série de mesures spécifiques pour accroître la place des mathématiques au collège et au lycée.
« Éblouies par les derniers feux d’une recherche d’excellence, les autorités politiques se sont refusé à voir un effondrement déjà bien engagé. »
Dans la continuité de ce colloque, le présent dossier fait un point sur la place des mathématiques en France aujourd’hui. Je remercie Emmanuel Royer (X94) avec qui ce dossier a été monté.
C’est l’INSMI (Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions) du CNRS qui effectuera le portage des propositions issues des sept groupes de travail que j’ai eu le grand plaisir de piloter au premier semestre 2022 en vue des assises ; j’émets le vœu que leurs propositions ne soient pas édulcorées, mais que les décideurs politiques prennent pleinement conscience de la situation critique dans laquelle se trouvent les mathématiques en France aujourd’hui.
En illustration : 4 polyèdres de Kepler-Poinsot : grand dodécaèdre. CC 4.0 BY-NC-SA. Source : Collections de l’Institut Henri-Poincaré, Paris.
Commentaire
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Il n’est pas douteux que les mathématiques soient une discipline fondamentale et ce particulièrement de nos jours. Mais tous n’ont pas des intelligences qui se complaisent dans l’abstraction pure. Dans ces conditions ne conviendrait-il pas que les mathématiques soient en permanence enseignées en étroite corrélation, y compris sur le plan historique, avec le développement des sciences de la nature, c’est-à-dire avec une progression liée à celle de ces dernières et que cesse le petit jeu consistant à dissocier l’abstraction du réel au lieu de montrer la nécessité du progrès des mathématiques pour l’évolution de notre compréhension du monde auquel au demeurant nous appartenons.