Quelle reconversion pour les sites industriels ?
De nombreux sites industriels sont en péril ou disparaissent du fait de leur structure de coût qui, plus ou moins subitement, n’est plus compétitive face aux nouveaux acteurs et sites qui se créent et se développent à grande vitesse dans les pays à bas coûts de main-d’œuvre, en particulier en Chine et en Inde. La France subit de plein fouet ce phénomène. Pensons aux fabrications textiles et électroniques qui ont massivement quitté notre pays. Mais n’oublions pas que la quasi-totalité des pays du monde le subit : même la Chine de l’Est subit des délocalisations vers la Chine de l’Ouest ! Que faire pour réduire l’impact social et industriel de ces migrations ?
Première observation
Dans chaque métier, une part des fabrications que l’on peut estimer comprise entre 10 et 20 % restent localisées dans leur pays d’origine du fait des services qui leur sont attachés. Délais de fabrication très courts, conseils de fabrication apportés dès la phase de conception, expertise technique ou industrielle rare, forte personnalisation des produits, séries de petite taille, sécurisation des matières ou des produits sont les services associés qui sont le plus souvent demandés. Et ce besoin de services, loin de se réduire, augmente car ceux-ci constituent de plus en plus les clés de réussite commerciale des nouveaux produits. Ce type de fabrications que l’on appelle « les fabrications à forts services ajoutés » ne se délocalise pas.
Deuxième observation
Les compétences des personnels de production et les équipements de fabrication peuvent parfois séduire des industries très différentes de celle d’origine. Ainsi, les compétences des personnels d’une unité de fabrication de produits optoélectroniques et ses salles blanches avaient convaincu un professeur de médecine anglais de créer un laboratoire de tests précliniques de molécules destinées à traiter les pathologies neurologiques. Minutie, capacité à travailler dans des espaces ultrapropres, en blouse, masques, gants et sous binoculaire associées à la disponibilité de salles blanches pour lesquelles une simple adaptation était nécessaire avaient séduit le professeur. Dans un cas, travail sur des puces (électroniques), dans l’autre travail sur des rats…
L’analyse des compétences collectives et des moyens industriels devenus disponibles du fait de la baisse d’activité constitue le fondement de toute reconversion, cela indépendamment des produits et marchés historiques du site.
La reconversion de sites industriels repose sur ces deux observations : les aptitudes polyvalentes des personnels d’exécution et de certains outils industriels et l’existence, dans tout marché de fabrication (ou de R & D !), de niches sur lesquelles la demande de services encourage, voire impose une localisation de proximité.
Opérationnellement, la reconversion va tout d’abord consister à établir une photographie industrielle et économique détaillée des activités-métiers présents sur le site : identification, analyse puis détourage « papier » des activités-métiers c’est-à-dire sans toucher aux organisations en place. Puis élaboration d’un compte de résultats proforma de chaque activité-métier identifié, compte tenu d’une part des charges industrielles encore présentes pour les prochains mois ou années et d’autre part des possibilités de réduire les coûts lors d’une opération de cession.
Une fois cette étape achevée, le travail consiste à mettre en « vente » séparément sur le marché chacune des activités-métiers du site. Détermination des profils de repreneurs potentiels à approcher. Identification des entreprises à contacter dans une approche très large et extensive des métiers pouvant présenter des synergies avec ceux du site.
Puis appel à candidatures et appel à projets de reprise auprès des candidats qui se sont déclarés intéressés. Choix du ou des meilleurs projets suivant des critères qui peuvent varier selon le groupe industriel cédant ; le premier d’entre eux étant toujours : la pérennité du projet de reprise, c’est-à-dire l’absence d’effet boomerang. En effet, si le cédant reste engagé juridiquement dix-huit mois à compter de la cession, cet engagement est socialement et politiquement plus long, d’environ trois ans.
Industriellement, l’expérience montre que les deux principaux facteurs de succès de ces opérations de reconversion-cession sont :
1) de repositionner chaque activité avec une structure de coût compétitive par rapport aux marchés sur lesquels elle va désormais évoluer,
2) de s’assurer que le repreneur dispose d’une capacité immédiate à apporter une charge industrielle significative issue de ses propres clients.
La diversification ex nihilo d’une activité industrielle qui travaillait pour un unique client, la plupart du temps un client interne au groupe, rencontre un taux d’échec élevé. Dans ce contexte, la probabilité de trouver des repreneurs est directement liée à l’état du marché global dans les métiers proposés. Le niveau de technicité ou la qualité des installations et équipements industriels seront des éléments importants de motivation des repreneurs. La capacité du cédant à assurer un niveau minimal d’activité pendant les trente-six premiers mois de la cession déterminera la taille des équipes reprises. En fin de reconversion, un site multiactivités reconverti sera devenu un village industriel dont les bâtiments et terrains auront été cédés en cours de processus.
Socialement, ces cessions sont dans la plupart des cas des restructurations-cessions car le repreneur n’offre de reprendre qu’un effectif réduit. Parfois même, les équilibres économiques imposés par le marché conduisent à demander aux salariés l’abandon d’accords collectifs avantageux, voire une réduction de leur rémunération. Ces conditions très difficiles sont socialement acceptées si d’une part elles sont objectivement justifiées et si d’autre part des indemnités viennent compenser ces préjudices subis. Une communication sociale de qualité incluant une vision partagée de la situation économique de l’activité est alors un gage de réussite.
Statistiquement, les projets de reconversion-cession permettent de sauver 50 % des emplois menacés, l’éventail allant de 0 % à 100 %. Les salariés qui n’ont pas pu participer à un projet de reprise bénéficient alors des mesures de reclassement individuel qui sont définies dans un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Le cédant, s’il est une grande entreprise, devra également s’engager dans un programme de réindustrialisation du bassin d’emplois en aidant à la création d’autant d’emplois qui auront été détruits : réindustrialisation intrasite en faisant venir des activités nouvelles sur le site, réindustrialisation à l’extérieur du site en aidant des PME à créer des emplois et en aidant de nouvelles entreprises à s’installer sur le bassin d’emplois.
In fine, la reconversion d’un site industriel aura utilisé les trois « R » : Reconversion-cession d’activités-métiers, Réindustrialisation du bassin d’emplois et Reclassements individuels. Ce sont les trois outils de tout projet de reconversion. Est-il besoin de préciser que plus tôt intervient la reconversion-cession d’un site industriel, moins les reclassements et la réindustrialisation sont nécessaires, et infiniment moins coûteuse est sa reconversion ?