Quelle reconversion pour les sites industriels ?

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°628 Octobre 2007
Par Hubert KIRCHNER (80)

De nom­breux sites indus­triels sont en péril ou dis­pa­raissent du fait de leur struc­ture de coût qui, plus ou moins subi­te­ment, n’est plus com­pé­ti­tive face aux nou­veaux acteurs et sites qui se créent et se déve­loppent à grande vitesse dans les pays à bas coûts de main-d’œuvre, en par­ti­cu­lier en Chine et en Inde. La France subit de plein fouet ce phé­no­mène. Pen­sons aux fabri­ca­tions tex­tiles et élec­tro­niques qui ont mas­si­ve­ment quit­té notre pays. Mais n’ou­blions pas que la qua­si-tota­li­té des pays du monde le subit : même la Chine de l’Est subit des délo­ca­li­sa­tions vers la Chine de l’Ouest ! Que faire pour réduire l’im­pact social et indus­triel de ces migrations ?

Première observation

Dans chaque métier, une part des fabri­ca­tions que l’on peut esti­mer com­prise entre 10 et 20 % res­tent loca­li­sées dans leur pays d’o­ri­gine du fait des ser­vices qui leur sont atta­chés. Délais de fabri­ca­tion très courts, conseils de fabri­ca­tion appor­tés dès la phase de concep­tion, exper­tise tech­nique ou indus­trielle rare, forte per­son­na­li­sa­tion des pro­duits, séries de petite taille, sécu­ri­sa­tion des matières ou des pro­duits sont les ser­vices asso­ciés qui sont le plus sou­vent deman­dés. Et ce besoin de ser­vices, loin de se réduire, aug­mente car ceux-ci consti­tuent de plus en plus les clés de réus­site com­mer­ciale des nou­veaux pro­duits. Ce type de fabri­ca­tions que l’on appelle « les fabri­ca­tions à forts ser­vices ajou­tés » ne se délo­ca­lise pas.

Deuxième observation

Les com­pé­tences des per­son­nels de pro­duc­tion et les équi­pe­ments de fabri­ca­tion peuvent par­fois séduire des indus­tries très dif­fé­rentes de celle d’o­ri­gine. Ain­si, les com­pé­tences des per­son­nels d’une uni­té de fabri­ca­tion de pro­duits opto­élec­tro­niques et ses salles blanches avaient convain­cu un pro­fes­seur de méde­cine anglais de créer un labo­ra­toire de tests pré­cli­niques de molé­cules des­ti­nées à trai­ter les patho­lo­gies neu­ro­lo­giques. Minu­tie, capa­ci­té à tra­vailler dans des espaces ultra­propres, en blouse, masques, gants et sous bino­cu­laire asso­ciées à la dis­po­ni­bi­li­té de salles blanches pour les­quelles une simple adap­ta­tion était néces­saire avaient séduit le pro­fes­seur. Dans un cas, tra­vail sur des puces (élec­tro­niques), dans l’autre tra­vail sur des rats…

L’a­na­lyse des com­pé­tences col­lec­tives et des moyens indus­triels deve­nus dis­po­nibles du fait de la baisse d’ac­ti­vi­té consti­tue le fon­de­ment de toute recon­ver­sion, cela indé­pen­dam­ment des pro­duits et mar­chés his­to­riques du site.

La recon­ver­sion de sites indus­triels repose sur ces deux obser­va­tions : les apti­tudes poly­va­lentes des per­son­nels d’exé­cu­tion et de cer­tains outils indus­triels et l’exis­tence, dans tout mar­ché de fabri­ca­tion (ou de R & D !), de niches sur les­quelles la demande de ser­vices encou­rage, voire impose une loca­li­sa­tion de proximité.

Opé­ra­tion­nel­le­ment, la recon­ver­sion va tout d’a­bord consis­ter à éta­blir une pho­to­gra­phie indus­trielle et éco­no­mique détaillée des acti­vi­tés-métiers pré­sents sur le site : iden­ti­fi­ca­tion, ana­lyse puis détou­rage « papier » des acti­vi­tés-métiers c’est-à-dire sans tou­cher aux orga­ni­sa­tions en place. Puis éla­bo­ra­tion d’un compte de résul­tats pro­for­ma de chaque acti­vi­té-métier iden­ti­fié, compte tenu d’une part des charges indus­trielles encore pré­sentes pour les pro­chains mois ou années et d’autre part des pos­si­bi­li­tés de réduire les coûts lors d’une opé­ra­tion de cession.

Une fois cette étape ache­vée, le tra­vail consiste à mettre en « vente » sépa­ré­ment sur le mar­ché cha­cune des acti­vi­tés-métiers du site. Déter­mi­na­tion des pro­fils de repre­neurs poten­tiels à appro­cher. Iden­ti­fi­ca­tion des entre­prises à contac­ter dans une approche très large et exten­sive des métiers pou­vant pré­sen­ter des syner­gies avec ceux du site.

Puis appel à can­di­da­tures et appel à pro­jets de reprise auprès des can­di­dats qui se sont décla­rés inté­res­sés. Choix du ou des meilleurs pro­jets sui­vant des cri­tères qui peuvent varier selon le groupe indus­triel cédant ; le pre­mier d’entre eux étant tou­jours : la péren­ni­té du pro­jet de reprise, c’est-à-dire l’ab­sence d’ef­fet boo­me­rang. En effet, si le cédant reste enga­gé juri­di­que­ment dix-huit mois à comp­ter de la ces­sion, cet enga­ge­ment est socia­le­ment et poli­ti­que­ment plus long, d’en­vi­ron trois ans.

Indus­triel­le­ment, l’ex­pé­rience montre que les deux prin­ci­paux fac­teurs de suc­cès de ces opé­ra­tions de recon­ver­sion-ces­sion sont :
1) de repo­si­tion­ner chaque acti­vi­té avec une struc­ture de coût com­pé­ti­tive par rap­port aux mar­chés sur les­quels elle va désor­mais évoluer,
2) de s’as­su­rer que le repre­neur dis­pose d’une capa­ci­té immé­diate à appor­ter une charge indus­trielle signi­fi­ca­tive issue de ses propres clients.

La diver­si­fi­ca­tion ex nihi­lo d’une acti­vi­té indus­trielle qui tra­vaillait pour un unique client, la plu­part du temps un client interne au groupe, ren­contre un taux d’é­chec éle­vé. Dans ce contexte, la pro­ba­bi­li­té de trou­ver des repre­neurs est direc­te­ment liée à l’é­tat du mar­ché glo­bal dans les métiers pro­po­sés. Le niveau de tech­ni­ci­té ou la qua­li­té des ins­tal­la­tions et équi­pe­ments indus­triels seront des élé­ments impor­tants de moti­va­tion des repre­neurs. La capa­ci­té du cédant à assu­rer un niveau mini­mal d’ac­ti­vi­té pen­dant les trente-six pre­miers mois de la ces­sion déter­mi­ne­ra la taille des équipes reprises. En fin de recon­ver­sion, un site mul­tiac­ti­vi­tés recon­ver­ti sera deve­nu un vil­lage indus­triel dont les bâti­ments et ter­rains auront été cédés en cours de processus.

Socia­le­ment, ces ces­sions sont dans la plu­part des cas des restruc­tu­ra­tions-ces­sions car le repre­neur n’offre de reprendre qu’un effec­tif réduit. Par­fois même, les équi­libres éco­no­miques impo­sés par le mar­ché conduisent à deman­der aux sala­riés l’a­ban­don d’ac­cords col­lec­tifs avan­ta­geux, voire une réduc­tion de leur rému­né­ra­tion. Ces condi­tions très dif­fi­ciles sont socia­le­ment accep­tées si d’une part elles sont objec­ti­ve­ment jus­ti­fiées et si d’autre part des indem­ni­tés viennent com­pen­ser ces pré­ju­dices subis. Une com­mu­ni­ca­tion sociale de qua­li­té incluant une vision par­ta­gée de la situa­tion éco­no­mique de l’ac­ti­vi­té est alors un gage de réussite.

Sta­tis­ti­que­ment, les pro­jets de recon­ver­sion-ces­sion per­mettent de sau­ver 50 % des emplois mena­cés, l’é­ven­tail allant de 0 % à 100 %. Les sala­riés qui n’ont pas pu par­ti­ci­per à un pro­jet de reprise béné­fi­cient alors des mesures de reclas­se­ment indi­vi­duel qui sont défi­nies dans un plan de sau­ve­garde de l’emploi (PSE). Le cédant, s’il est une grande entre­prise, devra éga­le­ment s’en­ga­ger dans un pro­gramme de réin­dus­tria­li­sa­tion du bas­sin d’emplois en aidant à la créa­tion d’au­tant d’emplois qui auront été détruits : réin­dus­tria­li­sa­tion intra­site en fai­sant venir des acti­vi­tés nou­velles sur le site, réin­dus­tria­li­sa­tion à l’ex­té­rieur du site en aidant des PME à créer des emplois et en aidant de nou­velles entre­prises à s’ins­tal­ler sur le bas­sin d’emplois.

In fine, la recon­ver­sion d’un site indus­triel aura uti­li­sé les trois « R » : Recon­ver­sion-ces­sion d’ac­ti­vi­tés-métiers, Réin­dus­tria­li­sa­tion du bas­sin d’emplois et Reclas­se­ments indi­vi­duels. Ce sont les trois outils de tout pro­jet de recon­ver­sion. Est-il besoin de pré­ci­ser que plus tôt inter­vient la recon­ver­sion-ces­sion d’un site indus­triel, moins les reclas­se­ments et la réin­dus­tria­li­sa­tion sont néces­saires, et infi­ni­ment moins coû­teuse est sa reconversion ?

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