Quelles réponses à la délinquance des jeunes ?
« Mon père est au chômage, mon frère est en prison, alors moi, je brûle des voitures », ce fut, un jour, la réponse d’un enfant à qui Jean-Marie Petitclerc demandait pourquoi il avait fait cela.
En dix ans, la délinquance des jeunes a doublé. On dénombre aujourd’hui plus de cent quatre-vingt mille actes de délinquance par an. La réalité est probablement au-delà : la police n’était pas là au moment des faits ou les victimes n’ont pas porté plainte. Les mineurs sont très largement les premières victimes des violences des autres mineurs.
Deux caractéristiques nouvelles de ces violences :
- deux bandes d’adolescents qui se disputent un territoire, ce n’est pas nouveau ; on se souvient de La guerre des boutons. Mais quand le conflit conduit à des incendies ou des assassinats (Argenteuil, 1999), c’est l’inconscience des limites qui se révèle.
- autrefois principalement utilitaire – vols ou racket entre autres formes -, la violence devient en quelque sorte gratuite ; elle ne rapporte rien : agresser un conducteur de bus, vandaliser un abribus…, quel profit ?
La violence des jeunes exprime souvent leur mal-être dans leur relation avec les adultes et avec le monde. La violence peut aussi être reconnue comme une provocation et même un appel. Enfin, elle peut être une façon de revendiquer un pouvoir.
Dans chacun de ces trois cas, la violence (qui est la manière la plus naturelle de régler un conflit, comme le note le philosophe Comte-Sponville) témoigne de la très grande difficulté des jeunes à accéder à des formes d’expression et à des modes de relations pacifiques, qui ne sont pas évidemment naturels et qui sont le résultat de l’éducation et plus généralement d’un apprentissage social.
Or, le jeune, où vit-il ? que voit-il ? et que font ceux qui pourraient lui donner un autre regard sur sa propre violence, et mieux encore des clés pour changer de comportement ?
Les adolescents évoluent dans trois milieux : la famille, l’école et la rue, plus généralement la cité. Chacun de ces lieux est imprégné par une culture : culture familiale très marquée par le pays d’origine, culture républicaine à l’école, et enfin culture de la rue, espace de circulation pour le jeune bien inséré, espace de stagnation pour le jeune en voie de marginalisation. Or les adultes, porteurs de sens présumés de chacun de ces trois lieux, parents à la maison, éducateurs en classe et aînés dans la rue et la cité, ne sont plus reconnus par les jeunes, qui vivent une crise de l’autorité et une crise de socialisation, toutes deux étroitement liées.
Disputes, divorces, chômage, obsolescence des savoir-faire technologiques des pères, autant de raisons, pour les jeunes, de « licencier de leur mission parentale ces adultes non crédibles ». La famille n’est plus un lieu pour l’apprentissage du « vivre ensemble ». Le système scolaire avec l’hypocrisie du collège unique et les enseignants eux-mêmes, mal formés à une mission de socialisation, sont aussi disqualifiés. Et pourtant l’école reste probablement, pour ces jeunes sans famille, le seul lieu où le « vivre ensemble » pourrait trouver place. La cité enfin est-elle crédible quand ceux qui font les lois et sont censés les appliquer les transgressent, et quand des « salariés en colère » détruisent des voies ferrées et que cela passe sans émotion ni sanctions ? Est-elle crédible quand elle se complaît dans l’urgence, le virtuel et le « pseudo », quand elle incite plus au rêve qu’à une lucidité partagée et plus au « tout, tout de suite » qu’à la constance et à l’effort.
Autorités qui faillissent et socialisation en panne, comment avoir envie de l’avenir ? Devant l’incohérence du monde des adultes, sans réalité reconnue acceptable, de nombreux jeunes répondent par une violence qui n’a que faire de ses conséquences. Jean-Marie Petitclerc ajoute : « Devenir violent me paraît de leur part un signe de bonne santé ! Mais c’est aussi et surtout un angoissant appel à la cohérence des adultes. »
Comprendre les raisons de la délinquance des jeunes ne saurait aboutir à les exonérer de toute responsabilité. Ce que l’on nomme « les causes de la violence » ne serait peut-être que des prétextes, selon le philosophe Guy Coq.
« Quand tu brûles une voiture, c’est bien toi qui grattes l’allumette ! » répondit Jean-Marie Petitclerc au jeune qui invoquait son frère en prison et son père au chômage et qui n’avait aucune conscience, apparemment, du préjudice qu’il était en train d’infliger au propriétaire du véhicule.
Les réponses possibles aux trois types de violence des jeunes évoqués – expression d’un mal-être, appel, prise de pouvoir – ne doivent pas gommer leur responsabilité.
Répondre à la violence expression du mal-être exige, non pas une écoute de 15 heures 45 à 17 heures dans une permanence tous les lundis, fût-ce par un professionnel, mais un véritable climat d’écoute entre adultes et jeunes. Il cite aussi l’usage par ces derniers de moyens d’expression alternatifs mis à leur disposition. S’ils mettent des sons, des gestes, des couleurs sur leur mal-être, la violence recule.
Face à la violence de provocation, la pratique de l’évitement de la relation duelle par la médiation, et du déplacement – changer de registre – prévient l’escalade, désamorce la tension, et permet de revenir à l’objet du conflit. Mais la violence qui cherche le pouvoir ne peut avoir d’autre réponse que la sanction dès la première fois, à condition que la sanction soit proportionnée, dans une position d’intolérance vis-à-vis du comportement, ce qui n’exclut pas la tolérance à l’égard de la personne.
Jean-Marie Petitclerc cite à ce propos les pratiques de l’association qu’il a créée, Valdocco, autour du maître mot de médiation : création de liens entre les différents adultes qui cheminent auprès des jeunes dans leur itinéraire de croissance, travail de rue auprès des bandes d’adolescents, service d’accompagnement scolaire et médiation famille-école, écoute des parents et médiation familiale, et enfin formations initiales et continues à la médiation.
Il cite enfin René Girard qui parle du lien entre la capacité d’une société à réguler la violence interne de ses membres et le rapport qu’elle noue avec le sacré au sens le plus large de ce terme, c’est-à-dire du rapport qu’elle établit avec « ce à quoi l’homme n’a pas le droit de toucher ».
« La seule chose, finalement, qui puisse faire barrage à ma violence quand je suis en conflit avec l’autre, note-t-il, c’est l’intime conviction que je n’ai pas, quoi qu’il arrive, à attenter à sa vie parce que celle-ci est sacrée. Il y a donc une dimension spirituelle à la lutte contre la violence et la délinquance des jeunes. »