Quelques réflexions sur l’évolution de l’École polytechnique
J’ai récemment été invité sur le platâl à l’occasion de l’intégration de la promo 2021. Quand je dis invité, j’étais en fait, ma fierté dût-elle en souffrir, le trophée d’une chasse aux trésors. Tout flatteur vivant aux dépens de celui qui l’écoute, j’ai bien évidemment accepté d’être ledit trophée – en fait un parmi beaucoup. Je souhaite ici partager quelques réflexions qui me sont apparues à cette occasion. En particulier, je tâcherai de mettre cette expérience en regard de celle qui fut la mienne il y a juste trente-cinq ans, lorsque, à la fin du mois d’août 1986, je me présentais au P5 pour entrer à la « Grande École ».
L’Institut Polytechnique de Paris est une chance pour l’X
Le platâl a été profondément transformé. Je ne m’étendrai pas ici sur la construction de la gare RER (ou la gare de la ligne 18 ?) juste avant le P5, ni sur l’élargissement des routes qui mènent audit P5. Je suis tout de même un peu malheureux de la suppression du virage de la mort – le petit virage limité à 50 km/h que je m’efforçais de prendre à 90 et qui a vu tellement de voitures de polytechniciens fréquenter son fossé. Je me concentrerai sur les symboles, ici tout est symbole : la grande enseigne École polytechnique, avec ses lettres en laiton, sur laquelle des générations d’X depuis quarante-cinq ans prenaient des photos, a disparu. Le P5 lui-même est désarmé et sera probablement bientôt détruit. Après avoir passé l’aubette désertée, vous arrivez au « quartier de l’École polytechnique ». Au lieu de ce grand espace quasi désert que nous avons connu, vous constatez que vous avez rejoint un véritable campus universitaire ; celui dont rêvaient probablement les promoteurs du projet de déménagement à Palaiseau et qu’il aura fallu cinquante ans à construire !
Et l’IPP dans tout cela ?
On l’appelle l’IPP. C’était Paris-Saclay précédemment. Ça a été ParisTech. C’était, ai-je presque envie de dire, le Quartier latin d’avant la réforme Edgar Faure de 69. Pour faire simple : les organisations respirent. On centralise, on décentralise ; on sépare, on regroupe. Les molécules – pardon les atomes – se comportent comme nous l’a enseigné Lavoisier en s’associant et se désassociant avec un motto « rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme ». Je voudrais ici apporter une réflexion qui consiste à mettre en regard la transformation profonde qu’a connue l’École polytechnique par la réforme dite Gerondeau, réforme ô combien astucieuse ! Je vais m’étendre un peu sur le sujet. Il s’agissait tout simplement de payer le président du CA. Ce dernier, payé, devenait exécutif et à plein temps. Il ne pouvait décemment être payé à ne rien faire… transformation disais-je – comme le dit Christian « un général n’est absolument pas formé pour diriger une entité universitaire » –, transformation donc qui, de facto, civilisait – je n’aime pas le terme civilianiser – l’École. À tel point que Jacques Biot, aussitôt nommé, a eu pour première action forte de transformer le poste de « président du conseil d’administration » en « président de l’École » : l’École n’était plus dirigée par un général.
Et puis est arrivé l’IPP
Je m’étais fortement opposé – on et off – à la création de l’IPP. Je m’étais d’ailleurs concentré sur le nom : le rapport Attali prévoyait la création d’une École polytechnique de Paris. J’avais eu l’honneur, en assemblée générale de l’AX, de lui apporter la contradiction en lui demandant de ne pas dévoyer la marque. Ils ont créé l’Institut Polytechnique de Paris qui, pour tout le monde, fait IPP. Le « polytechnique » disparaît donc, le logo est différent. L’X est sauvée. L’IPP est là. Le combattre serait un combat d’arrière-garde – d’ailleurs, seuls les imbéciles ne reconnaissant pas qu’ils ont eu tort, je reconnais que la création de l’IPP est une bonne chose. Mais ce qui est très intéressant c’est le rôle du président du conseil d’administration de l’École, le « président de l’X », également président de l’IPP, dont on peut se demander s’il aura les moyens humains de diriger à la fois l’IPP et l’École. Mon pari c’est que non, bien sûr. Éric Labaye continuera sur sa lancée. Mais son successeur n’aura d’autre choix que de se concentrer sur l’IPP. C’est là que sont les euros, le personnel, donc les ennuis. Il laissera donc le DG faire son boulot de DG. Les organisations respirant, le DG de l’École reprenant la main sur l’École en elle-même, cette dernière redeviendra militaire. CQFD !
Remilitariser l’X
Et c’est là que se pose la question : comment ne pas se faire diluer à 1 000 ou 1 500 élèves dans un campus de 40 000 élèves, chercheurs, professeurs, employés, etc. ? Ma proposition est la suivante : poursuivre la remilitarisation de l’École. Ce pour deux raisons. La première c’est que, quoi qu’on en dise, l’École apporte beaucoup à la défense de la France prise au sens large, et la seconde c’est que la spécificité militaire du parcours du polytechnicien fait son ADN. Je suis convaincu que le ministère des Armées serait très heureux d’une remilitarisation de l’École justifiant ainsi les 60 et quelques millions qu’il lui donne chaque année.
Pour ce faire, je propose deux mesures. Une facile, une très facile. Commençons par la très facile : remettre les élèves en uniforme. Comment ça, les promos 80, 81, 82, 83, 84, 85 se sont tellement battues pour faire la BD (battle-dress) et toi, Delwasse, tu veux la réintroduire ? Objection, il ne s’agit pas cette fois de remettre un uniforme subi, mais un uniforme accepté, et même désiré, qui permette aux X d’éviter de se faire diluer visuellement sur le campus – qui n’est donc plus un platâl – de Palaiseau.
“Il faut remilitariser l’École !”
La seconde mesure est un peu plus compliquée à organiser, mais au fond ça ne doit pas être très difficile : s’assurer que tous les X font un stage militaire. Exeunt les cours en prépa. Exit le travail pour une association, tous ces stages dont il ne s’agit pas de nier l’éventuel intérêt. La question n’est pas là. Simplement, l’aspect militaire de la formation doit être considéré comme un élément fondamental de celle-ci.
De mon temps, comme disait mon grand-père, le cursus c’était assez simple : la prépa apprenait à travailler, enseignait les maths calculatoires et donnait les méthodes de travail ; le concours sélectionnait ; l’armée faisait des hommes ; l’École donnait une culture générale scientifique, faisait mûrir et forgeait la camaraderie ; enfin, l’école d’appli donnait un métier. Cet équilibre a été rompu par les diverses transformations du cursus de l’École, en particulier la transformation de l’année de service national en stage dans les armées dit « stage de formation humaine ». Bien évidemment il ne s’agit pas, au nom du « c’était mieux avant », de tenter, bien vainement d’ailleurs, de convaincre qu’il faut revenir quarante ans en arrière. Il s’agit de rappeler que l’ADN de l’X c’est du travail, des méthodes (le fameux polytechnicien qui prépare son petit-déjeuner et qui se ramène à la solution du problème précédent, une sélection, le sens de l’État, le goût de l’effort, le sens de l’homme et après sky is the limit).
L’apport des tradis
Pour terminer, je reviendrai sur l’intégration proprement dite. J’ai vu des jeunes – je reconnais que lorsque l’on commence à dire des jeunes c’est qu’on ne fait plus partie de ce monde-là – je disais donc j’ai vu des jeunes épuisés : ils avaient passé la journée à crapahuter dans Paris, excités comme des puces, heureux et surtout encadrés ! Encadrés avec comme chefs de section des camarades de la promotion d’avant qui s’occupaient d’eux avec amour et bienveillance – ceux de ma génération se souviennent des premiers jours glauques à Palaiseau où nous étions seuls, encadrés par des bazoffs qui prenaient ce stage à La Courtine comme une corvée, des officiers qui n’en avaient pas grand-chose à faire, et une vie qui s’arrêtait à 18 heures, le bar étant fermé. De nos jours, la semaine d’intégration est devenue une véritable organisation, avec la chasse aux trésors, la nuit des souts (eg souterrains), un gag… Tout cela organisé, visiblement de manière coordonnée, entre la mili, la kès, la khômiss, le bôbar… Ces tradis – car ce sont des tradis qui se recréent de manière continue depuis quarante-cinq ans et qui participent, n’en doutons pas, de la formation du polytechnicien – me paraissent indissociables de l’état militaire. Alors oui ! Des choses gênent les militaires qui n’aiment pas le désordre, dérangent les enseignants qui n’aiment pas plus le désordre. Et les contre-pouvoirs dérangent les pouvoirs… Toutefois, force est de constater que cet équilibre qui s’est recréé paraît à la fois simple et vertueux.
Place à la GénéK
Dernier point, qui pourrait paraître anecdotique, mais qui me semble fondamental par le message qu’il véhicule : la GénéK de la promo 2019 est une Xe. Permettez-moi ici une précision de vocabulaire. Bien sûr, je dis Xette. Comme tout le monde. Xe est de toute façon imprononçable. Mais j’ai décidé d’écrire Xe. D’abord parce que c’est La Jône et la Rouje, et qu’il faut être un peu politiquement correct, et puis surtout parce que, écrit, Xe, c’est plus respectueux. Voilà ! Je reviens donc à la GénéK. Je vous épargnerai le discours convenu : « Après avoir gagné le droit de porter le bicorne, celui de porter le pantalon en GU, les Xe (second point de vocabulaire, au pluriel, Xe ça fait Xe. Vous n’écrivez pas “les Xs” ? Je n’écris donc pas “les Xes”) ont gagné le droit d’être GénéK. » Ce n’est pas mon propos. Mon propos est beaucoup plus fort : le fait que le GénéK soit une Xe montre bien que, contrairement au syllogisme tradis -> réacs -> sexistes, les tradis à l’X sont résolument modernes et modernistes. Dans le même ordre d’idées, ceux qui sont allés au Bal de l’X cette année ont eu l’agréable surprise de voir pas mal d’Xe en GU, et non en robe longue. Est-ce l’effet « pantalon » ? possible. Probable même. Cette image que j’appelais de mes vœux de l’Xe en GU dansant au bras de son cavalier, en civil lui-même, est devenue réalité ! Ce ne sont que des symptômes, des symboles – ici tout est symbole – certes. Toutefois, ils sont, me semble-il, la marque d’une certitude : cinquante ans après les premières Xe, l’égalité entre les hommes et les femmes, à l’X, est devenue une réalité.
Commentaire
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lecture stimulante – merci Serge Delwasse