Quels scénarios pour la consommation électrique des TIC ?

Dossier : Numérique et environnementMagazine N°754 Avril 2020
Par Anders ANDRAE
Par Francis CHARPENTIER (75)

Les TIC (Tech­no­lo­gies de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion) consomment depuis leur émer­gence une puis­sance élec­trique de plus en plus grande. Cela est sus­cep­tible de pro­vo­quer des conflits d’usage et cela a en tout état de cause un effet envi­ron­ne­men­tal nocif, plus ou moins impor­tant selon le mode de pro­duc­tion de l’électricité. D’où l’importance d’évaluer la ten­dance de l’évolution de cette consom­ma­tion pour l’avenir.

Notre entre­prise, comme d’autres construc­teurs et opé­ra­teurs, mène des études sur l’empreinte envi­ron­ne­men­tale des TIC parce qu’elle a besoin d’anticiper tout chan­ge­ment impor­tant qui impac­te­rait ses acti­vi­tés. Et, si la consom­ma­tion élec­trique des data­cen­ters n’est pas contrô­lée, elle pour­rait acca­pa­rer une part énorme de la pro­duc­tion d’électricité mondiale.


REPÈRES

Dans le sec­teur des TIC, on observe une explo­sion de l’activité des data­cen­ters. Cela appa­raît clai­re­ment à tra­vers la mesure de simples indi­ca­teurs : le tra­fic mon­dial de don­nées (envi­ron 5,4 zet­ta­bytes en 2015), le sto­ckage mon­dial de don­nées (envi­ron 0,6 zet­ta­byte en 2015) et la quan­ti­té de cal­culs effec­tués par les ser­veurs infor­ma­tiques. Pour rap­pel, le zet­ta­byte est un angli­cisme infor­ma­tique pour zet­ta­oc­tet, soit 1021 bytes. 


Quelle est votre approche pour prédire l’empreinte énergétique des datacenters ? 

Pour sim­pli­fier, on peut prendre comme indi­ca­teur prin­ci­pal le tra­fic mon­dial IP des data­cen­ters, qui est mesu­ré pré­ci­sé­ment chaque année, entre autres par Cis­co, avec un taux de crois­sance annuel moyen (CAGR) de + 25 % entre 2010 et 2019. D’autres études sur l’évolution mon­diale de la consom­ma­tion élec­trique du sec­teur des TIC entre 2010 et 2015, exploi­tant les chiffres des rap­ports RSE de 100 entre­prises, montrent une légère dimi­nu­tion au lieu des aug­men­ta­tions pré­dites par cer­tains de nos scé­na­rios. Cela s’explique par la pour­suite des pro­grès remar­quables de l’industrie infor­ma­tique en matière de consom­ma­tion élec­trique des ser­veurs, à un taux simi­laire à celui de la crois­sance du tra­fic de don­nées. Cer­tains de nos pre­miers scé­na­rios n’avaient en effet pas anti­ci­pé ce pla­teau en 2015, parce que nous fai­sions des hypo­thèses moins opti­mistes sur la réduc­tion de l’intensité élec­trique des data­cen­ters. Dans l’un de mes scé­na­rios les plus récents pour la période 2010–2022, pour tenir compte de ces consta­ta­tions, j’ai rééva­lué la dimi­nu­tion annuelle de l’intensité élec­trique à 20 %, au lieu de mon hypo­thèse ini­tiale de 10 %.

Certes, l’empreinte élec­trique mon­diale des TIC semble s’être sta­bi­li­sée d’après ces der­nières obser­va­tions, mais nous devons gar­der à l’esprit que le sec­teur est très dyna­mique, avec une crois­sance de la demande de tra­fic qua­si expo­nen­tielle. Or l’intensité élec­trique pour le sto­ckage de don­nées et la puis­sance de cal­cul des machines aug­mentent à des rythmes très sou­te­nus, en rai­son de l’augmentation des flux ther­miques (W/cm2), tan­dis que les fré­quences d’horloge se sta­bi­lisent et que les ten­sions élec­triques de fonc­tion­ne­ment baissent de moins en moins vite. Mais, pour com­pen­ser et sta­bi­li­ser la consom­ma­tion élec­trique et les émis­sions asso­ciées de CO2, dans un envi­ron­ne­ment aus­si dyna­mique, nous avons besoin que l’intensité élec­trique conti­nue de bais­ser à un rythme qua­si expo­nen­tiel comme pen­dant la décen­nie 2010–2019. En pré­sence des deux ten­dances qua­si expo­nen­tielles du tra­fic de don­nées et de l’intensité élec­trique, en sens inverses l’une de l’autre, dont la résul­tante est actuel­le­ment un pla­teau tem­po­rai­re­ment stable, nous avons besoin d’une bonne com­pré­hen­sion de l’évolution future des fac­teurs sous-jacents.

“Le mauvais scénario
a plus de probabilité d’émerger. ”

Quelle précision peut-on atteindre pour ces scénarios ? 

De fait, dans un contexte aus­si dyna­mique, on ne peut pas être pré­cis. Nous devons anti­ci­per des mau­vais scé­na­rios, alors que de bons scé­na­rios sont aus­si pos­sibles. Dans le mau­vais scé­na­rio, les pro­grès de l’intensité élec­trique ralen­tissent signi­fi­ca­ti­ve­ment avant que la demande de débit ne ralen­tisse. Dans ce cas, la consom­ma­tion élec­trique du sec­teur des TIC com­men­ce­ra à croître à un rythme qua­si expo­nen­tiel et entre­ra en com­pé­ti­tion avec les autres usages de l’électricité. Cela peut abou­tir à des hausses des émis­sions de GES ou du prix de l’électricité. À l’opposé, dans le bon scé­na­rio, on obser­ve­rait un ralen­tis­se­ment pré­coce de la demande de débit, qui pour­rait être dû au fait que les consom­ma­teurs seraient satu­rés par toute la bande pas­sante offerte et n’augmenteraient plus leur consom­ma­tion de vidéo ni d’autres ser­vices intenses en tra­fic de don­nées. Dans ce cas, l’empreinte élec­trique des data­cen­ters baisserait.

Cepen­dant, de nou­velles tech­no­lo­gies poten­tiel­le­ment « per­va­sives » (c’est-à-dire qui se dif­fuse à tra­vers toutes les par­ties du sys­tème d’information) intro­duisent une incer­ti­tude sup­plé­men­taire. Des chan­ge­ments indus­triels tels que les voi­tures auto­nomes pour­raient mettre en dan­ger le bon scé­na­rio en rai­son de leur demande poten­tiel­le­ment très impor­tante de débit de don­nées. Une autre source d’incertitude vient de l’intelligence arti­fi­cielle (IA). Sera-t-elle déployée pour des appli­ca­tions mon­diales, comme l’apprentissage per­ma­nent des visages et des carac­té­ris­tiques phy­siques des indi­vi­dus ? Nous avons besoin d’étudier l’impact de l’IA sur l’augmentation du tra­fic de don­nées, du sto­ckage de don­nées et des charges de cal­cul. Il est inté­res­sant de noter que les experts ne s’accordent pas sur la réduc­tion de l’intensité élec­trique des cal­culs pro­pre­ment dits, cer­tains l’estimant à 25 %, d’autres au double. Aujourd’hui, on ne peut exclure ni le bon ni le mau­vais scé­na­rio. Mais je pense que le mau­vais scé­na­rio a plus de pro­ba­bi­li­té d’émerger au milieu de la pro­chaine décennie.


RÉFÉRENCES

Andrae (A.S.G.), Edler (T). « On Glo­bal Elec­tri­ci­ty Usage of Com­mu­ni­ca­tion Tech­no­lo­gy : Trends to 2030 », Chal­lenges, 2015.

Andrae (A.S.G.). « Pro­jec­ting the chia­ros­cu­ro of the elec­tri­ci­ty use of com­mu­ni­ca­tion and com­pu­ting from 2018 to 2030 », 2019.

Andrae (A.S.G.). « Pre­dic­tion stu­dies of the elec­tri­ci­ty use of glo­bal com­pu­ting in 2030 », Int J Sci Eng Inves­ti­ga­tions, 8 (86), 2019.

Andrae (A.S.G.). « Com­pa­ri­son of Seve­ral Sim­plis­tic High-Level Approaches for Esti­ma­ting the Glo­bal Ener­gy and Elec­tri­ci­ty Use of ICT Net­works and Data Cen­ters », Int J Green Tech­nol, 5 (1), 2019.


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