Qu’est-ce que l’obligation de conseil ?
Une gradation dans le devoir d’information imposé à l’une des parties
La lecture de la jurisprudence – abondante dans le domaine du contrat de vente – laisserait penser que l’obligation de conseil s’ajoute à l’obligation plus générale d’information ou la prolonge, voire que ces obligations se confondent.
Il ne faut pas y voir le signe d’une confusion, mais plutôt celui d’une gradation dans le devoir d’information imposé à l’une des parties, et une unité conceptuelle.
REPÈRES
Un arrêt de la cour d’appel de Paris, régulièrement cité par la doctrine, donne une définition de l’obligation d’information et de celle de conseil : « Les deux notions se distinguent en ce que l’obligation d’information porte sur les conditions du service sollicité alors que le conseil concerne l’opportunité de celui-ci » (CA Paris, 8e section, 12 octobre 2006, 05⁄11 571).
Obligation d’information et obligation de conseil
La Cour de cassation peut ainsi viser indifféremment l’obligation d’information et de conseil lorsque la distinction n’est pas déterminante : « La cour d’appel […] a retenu exactement que [le fournisseur] aurait dû conseiller à son cocontractant un autre matériel et qu’en ne le faisant pas, il avait manqué à son devoir de conseil et d’information » (chambre commerciale, 21 novembre 2006, non publié, 05–11002).
Pertinence d’une distinction
Communication et analyse de données
Un récent arrêt de la chambre commerciale (28 juin 2011, non publié, n° 10–18626) nous aide à distinguer l’obligation d’information de celle de conseil : « Appréciant souverainement les éléments de preuve versés aux débats, l’arrêt retient que la société D&B était contractuellement tenue à une obligation de renseignement, soit la communication de données économiques et financi»res, et à un devoir de conseil, soit l’analyse de ces données et l’appréciation du risque encouru dans le cadre de relations commerciales. »
En revanche, la Cour distingue l’obligation de conseil de l’obligation d’information lorsque la distinction est pertinente à la résolution du litige : « L’arrêt retient les éléments de la cause que la Société Ziegler n’a pas communiqué à la SNMC les informations nécessaires à la bonne exécution du transport […] et que son substitué n’a donc pu transmettre aux transporteurs les informations qui ne lui avaient pas été données ; qu’en établissant ainsi le manquement personnel de la Société Ziegler, non pas au regard de son obligation de conseil, mais d’information, la cour d’appel […] a légalement justifié sa décision » (chambre commerciale, 22 février 1994, publié au Bulletin 92–13 138).
L’information précède le conseil
Il ressort de l’analyse de la jurisprudence que l’obligation de conseil est accessoire à une obligation contractuelle principale, prolongeant l’obligation précontractuelle de renseignement, en sorte que sa violation entraîne la mise en jeu de la responsabilité contractuelle du débiteur de l’obligation de conseil.
À ce titre, les décisions sont généralement rendues au visa des articles 1135, 1147 et 1615 pour ce qui concerne le contrat de vente.
L’obligation de conseil ne saurait transformer l’entrepreneur en voyant extralucide
Article 1135 : « Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’apr»s sa nature. »
Article 1615 : « L’obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel. »
Article 1147 : « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
S’agissant du contrat de vente, la Cour de cassation considère « que l’obligation de délivrance du vendeur d’un matériel s’étend à sa mise au point, et comporte une obligation accessoire d’information et de conseil du client » (1re ch. civ., 25 juin 1996, publié au Bulletin 94–16702).
Une obligation de l’entrepreneur
La conjonction « et » montre à nouveau que l’obligation d’information ne se confond pas avec celle de conseil, mais qu’elle s’en distingue et, en l’occurrence, qu’elle la précède. S’agissant du contrat d’entreprise, la 3e chambre civile de la Cour de cassation retient : « Tout entrepreneur est tenu d’un devoir de conseil qui s’étend, notamment, aux risques présentés par la réalisation de l’ouvrage envisagé, eu égard, en particulier à la qualité des existants sur lesquels il intervient et qui doit éventuellement l’amener à refuser l’exécution de travaux dépassant ses capacités » (15 décembre 1993, n° 92–14 001). La formule a été reprise depuis par les juges du fond.
Information, conseil et résultat
Le domaine de la construction connaît de nombreuses illustrations de l’obligation de conseil que l’architecte, les maîtres d’œuvre et les entrepreneurs doivent, avant tout, au maître de l’ouvrage. L’obligation de conseil porte sur tous les aspects de la construction, qu’il s’agisse des risques du sol, de la réglementation applicable, de la conception de l’ouvrage, de son implantation, du choix des matériaux, des troubles du voisinage consécutif à la construction d’un ouvrage.
La 3e chambre civile associe l’obligation de conseil et de résultat des constructeurs envers le maître de l’ouvrage. Ainsi, il a été jugé : « Tout professionnel de la construction étant tenu, avant réception, d’une obligation de conseil et de résultat envers le maître de l’ouvrage, la cour d’appel, qui a retenu que la société Jolivet avait procédé à une mauvaise implantation de la maison des époux X […] en s’abstenant de procéder à toute vérification au regard des règles du POS contrairement à ses obligations, et qu’il n’était pas tenu de procéder à d’autres recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision » (27 janvier 2012, n° 08–18026). Si l’obligation d’information ne se confond pas avec celle de résultat, et si elle la précède, elle y participe.
Obligation de moyen ou de résultat ?
L’obligation de délivrance du conseil est une obligation de résultat, au même titre que l’obligation d’information. À titre d’exemple, nous pouvons citer l’arrêt de la 1re chambre civile de la Cour de cassation publié au Bulletin (28 octobre 2010, n° 09–16 913) : « Il incombe au vendeur professionnel de prouver qu’il s’est acquitté de l’obligation de conseil lui imposant de se renseigner sur les besoins de l’acheteur afin d’être en mesure de l’informer quant à l’adéquation de la chose proposée à l’utilisation qui en est prévue. » Et la Cour de cassation de casser l’arrêt de la cour d’appel qui n’avait pas procédé à cette recherche.
Il ne peut en être de même de la pertinence du conseil qui ne peut relever que d’une obligation de moyen.
Deux raisons
Construction : le domaine du maître d’ouvrage
« En statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé que le maître d’ouvrage avait, par un choix délibéré, après avoir été mis en garde par le bureau d’études en des termes particulièrement précis, décidé, en toute connaissance de cause, de limiter la mise hors d’eau du deuxième sous-sol […] en prenant ainsi le risque d’inondation à ce niveau, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé » (Civ. 3, 25 janvier 1995, publié au Bulletin 93–15413). Ce sont les domaines de l’immixtion du maître d’ouvrage ou de la prise de risques par le maître d’ouvrage.
Il en va ainsi, principalement, à raison de l’aléa inhérent à tout conseil. Malgré toute la diligence et la pertinence des conseils fournis, le créancier de l’obligation n’est pas tenu de suivre les indications et reste responsable de ses choix.
De plus, il existe un autre aléa lié aux données qui n’appartiennent pas au débiteur de l’obligation de conseil et qu’il peut se procurer dans le cadre et les limites de son obligation de renseignement.
Comme le disait le professeur Perinet-Marquet, « l’obligation de conseil ne saurait transformer l’entrepreneur en voyant extralucide ».
Trois évolutions
Il faut noter une plus grande sévérité de la part des juridictions à l’égard du débiteur de l’obligation de conseil dans la recherche d’informations. Il lui revient d’avoir une démarche active pour rechercher l’ensemble des éléments nécessaires à la délivrance d’un conseil efficace et pertinent.
Ainsi, l’entrepreneur doit se renseigner sur la finalité des travaux qui lui sont confiés afin de vérifier leur adéquation aux objectifs poursuivis et être en capacité de conseiller utilement le maître d’ouvrage.
L’architecte doit s’informer des capacités financières de son client au regard de l’estimation du coût du projet immobilier.
Qualité du créancier de l’obligation
L’obligation de conseil a également connu une évolution quant à la qualité du créancier de l’obligation. Initialement destinées à protéger des personnes profanes, les juridictions ont étendu l’obligation de conseil à l’égard des professionnels de la même branche.
L’obligation de conseil pèse sur le spécialiste par rapport au généraliste
Dans le domaine de la construction, le devoir de conseil s’étend aussi aux entrepreneurs entre eux dès lors que le travail de l’un dépend de l’autre : l’entrepreneur a ainsi un devoir de vérification des plans établis par l’architecte ou le maître d’œuvre ; le sous-traitant doit également vérifier les informations qui lui sont communiquées par l’entrepreneur principal.
L’obligation de conseil pèse ainsi, entre des professionnels de la même branche d’activité, sur le spécialiste par rapport au généraliste.
Il faut néanmoins relever que cette obligation de conseil est limitée par l’objet de la mission confiée au constructeur.
Ainsi, la 3e chambre civile de la Cour de cassation a jugé : « Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté qu’en vertu des stipulations que le client avait approuvées, la société, qui était exclusivement chargée des travaux de forage, ne garantissait pas la présence d’eau dans le sous-sol du terrain de sorte qu’il ne pouvait lui être fait reproche d’avoir manqué à une obligation qui ne lui incombait pas, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (3 mars 2011, n° 09–70 754).
Attirer l’attention sur les risques
La chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 7 septembre 2010, a considéré : « L’arrêt relève que la société Ascom, spécialiste des plates-formes de communication sur site, savait que l’installation projetée était partielle, que l’unité centrale […] n’était plus disponible sur le marché et sans prestataire capable d’effectuer des réparations, et s’était contentée de s’assurer de l’apparente compatibilité du matériel vendu avec l’installation préexistante ; que de ces constatations et appréciations établissant que le vendeur n’avait pas informé l’acheteur de l’aptitude de la chose vendue à atteindre le but recherché, la cour d’appel a pu déduire qu’il appartenait à la société Ascom d’attirer l’attention de la société Ms’Com sur les risques d’une défaillance de l’unité centrale et de la nécessité de faire une installation complète […]. La société Ms’Com étant l’installateur du matériel acheté à la société Ascom. »
Vers une obligation de résultat de la pertinence du conseil
Certaines catégories restent néanmoins plus particulièrement protégées, si bien qu’une véritable présomption de mauvais conseil est posée en leur faveur. Il en est ainsi tout particulièrement lorsque la sécurité des personnes est en cause.
L’évolution de la jurisprudence est donc aujourd’hui d’aller vers l’acceptation d’une obligation de résultat de la pertinence du conseil.
La preuve de l’obligation de conseil
Le juge considérait dans un premier temps qu’il appartenait au créancier de l’obligation de conseil de faire la preuve que le professionnel n’avait pas exécuté son obligation.
Dans le domaine de la construction, la 3e chambre civile a jugé : « Alors qu’il appartenait aux constructeurs de justifier de l’exécution de leur obligation d’information au regard de la technique d’exécution des fondations et excavations employée, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve et violé le texte susvisé » (28 avril 2011, n° 10–14516 10–14517).
La Cour de cassation, par un revirement de jurisprudence en 1997 (chambre commerciale, 22 mars 1997, n° 10–13 727), a décidé que la preuve incombait désormais au débiteur.
C’est au visa de l’article 1315 que la Cour de cassation s’est fondée : « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. »
Cette solution est également retenue lorsque l’obligation de conseil est une obligation principale du contrat ainsi que l’a jugé la Cour de cassation (chambre commerciale, 22 mars 2011, publié au Bulletin n° 10–13627) : « C’est à celui qui est contractuellement tenu d’une obligation particulière de conseil de rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation. »
Une obligation impérieuse
La cour d’appel de Paris a jugé (17e ch., le 14 mars 2005, n° 03⁄15894) : « Que la SNCF a manqué à son obligation contractuelle de conseil et de renseignement dès lors que ses agents, au lieu de livrer la réponse vague et lénifiante fournie à monsieur Slassi qui les interrogeait, auraient dû, ce qu’ils n’ont pas fait, lui indiquer de façon précise ceux des trains qui sur la ligne Paris-Reims étaient équipés de prise disposée près des sièges permettant le branchement d’appareils électriques […] ou appeler son attention sur ce point et inviter le malade, soit à se munir d’un appareil à batterie électrique portable, soit d’envisager un autre moyen de déplacement. Que cette obligation était en l’espèce d’autant plus impérieuse que les agents avaient été alertés sur le fait que le voyageur était une personne handicapée devant, de ce seul fait, être entouré d’une attention toute particulière. »
Mauvais conseil
La preuve du « mauvais conseil » incombe en revanche à celui qui se plaint de ce « mauvais conseil » par application du principe précédemment rappelé de l’article 1315 du Code civil. Toutefois, le sens de la jurisprudence, en faveur d’une obligation de moyen renforcée, conduit à un partage du fardeau de la preuve de la pertinence du conseil.
La preuve du mauvais conseil incombe à celui qui s’en plaint
L’analyse du comportement des parties, de leurs diligences dans la quête des informations nécessaires à la fourniture d’un conseil avisé et personnalisé et, réciproquement, dans l’acceptation de ce conseil ou, au contraire, sa réticence, doit désormais être prise en considération.
Lorsque la jurisprudence aura été au bout de son évolution et se prononcera en faveur d’une obligation de résultat, la charge de la preuve reviendra alors au débiteur de l’obligation de conseil.
L’expert aura alors à rechercher si d’éventuelles causes extérieures doivent être prises en considération dans l’appréciation de la responsabilité du débiteur de l’obligation de conseil.