Raoul Dautry, du rail à l’atome
Dans sa préface au livre d’Halpérin, J.-L. Crémieux-Brilhac note, non sans peut-être un brin de pessimisme, que “ Dautry a été englobé dans le semioubli dédaigneux où la mémoire collective refoule la IIIe République de l’entre-deux-guerres ” – sort immérité pour cet X de la promo 1900.
La carrière de Dautry aurait pu culminer avec les postes de direction qu’il assuma avec bonheur à la tête des chemins de fer de l’État ou, en 1931, au conseil de direction de l’Aéropostale (où il rencontre Guillaumet et Mermoz) et de la Compagnie Générale Transatlantique.
Mais son destin prend une dimension nationale à la déclaration de guerre où il est nommé ministre de l’Armement, un poste où l’armistice de 1940 l’empêcha de donner sa mesure.
Un de ses derniers actes, en juin 1940, est cependant d’organiser le sauvetage du stock d’eau lourde norvégienne qui, grâce à sa détermination, sera soustrait à la préparation menaçante d’armes atomiques projetée par l’ennemi.
À la Libération, de Gaulle l’appelle aux lourdes tâches de ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, qui, rappelons-le, commencent par un immense labeur de déblaiement et de déminage dans un pays où les destructions dépassent celles de 1919.
Puis, de 1946 à 1951, il joue avec Joliot-Curie un rôle-clé dans la création du CEA (Commissariat à l’énergie atomique), en tant qu’administrateur général, délégué du gouvernement.
Halpérin, juste parmi les justes, qui approcha Dautry aux heures sombres de l’occupation, à Lyon, est mieux placé que quiconque pour camper, preuves à l’appui, sa stature de patriote et d’homme d’État avant, pendant et après la tourmente de 1939–1945.
Ce témoignage est habité par le souffle qui ne cessa d’animer la personnalité de Dautry, de défi en défi, et souligne aussi sa modernité. Au fil de l’ouvrage, sont illustrés des traits de caractère comme sa légendaire capacité de travail, la faculté “d’apprendre à apprendre”, toutes qualités exercées sans doute dès son séjour rue Descartes, mais aussi son art de constituer et d’animer des équipes soudées et dévouées.
Avant la lettre, il pratique le “ penser à l’échelle globale, exécuter à l’échelle locale ” enseigné dans les écoles actuelles de management, et un grand art de la communication interne qui s’élargit en vision du social – bref un humanisme dont il articule les principes dans le livre auquel il donne le beau titre du Métier d’homme.
À lire, et à faire lire – non seulement pour faire connaître un personnage qui incarne si bien la première moitié du siècle, mais aussi pour le visionnaire qui milita pour les grands défis de la seconde moitié – du tunnel sous la Manche à un urbanisme soucieux des banlieues, de l’établissement du CERN (Centre européen de la recherche nucléaire) à la construction de l’Europe.