Raretés
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« L’art, c’est le rare. Or, si, à côté d’un éléphant magnifique, on m’en montre une douzaine presque aussi beaux, le premier ne m’étonne plus. »
Jules Renard, Journal (2 décembre 1901)
La paresse semble être une qualité – si l’on ose dire – dominante chez les organisateurs de concerts, de festivals : pourquoi présenter au public des œuvres peu – voire jamais – jouées qui risquent de l’effrayer, sans compter que les interprètes rechignent à inscrire à leur répertoire des pièces qui leur seront peu demandées ? Ainsi, on peut entendre chaque année, dans un festival célèbre de musique de piano, les mêmes Ballades de Chopin, Années de pèlerinage de Liszt, Concertos de Rachmaninov, etc. Le responsable d’un festival de quatuors qu’il comptait consacrer à la musique française et à qui nous suggérions de programmer les quatuors de Saint-Saëns, Vincent d’Indy, Reynaldo Hahn, Darius Milhaud, Germaine Tailleferre, plutôt que ceux de Debussy, Franck, Ravel, Fauré, nous répondit qu’il ne trouverait aucun ensemble pour les jouer !
Aussi faut-il saluer les éditeurs qui osent sortir des sentiers battus.
French fragrances
Sous ce titre, le hautboïste Philippe Tondre et la pianiste Danae Dörken ont enregistré des pièces de musique française pour hautbois écrites entre 1921 et 1974 : la Sonate de Saint-Saëns, la Sonatine de Pierre Sancan, la Sonate de Poulenc, la Sonate d’Henri Dutilleux et la Sérénade pour quintette à vent avec hautbois solo d’André Jolivet. Excepté la Sonate de Saint-Saëns, agréable pièce classique, il s’agit d’œuvres qui relèvent toutes de la même démarche : tout en restant résolument tonales, elles cherchent à innover en jouant en même temps sur les harmonies, les timbres et les rythmes.
Poulenc, dont la Sonate fut l’une des dernières œuvres, et Dutilleux sont encore joués ici et là. Mais Sancan et Jolivet – sur le nom de qui Boulez a fait un jeu de mots assez ignoble – sont tombés dans l’oubli avec bien d’autres (Delvincourt, Rivier, Françaix…), à la suite de la chape de plomb jetée par les ayatollahs des musiques atonale et sérielle sur tout ce qui n’était pas conforme à leur idéologie. Voilà une occasion de les redécouvrir.
1 CD KLARTHE
De Paris à Prague
Le clarinettiste Lilian Lefebvre et le pianiste Vincent Martinet ont associé des pièces qui ont en commun un principe simple et clair : hors de toute école, liberté totale en restant dans le cadre de la musique tonale. Ainsi, dans la première Rhapsodie pour clarinette et piano, Debussy jette les prémices d’une musique nouvelle qui influencera tout le XXe siècle. Leoš Janáček, dont le disque présente la version pour clarinette de la Sonate pour violon et piano, et Viktor Kalabis – Sonate pour clarinette et piano –, compositeur tchèque moins connu, sont deux personnalités fortes dont les musiques rugueuses et novatrices étonnent encore aujourd’hui.
« Dans la première Rhapsodie pour clarinette et piano, Debussy jette les prémices d’une musique nouvelle qui influencera tout le XXe siècle. »
La Sonate pour clarinette et piano de Poulenc, qui clôt le disque, est avec la Sonate pour hautbois (ci-dessus) une de ses toutes dernières œuvres ; on y trouve tout ce qui fait le charme de Poulenc : lignes mélodiques exquises, harmonies subtiles, un fond d’humour, qui permettent de l’identifier dès les premières mesures. Poulenc, c’est l’archétype de la musique française intelligente, séduisante, qui ne se prend pas au sérieux.
1 CD KLARTHE
Weinberg, Lutoslawski, une vie d’enfant
Que ce soit explicite ou caché, il y a, dans l’œuvre de tout compositeur et au fond de tout artiste, la marque de son enfance ; les Scènes d’enfants de Schumann sont l’exemple même de l’évocation d’une enfance heureuse dont on garde à jamais la nostalgie. Weinberg, dont on connaît la vie difficile, fuyant la Pologne envahie par les nazis pour les purges staliniennes et l’antisémitisme de l’Union soviétique, n’a dû sa survie qu’à la protection de son ami Chostakovitch. Il n’a jamais su ce qu’était devenue sa mère restée en Pologne.
On conçoit que ses Three Children’s Notebooks pour piano charrient à la fois la nostalgie de son enfance et le sens du tragique qui imprègne toute sa musique. Au fil de ces 23 petits flashs de mémoire, c’est toute une vie qui défile. La trop discrète pianiste japonaise Leika Matoba joue ces pièces avec ce mélange de légèreté et de gravité qui caractérise si bien l’enfance et qu’il est rare de trouver chez un interprète. Elle a choisi d’associer sur le même disque des pièces de Lutoslawski, lui aussi marqué par la Deuxième Guerre mondiale, pour la plupart inspirées par le folklore polonais. Écoutez ces pièces rares seul, assis dans un fauteuil profond, en buvant une tasse de thé blanc, et fermez les yeux : votre enfance est là.
1 CD TAC/CLASSICS