Réconcilier les français avec leur industrie pour lutter contre son déclin
La Fabrique de l’industrie est une association fondée et financée par des organisations patronales représentant différents secteurs de l’industrie. Ses travaux méritent d’être connus et largement diffusés en raison des éclairages qu’ils apportent sur notre déclin industriel et les voies à suivre pour y remédier.
Les titres des journaux : « Le règne du “made in ailleurs” », « Vingt ans de désindustrialisation »…nous interpellent sur le déclin de l’industrie en France. Entre 1995 et 2015, son poids relatif dans l’économie est descendu de 16,2 % du PIB à 11,2 %.
On saisit mieux ce que signifient ces chiffres quand on les compare à ceux de l’industrie allemande dont la part dans le PIB, pendant la même période, est restée stable à 22 %.
Pour comprendre cette situation, il est bon de s’intéresser aux travaux de La Fabrique de l’industrie. Cofondée par Frédéric Saint-Geours, Denis Ranque (70) et Pierre Gattaz, coprésidée par Louis Gallois et Pierre-André de Chalendar, dirigée par Thierry Weil (78) puis par Vincent Charlet, elle est un laboratoire d’idées qui effectue à la fois un travail de prospective sur le devenir de l’industrie et remplit une mission de sensibilisation à ses enjeux.
UN DÉCLIN INDUSTRIEL QUI AFFECTE TOUTE L’EUROPE SAUF L’ALLEMAGNE
Le poids de l’industrie dans les économies européennes diminue, sauf en Allemagne. Une note récente de l’Insee1 retrace cette évolution sous forme du tableau ci-dessous : en France, ces données ne signifient pas une diminution de l’activité industrielle, mais seulement celle de son poids relatif dans le PIB dont la croissance provient pour la plus grande part des services.
De son côté, l’Allemagne maintient sa part constante à un niveau élevé grâce à une industrie qui non seulement satisfait mieux la demande de son marché intérieur, mais dont le chiffre d’affaires à l’exportation est très élevé.
LES RISQUES D’UNE FRANCE SANS USINES
Doit-on s’inquiéter de cette évolution ? Pour les chantres de la société postindustrielle, notre avenir serait celui d’une société sans usines ni ouvriers : « Nous aurions les avantages de l’opulence sans les nuisances industrielles. »
“ Les difficultés de recrutement pèsent sur le développement et la compétitivité des entreprises industrielles ”
Mais c’est une illusion de croire à la stabilité d’un partage qui nous permettrait de bénéficier de produits importés bon marché tout en nous réservant les nobles tâches de la conception de nouveaux produits.
On ne peut dissocier la production de la conception, car les savoirs de recherche ont besoin de s’appuyer sur les savoirs de production et cela fait aussi partie de la recherche d’intégrer les nouvelles technologies dans les processus de fabrication.
UNE MAUVAISE IMAGE QUI NUIT AU RECRUTEMENT
En France, l’image de l’industrie est mauvaise et les entreprises ont de la peine à recruter le personnel dont elles auraient besoin. L’industrie est mal aimée en France.
UN CHÔMAGE ÉLEVÉ ET DES RECRUTEMENTS DIFFICILES
La compagnie Saint-Gobain qui a des usines de tailles comparables en France et en Allemagne a plus de peine à recruter en France où le taux de chômage est deux fois supérieur à celui de l’Allemagne.
Si 82 % des Chinois jugent attractif d’y travailler, ou 67 % des Américains, ce n’est le cas que pour 36 % des Français. Sur le marché de l’emploi, cette mauvaise image se traduit par la difficulté, pour les entreprises industrielles, à recruter des ouvriers ou des techniciens. Aussi étonnant que cela puisse paraître dans le contexte actuel de chômage, l’industrie est pénalisée par le peu de réponses à ses offres d’emploi.
« Les destructions d’emplois industriels relayées dans les médias ont tendance à masquer les difficultés de recrutement dans l’industrie. L’enquête Besoins en main‑d’œuvre de Pôle emploi, réalisée chaque année avec le concours du Crédoc, fournit une première approximation du niveau de ces difficultés.
Dans l’industrie, plus de 40 % des recrutements sont jugés difficiles selon les employeurs interrogés fin 2012 ; c’est le deuxième secteur à souffrir de difficultés de recrutement après la construction.
Certains profils sont très recherchés, en particulier les ouvriers qualifiés de la métallurgie (tuyauteurs, chaudronniers, soudeurs, tôliers…) ou les ingénieurs et cadres.
Ces difficultés pèsent sur le développement et la compétitivité des entreprises industrielles.2 » Du fait de cette rareté, quand PSA a fermé son usine d’Aulnay, les ouvriers n’ont pas mis longtemps à retrouver des emplois.
UNE COMPARAISON AVEC L’INDUSTRIE ALLEMANDE
Comment expliquer cette mauvaise image ? La comparaison avec l’Allemagne est riche d’enseignement. L’organisation des entreprises est différente : une étude comparative des effectifs de deux PME de 300 salariés fait apparaître trois fois plus d’encadrement dans l’entreprise française par rapport à l’allemande.
De nombreux postes sont à pourvoir dans l’industrie. © AUREMAR / FOTOLIA.COM
Mais il y a aussi les différences entre les systèmes éducatifs et l’image qu’ils donnent de l’industrie. En France, les élèves choisissent en fin de troisième le lycée où ils poursuivront leur scolarité. Beaucoup de ceux affectés en lycée professionnel y ont été « orientés » parce que leur niveau scolaire leur interdisait les filières de l’enseignement général et de l’enseignement technique.
Même le choix d’un métier, électricien, coiffeur… dépend des résultats scolaires car les moins bien notés sont affectés en dernier dans les lycées où il reste de la place.
L’apprentissage est une autre voie d’accès aux diplômes professionnels, qui assure de meilleurs débouchés vers l’emploi, mais en France, l’industrie ne s’est pas appropriée cette voie de formation et il est aussi difficile de trouver un poste d’apprenti qu’un emploi.
En lycée professionnel comme en centre de formation des apprentis (CFA), la scolarité se termine avec un diplôme : CAP, BEP, Bac pro, BTS, DUT. À ces diplômes correspondent les qualifications d’entrée dans la vie active. Comme la formation continue est trop peu développée, on ne peut progresser en qualification que par l’ancienneté de sorte que chacun reste marqué par son diplôme de fin de scolarité.
En Allemagne, en fin d’école primaire, les élèves ont le choix entre la poursuite des études en secondaire et l’apprentissage. Un grand nombre choisit la voie de l’apprentissage où la formation est prise en charge par les milieux professionnels.
La plupart des entreprises accueillent des apprentis auxquels cette voie ouvre un avenir car ils auront, au cours de leur carrière, la possibilité de progresser en qualification grâce à des actions de formations diplômantes.
Comme Airbus à Toulouse, les grandes entreprises ont leur lycée : Volkswagen, BMW, Siemens… où sont formés, à différents niveaux, les jeunes en formation initiale et les adultes en formation continue.
UNE SITUATION DÉJÀ ANCIENNE
Ces différences entre France et Allemagne ne datent pas d’aujourd’hui. Elles étaient déjà mises en évidence dans une étude effectuée en 1979 par un laboratoire du CNRS3 qui a mis en relation les systèmes éducatifs avec l’organisation du travail et la production de la hiérarchie dans des entreprises des deux pays.
LE LYCÉE AIRBUS À TOULOUSE
Cet établissement sous contrat de l’Éducation nationale et géré par l’entreprise fait figure d’exception. La 3e année de bac professionnel est en alternance dans les ateliers d’Airbus et en alternance également la préparation du BTS.
Assurant aussi la formation des adultes, le lycée permet de progresser en qualification jusqu’au niveau d’ingénieur.
Comme il accueille des élèves bien au-delà des besoins de l’entreprise, ni Airbus, ni ses sous-traitants n’ont de peine à recruter leur personnel.
À part le lycée Airbus en France, les systèmes de formation n’étaient pas très différents en 1979 de ce qu’ils sont maintenant. Il ne s’agit pas de glorifier un modèle allemand dont l’adoption permettrait de résoudre nos problèmes, mais d’utiliser la comparaison pour mieux saisir les interactions entre le monde de l’éducation et celui du travail.
En France, la voie professionnelle est sous la domination du monde de l’éducation lequel n’organise pas de formation continue permettant aux adultes de progresser en qualification, avec l’exception du lycée Airbus.
En Allemagne (et pour les élèves du lycée Airbus), la voie professionnelle est sous la domination du monde de l’industrie pour lequel la formation continue, en délivrant des diplômes, se situe dans le prolongement de la formation initiale.
UNE AUTRE VISION DE L’ORGANISATION DU TRAVAIL, DE LA PRODUCTION ET DU RÔLE DE LA HIÉRARCHIE
Lorsque, comme en Allemagne, la formation continue assure une continuité entre les qualifications, il est possible de laisser aux acteurs de la production une large autonomie.
“ En France, l’organisation du travail reste compartimentée ”
En effet, tous, ouvriers, techniciens, ingénieurs, ayant suivi la même filière de formation jusqu’à des niveaux différents, il y a entre eux un espace de qualification où la relation est plus professionnelle que hiérarchique.
En France, cet espace n’existe pas. L’organisation du travail reste compartimentée avec une multiplication des tâches de contrôle pour assurer la cohérence, ce qui explique le plus fort taux d’encadrement des unités de production par rapport aux entreprises allemandes.
IMPLIQUER L’INDUSTRIE DANS LA FORMATION INITIALE ET CONTINUE ET CHANGER LE REGARD SUR LA VOIE PROFESSIONNELLE
La Fabrique de l’industrie publie de nombreux ouvrages qui mériteraient une plus large diffusion. On peut en retenir l’accent mis sur trois points.
En Allemagne, la voie professionnelle est sous la domination du monde de l’industrie pour lequel la formation continue se situe dans le prolongement de la formation initiale. © SERGEY NIVENS / FOTOLIA.COM
Tout d’abord, la nécessité d’une plus grande implication de l’industrie dans la formation professionnelle par le développement de l’apprentissage et par la multiplication des lycées Airbus.
Ensuite, en se basant sur l’exemple du lycée Airbus à Toulouse, la généralisation de la formation continue diplômante de façon à réaliser un continuum entre les qualifications des acteurs de la production.
Enfin, un autre regard sur la voie professionnelle : une petite brochure, Osez la voie pro, cite parmi douze exemples celui de cette jeune femme, titulaire d’un bac S qui, plutôt qu’une classe préparatoire, choisit de préparer un BTS de génie climatique en apprentissage.
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1. Note INSEE Première n° 1637 du 9/3/2017.
2. L’industrie jardinière du territoire de É.Bourdu, C. Dubois, O. Mériaux, Presses des mines, La Fabrique de l’industrie, Paris, 2014.
3. La production de la hiérarchie dans l’entreprise recherche d’un effet sociétal, article publié dans la Revue française de sociologie, XX, 1979, par Marc Maurice, François Sellier et Jean-Jacques Sylvestre.