Recyclage des combustibles nucléaires : définir l’aval du futur
L’industrie nucléaire française dispose aujourd’hui d’une maîtrise unique au monde s’agissant de l’aval du cycle, c’est-à-dire la gestion des combustibles usés, avec le traitement-recyclage effectué par Orano. Les pistes d’amélioration sont prometteuses, mais ambitieuses. Des décisions doivent être prises rapidement.
Dans les combustibles usés, les éléments à vie longue, c’est-à-dire supérieure à 300 ans, sont pour l’essentiel les actinides : uranium, plutonium et actinides mineurs (américium, neptunium et curium essentiellement). Les deux premiers peuvent générer de l’énergie dans les réacteurs de génération 3 (parc actuel, EPR mais aussi SMR type Nuward, tous dits à neutrons thermiques) par le recyclage.
Le monorecyclage
Ainsi, les procédés de traitement-recyclage mis en œuvre par Orano dans ses usines de La Hague (pour le traitement) et de Melox (pour le recyclage) permettent de séparer l’uranium et le plutonium des autres éléments, afin de les réutiliser dans de nouveaux combustibles. Ce mono-recyclage génère une économie des ressources en uranium naturel de l’ordre de 10 % avec le combustible MOX (mélange d’uranium et de plutonium) et jusqu’à 20 % ou 25 % dans le cas d’un recyclage de l’uranium issu du traitement (combustible, uranium de retraitement enrichi, URE). À l’horizon 2040, le projet de multirecyclage en réacteur à eau pressurisée (MRREP) pourrait permettre de pousser ce taux jusqu’à 30 %, mais aussi de stabiliser les inventaires de combustibles usés issus du recyclage, en recyclant l’uranium et le plutonium plusieurs fois de suite au sein des mêmes réacteurs à neutrons thermiques.
La gestion des déchets radioactifs
L’autre atout du traitement-recyclage est celui d’une gestion optimisée des déchets radioactifs à vie longue, dont il permet de réduire le volume d’un facteur 5 et la radiotoxicité d’un facteur 10 par rapport au stockage direct des combustibles usés, dans le cas du cycle ouvert. En effet, les procédés de traitement permettent de conditionner les déchets à vie longue en deux catégories de conteneurs : les colis vitrifiés (CSD‑V), conteneurs de haute activité à vie longue incorporant les produits de fission et les actinides mineurs ; et les colis compactés (CSD‑C), conteneurs de moyenne activité à vie longue récupérant les éléments de structure des assemblages de combustible, en particulier les gaines en alliage de zirconium. Le projet français de stockage en couche géologique profonde Cigéo est conçu pour accueillir ces colis et en assurer le confinement, afin qu’ils ne présentent durablement aucun danger pour l’homme et la biosphère.
Le multirecyclage en REP (MRREP)
Pour fonctionner, un réacteur nucléaire a besoin d’une proportion suffisamment élevée d’isotopes fissiles dans son combustible. Dans la technologie de réacteurs à eau pressurisée (REP), il s’agit essentiellement de l’uranium 235, obtenu à partir de l’uranium naturel enrichi (UNE). En l’absence de recyclage du combustible usé, on parle de cycle ouvert. Le combustible UNE usé contient du plutonium, qui peut être recyclé en réacteur, comme le fait la France avec ses usines de
La Hague et de Melox et la technologie du MOX, un combustible à base de plutonium et d’uranium appauvri : on parle alors de monorecyclage, le plutonium étant actuellement réutilisé une seule fois. Il n’est pas possible, en l’état actuel des technologies, de mettre en œuvre un multirecyclage à l’échelle industrielle du parc nucléaire français, car la qualité fissile du plutonium se dégrade au fur
et à mesure des cycles, alors que sa proportion en isotopes pairs augmente. Ainsi, les combustibles MOX usés français sont aujourd’hui entreposés
de manière sûre en attente de la mise en œuvre d’une solution future.
La stratégie envisagée à long terme par la France est celle du multirecyclage, mettant en œuvre des réacteurs à neutrons rapides (RNR) qui autorisent un cycle continu du plutonium. L’utilisation de tels réacteurs permet d’envisager des scénarios ne nécessitant plus aucune consommation d’uranium naturel extrait des mines. Aujourd’hui cependant et malgré les tensions récentes sur les prix de l’uranium, les ressources en uranium sont abondantes et disponibles à un prix encore acceptable, repoussant l’intérêt économique du déploiement des RNR à un horizon plus lointain. Il convient cependant de préciser que, en fonction de l’évolution de la crise énergétique et géopolitique actuelle, ces considérations pourraient devoir être revues, et le calendrier d’un éventuel multirecyclage en RNR potentiellement accéléré.
Le multirecyclage en REP (MRREP) consiste à développer les solutions technologiques permettant un multirecyclage des combustibles usés, sans déploiement de RNR. Cela suppose de compenser, dans le futur combustible MOX2, la dégradation de la qualité fissile du plutonium par l’ajout d’uranium enrichi. Divers aspects technologiques doivent être étudiés : concepts de combustible, adéquation avec les réacteurs, usines nécessaires pour traiter et recycler ces combustibles, intégration de tels combustibles dans le système industriel d’ensemble. L’industrie nucléaire française a lancé dès 2016 les premières études sur le MRREP et s’est ensuite organisée en « quadripartite » (CEA, Orano, EDF, Framatome) pour piloter et financer ce programme de R & D. Le programme porte l’ambition d’un assemblage test en réacteur à l’horizon 2025–2028, puis d’un déploiement industriel à l’horizon 2040–2050, cohérent avec l’horizon des futures évolutions des usines de l’aval du cycle.
Réduire les déchets à vie longue
L’âge des usines actuelles de La Hague et de Melox, entrées en fonction respectivement au début et à la fin des années 1990, pose la question de la pérennité des capacités industrielles de traitement-recyclage au-delà du jalon administratif et commercial des usines pour l’instant fixé à 2040. De plus, la génération de déchets à vie longue ressort comme l’un des deux principaux axes, avec la sûreté et la prévention des accidents, sur lequel le public demande à notre industrie de progresser ; aussi les concepts de l’aval du futur doivent-ils s’attacher à proposer des solutions visant à réduire les déchets à vie longue. Orano travaille, avec la filière, sur plusieurs briques technologiques qui permettraient de transformer un nécessaire renouvellement de l’outil industriel afin d’en améliorer radicalement les performances à plusieurs points de vue.
De nouvelles technologies pour le traitement
La poursuite du monorecyclage permet déjà d’introduire de nouvelles technologies dans le traitement, de manière à améliorer la performance et l’économie globale des installations (déploiement des technologies de l’usine 4.0 en cours de mise en œuvre dans les usines actuelles, optimisation de la radioprotection, optimisation des opérations de purification de l’uranium et du plutonium). La mise en œuvre industrielle du MRREP demandera quant à elle le déploiement de nouvelles technologies. Enfin, des technologies en rupture sont étudiées, notamment pour élargir la gamme de combustibles admissibles, afin par exemple d’être en mesure de proposer le traitement de combustibles de certains concepts de réacteurs étrangers actuels, dont les réacteurs innovants. Parallèlement, divers modèles sont étudiés pour générer davantage de valeur à partir des usines de traitement, par exemple en valorisant certaines matières aujourd’hui sans usage et par conséquent considérées comme des déchets (platinoïdes par exemple).
De nouvelles technologies pour le recyclage
Les défis de niveau de production rencontrés par l’usine de Melox qui fait face à son vieillissement illustrent la nécessité de continuer à progresser sur les procédés actuels. En particulier, de nouvelles technologies pour maîtriser dans la durée les débits de dose radioactive, intégrant le retour d’expérience conséquent de Melox, devront être mises en œuvre. La maîtrise industrielle de la fabrication du futur combustible MOX2 présente des défis complémentaires en termes de qualité et de compétitivité, qui devront être relevés pour le déploiement du MRREP. La filière étudie ainsi des évolutions technologiques ou de nouvelles technologies sur les procédés de fabrication, tant pour la préparation des milieux granulaires que pour la mise en forme des pastilles ou de nouveaux procédés de frittage et de rectification des pastilles.
La décontamination des coques
Les conteneurs standards de déchets compactés (CSD‑C, contenant les matériaux métalliques de structure des assemblages de combustible) entrent dans la catégorie des déchets de moyenne activité à vie longue, en raison non seulement de la présence de traces de matière issue du combustible (uranium, plutonium, actinides mineurs et produits de fission), mais aussi de celle de produits d’activation de l’alliage de zirconium.
“Contribuer à améliorer l’acceptabilité publique du nucléaire.”
Orano travaille, en partenariat avec le CEA et Framatome, sur plusieurs technologies en rupture visant à éliminer l’activité contenue dans les gaines combustibles constituées d’alliage de zirconium. Ce dernier pourrait alors soit être réutilisé pour la fabrication de nouveaux combustibles nucléaires, augmentant la circularité de l’industrie, soit stocké en surface ou en subsurface. Surtout, le volume des déchets destinés au stockage profond pourrait être réduit de l’ordre d’un facteur 10 par rapport aux colis CSD‑C actuels, ce qui pourra fortement contribuer à améliorer l’acceptabilité publique du nucléaire.
La conversion des actinides
Les actinides mineurs peuvent être convertis, c’est-à-dire transformés par fission en éléments à vie courte (moins de 300 ans), dans des réacteurs à neutrons rapides. Le sujet est instruit depuis longtemps (expériences menées dans les réacteurs Phénix du CEA et Superphénix d’EDF). Il a également été discuté dans les débats parlementaires autour de la transmutation dans le cadre des lois Bataille de 1991 et de Transparence et Sécurité en matière nucléaire de 2006. Aujourd’hui, l’étude de nouveaux concepts de petits réacteurs, comme ceux fondés sur la technologie du réacteur à sels fondus, est particulièrement prometteuse. Ce dernier est particulièrement adapté à l’objectif de conversion, en ce qu’il peut fonctionner sans uranium et ainsi consommer une quantité importante d’actinides mineurs sans en générer en retour.
De tels réacteurs ne se substitueraient pas au parc de réacteurs de puissance d’EDF (type EPR2) mais interviendraient en complément. Si de nombreux verrous technologiques doivent être levés, ce concept présente des avantages de sûreté et d’intégration avec les technologies de traitement-recyclage déployées par Orano. En partenariat avec le CEA et le CNRS, ainsi qu’EDF et Framatome, Orano a ainsi entamé des travaux sur ces réacteurs à sels fondus, qui pourraient permettre de réduire très fortement les éléments à vie longue contenus dans les colis CSD‑V. Le volume des déchets à vie longue pourrait alors être réduit de l’ordre d’un facteur 7 par rapport au cycle ouvert et leur emprise au stockage jusqu’à un facteur de l’ordre de 10, économisant ainsi la ressource rare que constitue le stockage géologique. De plus, la durée de vie des déchets serait drastiquement réduite, l’ensemble contribuant fortement à améliorer l’acceptabilité publique du nucléaire.
Des défis technologiques
Parvenir à la maturité industrielle sur ces briques technologiques, pour la plupart en rupture, représente cependant un défi majeur. Surtout, leur mise en cohérence avec la chronologie du renouvellement des installations de traitement-recyclage d’Orano suppose de réaliser un effort particulièrement important de recherche et développement. Celui-ci doit être coordonné au niveau de la filière, afin de garantir la cohérence des pistes explorées entre elles et avec le programme industriel de renouvellement des installations. Il doit aussi faire l’objet d’un accompagnement conséquent de la part de l’État, avec l’objectif d’aboutir à des solutions industrielles déployables au-delà de l’horizon de la décennie 2040. Dans l’intermédiaire, le renouvellement nécessaire de certains des ateliers des installations de traitement-recyclage peut s’inscrire dans un schéma industriel cohérent avec le temps de développement des nouvelles technologies.
Des décisions à prendre rapidement
L’orientation récente de l’État en faveur d’un renouvellement du parc nucléaire français, avec l’annonce de la construction d’au moins six EPR2 par le Président de la République le 10 février 2022 à Belfort, est un signal fort pour la filière. Cependant, la pérennisation des capacités industrielles du traitement-recyclage nécessitera une stratégie à très long terme, assurant une vision d’ensemble cohérente de tous les enjeux de la filière nucléaire française. En effet cette pérennisation supposera de mener conjointement un programme de prolongation de l’exploitation des usines actuelles au-delà de 2040, similaire dans l’idée au grand carénage d’EDF, un programme de conception des futures usines de traitement-recyclage pour l’horizon 2050–2060 et un vaste programme de R & D, afin d’amener à une maturité suffisante les technologies à embarquer dans ces futures usines. Le temps nécessaire à la mise en œuvre de chacune de ces étapes impose que des décisions soient prises par l’État avant la fin de ce quinquennat, afin de déterminer la stratégie d’ensemble et lancer les travaux afférents.