Redonner du souffle à une entreprise de pompes à vélo
Après une dizaine d’année dans les nouvelles technologies, Mathieu reprend la PME familiale, spécialisée et acteur majeur dans les accessoires pour cycle depuis plus d’un siècle. Quant la mondialisation arrive, elle résiste d’abord mieux que ses concurrents, mais les difficultés finissent par s’accumuler et il faut relancer l’affaire. Ce que Mathieu et son frère semblent avoir réussi à faire en quelques longues années.
Après un début de carrière dans les nouvelles technologies puis un MBA, j’entre à trente et un ans chez Zéfal, la PME familiale, en même temps que mon jeune frère.
Si nous nous intégrons à l’équipe en place, les décisions à prendre dans un contexte rude vont rapidement nous plonger dans les difficultés d’un pilotage d’entreprise par gros temps.
LE TEMPS DE L’EUPHORIE
Les origines de la société remontent à la fin du XIXe siècle : elle équipait les premières bicyclettes de porte-lanternes et de timbres. Malgré des difficultés économiques avant et après la Seconde Guerre mondiale, elle a su s’imposer comme l’acteur majeur des accessoires pour cycles, plus particulièrement pour sa pompe à vélo vendue sous la marque Zéfal.
Cette domination connaît son apogée dans les années 1970 et 1980 : des conteneurs de pompes sont expédiés jusque dans la plupart des pays en voie de développement. La rentabilité de la société est excellente, ce qui lui vaut les honneurs réguliers de la presse économique, enthousiasmée par cette PME qualifiée de pépite.
LES AFFRES DE LA MONDIALISATION
Les années 1990 marquent un changement important, celui de la montée en puissance de l’industrie en Chine et plus généralement en Asie. Les biens de consommation y sont produits pour des coûts dérisoires, et bientôt avec une qualité convenable.
“ Il était important que la jeune génération chamboule ”
De nouveaux concurrents émergent : d’abord la marque taïwanaise Topeak, vite suivie par un bataillon de marques de distributeurs qui ont compris à quel point il peut être profitable d’aller s’approvisionner en Chine sans avoir à faire d’effort d’investissement et de pilotage industriel. Décathlon et ses marques « passion » sont probablement l’exemple le plus connu de ces distributeurs qui, de partenaires, deviennent concurrents.
Profitant de sa notoriété, Zéfal résiste mieux que d’autres équipementiers français qui ferment boutique. Sûre de sa force, l’entreprise reprend plusieurs sociétés à la barre du tribunal de commerce pour les remettre à flot.
Le groupe aborde les années 2000 avec la fierté de pouvoir montrer sa force dans l’équipement du vélo. La réalité sera autre : les filiales, recapitalisées par millions d’euros, continuent de boire la tasse et la société mère voit s’accélérer la diminution de son chiffre d’affaires. Dès 2004, les comptes sont dans le rouge.
CHANGEMENT GÉNÉRATIONNEL
C’est dans ce contexte que mon frère et moi rejoignons l’entreprise en 2006. Une année plus tard, notre père fait valoir ses droits à la retraite et quitte l’entreprise dont il reste seulement administrateur non exécutif.
C’est une bonne chose tant il était important que la jeune génération chamboule plutôt que l’ancienne génération transmette.
Avec des fonds propres et un chiffre d’affaires divisés tous les deux par 2,5 en dix ans, avec des difficultés régulières à boucler les fins de mois et avec des banquiers qui ne veulent plus se risquer au-delà de l’escompte sur les traites des clients sûrs, la marge de manœuvre était étroite.
La sortie du tunnel s’est articulée autour de trois axes.
DÉPARTS NÉGOCIÉS ET LICENCIEMENTS ÉCONOMIQUES
Le premier axe a été la réduction des charges de personnel, qui a commencé au niveau de la direction avec des départs négociés, forcés ou même volontaires.
“ Coller aux évolutions du marché et sortir les innovations des cartons ”
Mais le plus gros effort a été consenti par les ouvriers et agents de maîtrise qui ont connu vingt-trois licenciements secs à l’issue d’un « plan de sauvegarde de l’emploi » (PSE) entamé début 2009, puis à nouveau quatre licenciements économiques quinze mois plus tard.
Dans cette période socialement difficile, je dois reconnaître avoir été aidé par l’attitude globale des salariés et de leurs représentants. Tous étant conscients que l’entreprise jouait sa survie, le dialogue fut souvent tendu mais jamais rompu et le départ des salariés licenciés s’est fait dans des conditions que beaucoup de chefs d’entreprise pourraient m’envier.
RECENTRAGE AUTOUR DU CŒUR DE MÉTIER
Il s’agissait d’élaguer les branches qui étaient en train de tuer l’arbre. Ce qu’il restait des filiales reprises quand elles étaient en cessation de paiement a été liquidé.
Cette fin d’activité a même pu donner un peu d’air à la société par la vente de certains actifs immobiliers devenus inutiles.
RAJEUNIR LA MARQUE ET LA GAMME DE PRODUITS
60 % de notre chiffre d’affaires est produit sur notre site dans le Loiret.
© ZÉFAL
Les efforts de la société pour s’étendre avaient entraîné une apathie du renouvellement du catalogue de la marque.
Nos efforts ont visé à rajeunir la marque, faire coller ses produits aux évolutions du marché et sortir les innovations des cartons. Nous avons principalement misé sur le sourcing auprès de partenaires asiatiques.
Ces efforts se sont concrétisés par la hausse du chiffre d’affaires de 34 % entre les exercices 2009 et 2014.
RELANCER
Zéfal a touché le fond au cours des exercices 2008 et 2009. Depuis 2010, l’excédent brut d’exploitation est dans le vert et, après deux années proches de l’équilibre, le résultat net l’est depuis 2012. Nous continuons, chose rare, à avoir une vraie production en France : 60 % de notre chiffre d’affaires est produit sur notre site dans le Loiret.
La trésorerie est plutôt bonne et a permis une reprise substantielle des investissements.
Pourtant, l’équilibre est précaire. Quels que soient le sérieux de notre travail et l’excellence de nos opérations, nos produits sont menacés de banalisation par une concurrence à la férocité décuplée et qui maîtrise de mieux en mieux son sujet.
Après ces dernières années de rationalisation, il va falloir donner un nouvel élan pour faire de Zéfal la marque phare qu’elle était il y a trente ans.
Pour parodier une célèbre phrase d’Einstein, l’entreprise c’est comme une course de vélo : il faut savoir relancer pour ne pas finir dans le gruppetto.
SEPT BONNES PRATIQUES POUR CONDUIRE UN PLAN DE SAUVEGARDE DE L’EMPLOI
FAITES-VOUS ACCOMPAGNER PAR UN AVOCAT
Même si vous ou votre DRH avez déjà eu à mener un PSE dans le passé, méfiez-vous. C’est un sujet que la loi et la jurisprudence aiment bien revisiter. Faites-vous conseiller par un avocat et préparez-vous à ce qu’il y passe un certain nombre d’heures. Certes, cela aura un coût à un moment où la trésorerie de votre entreprise n’est pas son point fort.
Mais ce qui serait dramatique serait de voir son PSE annulé pour un courrier envoyé le mauvais jour ou pour une justification insuffisante.
ÉVITEZ LES DEMI-MESURES
Pour éviter la lourdeur et les coûts liés à un PSE, vous serez peut-être tenté d’organiser des charrettes régulières de neuf licenciements. Mauvaise idée : outre le risque légal, la succession de ces vagues vous fera courir le risque d’une rupture avec vos salariés qui ne pourront pas travailler sans se demander quand viendra leur tour.
BUDGÉTISEZ
C’est probablement une évidence, mais attendez-vous à ce que les licenciements et les mesures d’accompagnement vous coûtent cher. Votre entreprise devrait faire son plus mauvais exercice l’année du PSE (même s’il a lieu en début d’exercice).
Prenez le temps de voir avec les représentants du personnel les meilleures solutions possibles pour les situations personnelles particulièrement difficiles.
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SOIGNEZ VOS RELATIONS AVEC L’INSPECTION DU TRAVAIL
D’une période à l’autre, d’un département à l’autre, les inspections du travail ne se ressemblent pas, gardons-nous donc de généraliser. Veillez à bien respecter vos obligations légales. Avec votre inspecteur du travail, restez à la fois ouvert et lucide car, dans ce genre de situation, il aura tendance à tirer la couverture vers les salariés.
C’est ainsi que mon inspectrice du travail est venue à une réunion de consultation pendant laquelle elle a fait valoir aux représentants du personnel des mesures d’accompagnement à ajouter au PSE, mesures coûteuses pour l’entreprise mais dont les pouvoirs publics pouvaient prendre en charge jusqu’à 75 %. À l’arrivée, l’aide était trois fois moins importante qu’annoncé.
SOYEZ CONVAINCU
Dans une négociation (car c’est une négociation), ne montrez pas de faiblesse psychologique. Pour désolé que vous êtes des situations de détresse que le PSE va créer, ne montrez pas de doute sur le caractère inévitable de celui-ci.
SOYEZ SENSIBLE AUX CAS PARTICULIERS MAIS FERME SUR LES CONDITIONS GÉNÉRALES
Quand les représentants du personnel pointeront du doigt une situation personnelle particulièrement difficile, prenez le temps de voir avec eux la meilleure solution possible.
En plus de vous faire agir pour le bien, cela vous mettra dans une position plus confortable pour refuser une augmentation des mesures d’ accompagnement collectives.
OPTIMISEZ
Lorsque plusieurs salariés partagent un poste dont vous réduisez l’effectif et qu’il faudra déterminer qui sera licencié, la loi, renforcée par certaines conventions collectives, vous permet de mettre en avant un critère d’évaluation professionnelle qui vient compléter les critères d’ancienneté et de situation sociale. Servez-vous-en.
Par ailleurs, lorsque votre PSE aura été préparé, prenez le temps de le relire avec un oeil calculateur : n’allez pas licencier un salarié senior qui devrait faire valoir ses droits à la retraite sous quelques mois ; le calcul financier serait en votre défaveur.