Réenthousiasmer des fonctionnaires en quête de repères
En 2008, une nouvelle réorganisation des services territoriaux de l’État était en gestation, conduisant à supprimer les DRIRE1 et à rapprocher les Poids et Mesures des services des fraudes au sein de nouvelles directions régionales, les DIRECCTE2. C’est lors de cette période qu’il m’a été demandé d’ajouter la métrologie – nom moderne des poids et mesures – à mes missions sur les normes et les brevets.
REPÈRES
Le service des poids et mesures est un corps de contrôle né de l’instauration du système métrique à la Révolution française. Au gré des réformes de l’État, ce service a subi de multiples aléas, le dernier remontant aux années 1980 avec son intégration dans les directions régionales du ministère chargé de l’Industrie, les DRIR, devenues depuis les DRIRE1.
Cette intégration a été parachevée par la fusion du corps des Instruments de mesure, corps d’application de l’X, avec le corps des Mines, mettant ainsi fin à l’identité propre de cet ancien service.
Un métier ignoré mais à la valeur ajoutée réelle
Un métier passionnant et indispensable au bon fonctionnement de la société
C’était un métier dont j’ignorais tout et qui semblait peu en rapport avec mes autres activités, axées sur les outils de diffusion de l’innovation. Je suis donc parti à la rencontre des équipes en région pour comprendre ce qu’elles faisaient et percevoir leurs préoccupations. J’y ai rencontré des professionnels en plein doute existentiel, persuadés que cette énième réforme annoncée signerait la fin de leurs activités. Ils se sentaient abandonnés, considérés comme la dernière roue du carrosse et ballottés de structure en structure au cours des années, sans personne pour s’intéresser à eux.
Et pourtant ils étaient passionnés par leur travail, persuadés qu’ils rendaient un service utile aux usagers, même si c’était dans l’indifférence la plus complète. Effectivement, à leur contact, j’ai pu me rendre compte à quel point ils exerçaient un métier passionnant et indispensable au bon fonctionnement de la société, bien qu’il restât dans l’ombre.
Plus je découvrais les arcanes du métier et la diversité des instruments contrôlés, plus je constatais un potentiel élevé de leurs activités en termes de valorisation. Ayant toujours privilégié le savoir-faire plutôt que le « faire savoir », les métrologues souffraient d’un déficit de communication. Il n’était pas étonnant qu’ils se sentent inappréciés, puisque leur mission restait confidentielle et connue des seuls cercles d’initiés.
Un rôle méconnu
Le rôle de la métrologie consiste à s’assurer que les instruments de mesure utilisés dans les transactions commerciales sont employés correctement et donnent des indications justes. Or chacun, dans la vie courante, est confronté à des instruments de mesure : balances chez les commerçants ou dans les supermarchés, pompes à essence, taximètres déterminant le prix de la course des taxis, compteurs d’eau, d’électricité, de gaz… et même radars automatiques ou portatifs utilisés par les forces de l’ordre.
Rares sont ceux qui se posent la question de la surveillance de ces appareils, mais savoir qu’ils sont contrôlés régulièrement de manière indépendante et impartiale et qu’ils offrent toutes les garanties sur les mesures effectuées est plutôt rassurant.
Reconquérir le terrain
Ma priorité a donc été de les convaincre de sortir de leur bulle et de prendre leur destin en main, en les encourageant à mieux communiquer sur leur métier et à mettre en valeur leurs résultats. Pour cela, il fallait qu’ils puissent expliquer leurs activités de manière simple et facilement compréhensible, afin que le bénéfice pour la société soit immédiatement perceptible.
Avantage indirect
Amener les agents de la métrologie à un contrôle sur pièces présente également l’avantage de vérifier la qualité du travail des contrôleurs privés de manière plus concrète que par l’examen théorique de leurs procédures.
Or, au fil des réorganisations et face aux réductions d’effectifs, les équipes avaient peu à peu abandonné le terrain, confiant le contrôle des instruments de mesure à des entreprises privées et se contentant de valider leurs procédures.
Le travail était devenu plus administratif que réellement technique et la valeur ajoutée était difficile à expliciter. Pour améliorer la visibilité de leurs actions, j’ai engagé les équipes à réinvestir le terrain et à aller directement chez les possesseurs d’instruments de mesure (commerçants, industriels, grossistes distributeurs, etc.), pour contrôler par échantillonnage l’exactitude des instruments. Cela permettrait d’estimer le taux global de conformité des instruments utilisés par une profession donnée, et donnerait des éléments de communication.
Du doute aux encouragements
Terminologie
Face aux entreprises et aux commerçants, les métrologues ont rapidement fait l’expérience que le véritable sésame pour ouvrir les portes n’était ni le mot métrologie (confondu avec météorologie!), ni les acronymes DRIRE ou DIRECCTE, mais bien l’appellation « poids et mesures », héritée de la Révolution et qui restait prégnante dans les esprits, alors qu’elle avait été effacée de la nomenclature administrative il y a plus de cinquante ans. Rien qu’avec cette dénomination, citée spontanément par les possesseurs d’instruments de mesure, les agents retrouvaient toute l’identité de leur métier et la fierté de l’exercer.
Cette nouvelle orientation a rencontré un certain scepticisme, voire des réticences de la part d’agents peu enclins à modifier leurs habitudes de travail, mais il en allait de la survie de leur métier. Ils ont donc fait réétalonner leurs instruments de contrôle, remisés depuis longtemps dans des placards, et sont allés au contact des commerçants, des responsables de grandes surfaces et des chefs d’entreprise.
Le travail était devenu plus administratif que réellement technique
Et peu à peu les messages encourageants ont commencé à affluer des régions pionnières : les utilisateurs d’instruments, loin de critiquer ces visites, comme certains le craignaient, ont fait part de leur satisfaction de voir l’État réaffirmer sa présence sur le terrain et s’assurer ainsi de la saine concurrence entre tous les acteurs (« Vous m’avez contrôlé, mais avez-vous aussi contrôlé mon voisin ? »).
Émulations entre régions
Face à ces premiers succès, les équipes ont progressivement repris confiance en elles et les actions sur le terrain se sont multipliées, avec une inventivité étonnante. Chaque région s’est mise à rivaliser d’imagination pour définir des modes de contrôle innovants, vérifier de nouveaux types d’instruments de mesure ou nouer des collaborations efficaces avec d’autres services de l’État pour augmenter les synergies. Redonner du sens à leur mission avait permis de libérer les énergies et de développer une créativité insoupçonnée.
Vérification d’une pompe à essence avec une jauge étalonnée pour s’assurer des quantités délivrées.
© SQUALPI
Contrôle de l’exactitude d’un radar de vitesse par comparaison avec un radar de référence à l’arrière-plan. © SQUALPI
Forger l’esprit d’équipe
Pour animer l’ensemble du réseau, échanger sur les pratiques mises en place et diffuser les bonnes idées, j’ai organisé un séminaire national avec toutes les équipes régionales, en plus des réunions de coordination trimestrielles des responsables régionaux.
Le ministre de l’Industrie a accepté de signer lui-même des communiqués de presse
Cet exercice, qui s’est déroulé de manière symbolique à la maison mère à Bercy, dans le grand amphithéâtre des ministres, s’est révélé comme un puissant outil de motivation, à tel point que son renouvellement annuel est désormais essentiel pour répondre à l’attente des participants. Les futurs retraités s’enquièrent même de la date prévue pour le prochain séminaire, afin d’être sûrs de pouvoir y participer avant leur départ.
L’essentiel du séminaire repose sur des ateliers où les régions confrontent leurs expériences. Les animateurs, choisis parmi les techniciens et les ingénieurs des régions, ont conscience d’avoir une responsabilité particulière pour la réussite de la journée et consacrent une énergie remarquable à la préparation de leur atelier.
Créer une ambiance
« Poids et mesures, ça balance »
Sous des titres aguicheurs comme « Poids et mesures, ça balance » ou « Emballé, c’est pas toujours bien pesé », des articles de presse expliquent que, dans tel département, 20% des balances ont été trouvées non conformes et que les opérations de contrôle des services de l’État vont donc être renforcées. Chaque publication dans la presse régionale conforte la légitimité des équipes, qui se réjouissent de pouvoir adresser au Ministère les articles correspondants.
Grâce à l’implication de chacun, ce séminaire apporte son lot d’émotions fortes et de moments mémorables, telle cette saynète improvisée par des participants, mettant aux prises un contrôleur et un boulanger coriace dont la balance n’était pas conforme, afin d’illustrer un exposé sur la gestion des conflits : succès garanti tant la justesse des situations vécues par les acteurs était flagrante.
Autre exemple : l’utilisation de boîtiers électroniques de vote, comme dans les assemblées générales de grands groupes, pour répondre à un QCM géant sur l’application de la réglementation en métrologie. La salle a pris des ambiances de jeu télévisé quand les participants se sont enflammés pour exposer les arguments justifiant leurs réponses.
Redonner confiance
Cette cérémonie, pour symbolique qu’elle soit, a également contribué à redonner confiance à tous les personnels, en leur faisant prendre conscience que les promotions existaient aussi dans ce métier et qu’elles n’étaient pas réservées à des activités plus prestigieuses du Ministère, comme la finance. L’impact a été immédiat : les métrologues se sont inscrits de plus en plus nombreux aux concours internes, ce qui a entraîné mécaniquement une croissance du nombre de promus, enclenchant ainsi le cercle vertueux.
Vérification d’une balance de supermarché à l’aide d’une masse étalon. © SQUALPI
Cette émulation interne constitue un formidable vecteur pour créer un esprit de corps et renforcer l’attractivité du métier. Via leur cas individuel, les candidats aux examens professionnels portent les couleurs de la métrologie, comme aux jeux Olympiques les athlètes français celles de l’équipe de France.
Ainsi, le lauréat ayant décroché la première place au concours de technicien principal en 2011 m’a immédiatement appelé pour me confier sa joie d’avoir permis à la métrologie d’arriver en tête devant tous les autres métiers.
Photo souvenir
Un autre moment de portée symbolique pendant le séminaire est la photo souvenir de chaque région, prise par le photographe du Ministère, qui immortalise l’événement en choisissant avec soin l’arrière-plan, une fois la cour d’honneur du Ministère avec ses drapeaux flottant au vent, une autre fois le hall d’accueil du centre de conférences avec la plaque inaugurale posée par Pierre Bérégovoy.
Cela peut sembler futile au premier abord, mais c’est en voyant la photo affichée dans les bureaux en région que j’ai pu constater toute la symbolique qu’elle revêtait : elle conférait au séminaire un caractère d’événement exceptionnel, auquel les personnes avaient eu la chance de représenter leur région, aux côtés d’une équipe soudée.
La fierté avec laquelle les participants montraient cette photo prouvait à quel point ce voyage en commun à Paris comptait pour eux et avait contribué à renforcer les liens au sein de leur équipe.
Développer la communication externe
Parallèlement à ces opérations de communication interne, nécessaires pour assurer la cohésion et redonner l’estime de soi aux métrologues, en mettant en évidence leurs réussites, des actions de communication externe ont été lancées, sur la base des retours de terrain.
Recrutements plus faciles
Le choix de rejoindre la métrologie, fait par les deux premiers promus au concours de technicien supérieur en 2012, est pour l’ensemble des équipes un signe marquant, qui renforce encore la fierté d’appartenir à cette famille. Une des conséquences pratiques est qu’aujourd’hui il n’y a plus aucune difficulté à trouver des candidats motivés dès qu’un poste est disponible en métrologie.
Le ministre de l’Industrie, montrant son intérêt pour ces activités, a accepté de signer lui-même des communiqués de presse faisant le bilan des opérations coordonnées au niveau national, notamment sur le contrôle des stationsservice, des balances dans l’agroalimentaire ou des camions de livraison de fioul à domicile.
Chaque équipe régionale a relayé ces communiqués localement en les complétant avec des données régionales et départementales sur le taux de conformité des instruments de mesure.
Là encore, le succès a été au rendez-vous, car les journalistes sont toujours friands d’informations pouvant être portées à la connaissance des consommateurs.
Radio et télévision
Certaines régions ont été sollicitées pour répondre à des interviews à la radio ou pour réaliser des reportages pour des journaux télévisés régionaux. D’autres ont pris l’initiative d’inviter des journalistes à suivre leurs contrôles, afin de donner plus de substance aux articles. La dernière demande en date concerne un tournage en caméra cachée lors d’un contrôle sur un marché et dans une boutique de rachat d’or pour un magazine de reportages diffusé à une heure de grande écoute.
Poids et mesures étalons historiques. © SQUALPI
Ainsi, en sollicitant les bonnes volontés et en encourageant la créativité, chacun donne le meilleur de lui-même et exprime pleinement ses potentialités pour le plus grand bénéfice de tous.
Servir d’exemple
Fortes de cette confiance retrouvée et de cette nouvelle reconnaissance, les équipes ont pu aborder de manière sereine et sans complexe leur intégration dans les nouvelles directions régionales, les DIRECCTE, créées en 2010. Le transfert s’est passé dans les meilleures conditions et à la satisfaction générale.
Alors que les métrologues étaient les premiers à redouter la disparition de leur métier au gré de cette réorganisation, ils se sont retrouvés moteurs du changement dans la nouvelle structure, en tentant d’insuffler leur esprit positif aux collègues des autres services venant d’horizons très différents (fraude, inspection du travail, etc.).
Leur motivation a servi d’exemple. Rien ne sert de se lamenter sur son sort, mieux vaut se prendre en main et agir au service de la collectivité, c’est la meilleure façon de se redonner une légitimité.
Donner du sens au travail
Bien que cette expérience ne soit pas nécessairement transposable à d’autres situations, sans doute plus complexes, elle témoigne de ce que rien n’est perdu d’avance en matière de motivation. Même dans l’administration, si facilement décriée pour sa lourdeur et ses difficultés d’adaptation, il est possible de faire bouger les lignes et de mobiliser les énergies pour conduire le changement.
Faire confiance aux femmes et aux hommes sur les ressources cachées dont ils disposent est le meilleur moyen de susciter la dynamique vertueuse du progrès au service des citoyens. Un préalable indispensable est de conférer du sens à leur mission, afin de faire partager une vision commune dans laquelle chacun se sent considéré et utile.
La plus grande des satisfactions est alors de constater l’enthousiasme et le rayonnement dégagés par des personnes heureuses et à l’aise dans leur métier. Les moments de grâce constitués de telles rencontres valent toutes les récompenses et rendent au centuple l’énergie investie dans cette impulsion positive.
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1. DRIR : direction régionale de l’industrie et de la recherche, DRIRE : direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement.
2. DIRECCTE : direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.
3 Commentaires
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« Design management » pour la fonction « Poids et Mesures«
Bonjour,
merci pour ce témoignage sur la gestion du changement, où l’on peut repérer des éléments propres à l’approche « design management » des organisations :
– la marque (ici, le remplacement de métrologie par « Poids et Mesures »),
– des slogans (ici, « Poids et Mesures, ça balance »)
– des évocations culturelles (ici, les Césars),
– les beaux objets (ici, les vitrines des instruments historiques).
Un autre exemple de « design management », mais pour la fonction numérique de l’entreprise avec un article sur Le Cercle Les Echos : « Gouverner la direction des systèmes d’information par le design management »
Bien cordialement
Tru Dô-Khac, 79
Président X Propriété Intellectuelle
Président X Open Innovation
Non mais c’est complètement ridicule
Si je résume, réveiller l’intérêt de pré-retraités pour la glorieuse carrière de contrôleurs de balances à fruits, ça « redonne du sens au travail » ?
Bon, qu’attendre d’autre d’un mini-cénacle d’énarques qui s’entre-congratulent (ah, appliquer la dernière mode du management à des missions désuètes… Les mots « emplâtre » et « jambe de bois » me viennent à l’esprit.)
Garantir l’équité des
Garantir l’équité des transactions commerciales, une mission désuète ? Vous êtes commerçant, non ?
Pour information les services de métrologie contrôlent 37 catégories d’instruments, dont les balances à fruit mais également les pompes à essences, les compteurs de gaz, d’électricité, les radars de la police nationale….