Réflexions sur les parcours des élèves : Former les jeunes pour les aider à s’orienter
L’orientation est perçue, depuis quelques années, comme un enjeu majeur. Le « grand débat sur l’école » voulu par Luc Ferry et animé par Claude Thélot a constitué, de ce point de vue, un formidable révélateur. Aujourd’hui, pas un homme politique, pas un responsable, pas un acteur du système éducatif ne se risque à nier l’importance de la question de l’orientation. Et pas un parent non plus… Cependant, derrière ce terme se cachent des visions très différentes.
Adéquation simpliste entre la formation et l’emploi : « Pourquoi n’oriente-t-on pas les élèves dans les formations débouchant sur des secteurs porteurs d’emploi ? » Cette vision est essentiellement portée par certains responsables du monde économique qui ont du mal à recruter, dans des secteurs dont l’image est assez fortement dégradée.
Vision utilitariste de l’orientation : « Ce qui est important c’est de gérer au mieux les capacités d’accueil offertes aux élèves. L’orientation c’est d’abord une bonne gestion des flux d’élèves… » Il s’agit de positions prises surtout par des responsables du système éducatif, tant au sein de l’Éducation nationale que dans les collectivités territoriales et notamment les régions.
D’autres interprétations existent, qui reflètent la vision que l’on peut avoir de cette question en fonction du point de vue duquel on la regarde. Il en est un cependant qui est encore trop rarement adopté : c’est le point de vue de l’élève lui-même.
La « vox populi », et particulièrement les élèves, ou leurs parents quand ils évoquent leur propre parcours, parle d’orientation de manière souvent négative « j’ai été mal orienté ».
Cela démontre à quel point cette dimension essentielle du parcours de formation est vécue comme étrangère à la décision individuelle, appartenant en quelque sorte au système plutôt qu’à l’individu.
La précédente loi d’orientation pour l’éducation (1989) a voulu placer l’élève au centre du système éducatif. Il s’agissait déjà d’une prise de conscience de cette nécessité de mieux « concerner » l’élève et de mieux l’aider à se prendre en charge. L’orientation a tardé à récolter les fruits de cette évolution. L’éducation à l’orientation apparaît officiellement en 1996 et encore, sous la forme d’une circulaire incitative, parlant « d’expérimentation » en collège. La mise en place de l’éducation à l’orientation se fait désormais de manière progressive dans les établissements, repose d’abord sur les bonnes volontés et suppose que le chef d’établissement y contribue activement, notamment dans le cadre de l’organisation des emplois du temps.
Car, jusqu’à l’année scolaire dernière, cette « grande cause nationale » que constitue l’orientation ne bénéficiait d’aucun temps scolaire pour sa mise en œuvre ! La mise en place, timide il est vrai, de la découverte professionnelle, sous la forme d’une option facultative de trois heures hebdomadaires proposée aux élèves de troisième est une véritable révolution : pour la première fois, l’emploi du temps des élèves comporte des séquences consacrées à la préparation de l’orientation !
Le véritable enjeu de l’orientation est bien là désormais. Il réside dans la capacité que nous aurons à aider chaque jeune à acquérir la formation nécessaire pour qu’il puisse lui-même tracer son chemin, plutôt qu’à vouloir lui indiquer un chemin tout tracé, cote mal taillée entre ses aspirations personnelles et les besoins collectifs.
Nous sommes donc bien au-delà de l’aide à s’orienter, de l’accompagnement. Il s’agit aujourd’hui d’acquérir des connaissances et une méthodologie sur lesquelles pourront s’appuyer les décisions d’orientation, tout au long de la vie. C’est en ce sens que l’on peut parler d’une formation à l’orientation. On pourrait la comparer à l’acquisition de la lecture ou du mécanisme des quatre opérations de base en calcul : il s’agit de fondamentaux, sans lesquels il devient très difficile d’acquérir l’autonomie. L’ambition est énorme : contribuer à la démocratisation de la formation (au-delà de sa massification) en permettant à chaque jeune de disposer des mêmes informations, des mêmes outils méthodologiques, outils et méthodes qui jusqu’à peu de temps étaient réservés à une élite sociale. L’inscription à l’emploi du temps de tous les élèves est donc à terme une évolution indispensable, faute de quoi nous n’aurons fait qu’une petite partie du chemin, au risque même de renforcer les inégalités.
Il n’est pas nécessaire d’entrer ici dans les contenus de cette formation. Elle pourrait se diviser en quatre grands domaines : l’environnement économique, son organisation et les activités professionnelles ; le système de formation, ses modalités d’organisation, ses finalités ; les composantes personnelles de chaque individu ; la méthodologie de prise de décision. Compte tenu de la diversité des thèmes abordés au cours de ces étapes de formation, sa mise en œuvre nécessite de faire appel à des intervenants d’origines diverses. La formation à l’orientation suppose donc, et c’est bien le moins qu’on puisse lui demander, une ouverture des établissements sur leur environnement. Elle suppose même la volonté des acteurs du système éducatif d’intégrer dans l’organisation des formations des intervenants « non enseignants ». Le chef d’établissement devient, plus que jamais, le moteur de cette formation à l’orientation, comme il l’est pour l’ensemble des formations dispensées dans son établissement. Dans ce domaine, il est aussi le garant de la qualité des intervenants et de la nature même de leurs interventions.
L’importance que l’on accorde aujourd’hui à la question de l’orientation nécessite donc, plus que jamais, que le concept soit explicité. La mise en place d’un temps spécifique pour l’orientation, notamment au collège, devient une nécessité. Il faudra que ce temps soit une partie intégrante de l’emploi du temps de tous les élèves et que les contenus de cette formation soient définis et fassent l’objet d’une progression tout au long de la scolarité. L’école doit ainsi constituer la première étape de la formation à l’orientation, formation qui se prolongera, selon l’appellation désormais consacrée, « tout au long de la vie ».
Il existe toutefois une question majeure que le système éducatif devra régler, si l’on veut que la formation à l’orientation ne constitue pas une formidable supercherie : améliorer l’affectation des élèves… Il s’agit bien sûr d’un autre débat, et Claude Thélot s’en est largement fait l’écho, mais il serait vain de prétendre « former à l’orientation » sans permettre aux jeunes concernés d’aller jusqu’au bout de la démarche dans le cadre d’une affectation.