Réformer l’État à marche forcée
Le travail accompli depuis près de deux ans est un formidable élan pour construire le service public de demain : plus efficace sur les vrais sujets qui relèvent de sa responsabilité, moins dépensier, mais aussi plus motivant pour les agents qui y oeuvrent au quotidien. Il ne faudrait pas couper l’effort sous prétexte que la conjoncture économique est sinistrée ou différer la mise en oeuvre des réformes : le temps est le pire ennemi de la réforme.
Le 10 juillet 2007, le Premier ministre lançait la Révision générale des politiques publiques. Cet exercice, considéré par certains comme le Graal de la réforme de l’État, allait mettre en émoi toute l’administration. S’appuyant sur les enseignements des travaux précédents, la RGPP voulait les surpasser en se rendant là où tous avaient échoué : » Anticiper les attentes des administrés, placer la simplicité au cœur de son fonctionnement, faire sauter les murs entre les administrations, innover dans tous les domaines, renforcer la compétitivité de la France aux yeux des investisseurs étrangers. » En somme, passer du constat et de la préconisation à l’action en transformant durablement les pratiques administratives.
Dynamiser la fonction publique
En filigrane des objectifs de décloisonnement des services et d’amélioration de la compétitivité et de la productivité de la Maison France figure le constat que le nombre de fonctionnaires a augmenté plus vite que la population française (le ratio progresse de 7,5 % en 1996 à 8,3 % en 2006), alors même que le déficit public continuait à se creuser. On ne parle plus, toutefois, de » dégraisser le mammouth » mais de » muscler la fonction publique « , la dynamiser, évaluer ses performances et moduler la rémunération de ses agents en fonction de leurs résultats.
Provoquer un déclic psychologique au sein des administrations
Vingt mois se sont écoulés au cours desquels la vie de l’administration centrale a été rythmée par les audits, décisions du conseil de modernisation et comités de suivi des réformes. Pas moins de 374 décisions ont été prises au plus haut sommet de l’État. Les ministères ont été chargés de leur mise en oeuvre sous l’oeil de la Direction générale de la modernisation de l’État qui s’assure que les promesses de gains affichées seront effectivement tenues.
De l’analyse à l’action
Adminext a eu l’occasion de croiser les points de vue sur la réforme : au sein de l’administration auscultée, car un certain nombre de ses consultants en sont issus ; au cœur du processus d’analyse car la société a été retenue parmi les cabinets de conseil de la réforme ; et enfin en aval du processus en accompagnant la mise en oeuvre d’un certain nombre de décisions prises.
Ces angles de vue restent marqués par deux constantes : le caractère explosif de l’exercice RGPP du fait d’une coopération difficile entre les parties, et dans le même temps la nécessité de maintenir une certaine unité de façade et d’afficher que la réforme avance.
Quel bilan tirer de la RGPP ? Il est évidemment encore trop tôt pour évaluer le succès de la réforme, la plupart des décisions étant en cours de mise en œuvre.
La méthode, tout d’abord, doit être saluée : en concentrant des moyens humains importants (publics et privés), en gérant la RGPP en mode projet selon un calendrier strict et des objectifs précis à atteindre en matière de gains budgétaires et d’ETP, en portant la réforme au plus haut niveau de l’État, le gouvernement a voulu provoquer le déclic psychologique au sein des administrations : » Cette fois-ci, c’est du sérieux ! »
Le principal adversaire de la RGPP était le temps : en déroulant l’exercice à marche forcée et en lui donnant une visibilité nationale, l’Élysée a évité l’enlisement et a amené les services administratifs à se mobiliser à haut niveau pour instruire les réformes et questionner les pratiques administratives empilées au fil des décennies.
De nombreuses décisions structurantes, porteuses de progrès, ont été prises dans le cadre de la RGPP et sont actuellement mises en œuvre – elles font l’objet de plusieurs articles de ce numéro spécial et continueront à faire l’objet de publications d’avancement de la Direction générale de la modernisation de l’État (DGME).
Quatre composantes paraissent toutefois perfectibles : la collégialité, l’innovation, le management opérationnel et la gestion de l’incitation.
Un exercice collégial sans collège
L’ambition de la RGPP s’est heurtée rapidement, dans un certain nombre de ministères, à une forte résistance. Là où certains y ont vu une opportunité de travailler plus efficacement, d’autres ont identifié une menace de déstabiliser les équilibres en place et de remettre en cause les pratiques managériales en vigueur.
Dans le même temps, l’emprise de Bercy sur l’exercice et le tropisme marqué sur les réductions d’effectifs et de dépenses ont alimenté les détracteurs qui ont brandi la menace du démantèlement du service public et de l’objectif inavoué de » faire pareil avec moins « .
D’un exercice qui se voulait initialement coopératif entre les ministères et les pilotes de la réforme pour progresser ensemble, les postures des uns et des autres ont parfois conduit à jouer le match avec un seul attaquant et neuf défenseurs. En pareille situation les occasions de but ne sont pas nombreuses.
Innover pour moderniser
L’un des grands absents de la première phase de la RGPP a été l’innovation
L’un des grands absents de la première phase de la RGPP a été l’innovation. Tombé aux oubliettes, le programme ADELE de développement de l’administration électronique comportait pourtant quelques pépites disposant d’un fort potentiel de gain de productivité mais aussi d’amélioration du service rendu aux citoyens et aux entreprises.
L’approche retenue a privilégié la réduction des coûts, la suppression des doublons et la réduction des tâches à faible valeur ajoutée (lean management). Il n’a été que marginalement question d’Internet, d’approche multicanal, de mutualisation de l’information, d’instruction des dossiers en réseau et plus généralement des opportunités du système d’information pour offrir un service à valeur ajoutée à moindre coût.
Le management opérationnel
Le » flop » du pécule
Le pécule devait permettre à un fonctionnaire, souhaitant quitter l’administration pour créer ou reprendre une entreprise, de bénéficier d’une indemnité de départ (décret n° 2008–368 du 17 avril 2008). Le décret explicitait la prime maximale dont l’agent pourrait bénéficier, mais ne disait rien sur le minimum. Quel employeur tenterait de vanter les mérites de son entreprise en promettant à des recrues potentielles que leur salaire ne saurait dépasser un certain plafond ?
La réforme réussit difficilement si elle n’est pas relayée activement par les manageurs de terrain, véritables courroies de transmission entre les stratèges de la réforme et les opérationnels.
Ce problème du middle management qui se rencontre fréquemment en matière de gestion du changement est exacerbé au sein du secteur public par l’absence de leviers dont disposent ces managers de proximité : chefs de section, chefs de bureau et même sous-directeurs.
En effet, il est rare que les organisations publiques donnent à ces cadres les clés nécessaires à la gestion opérationnelle de leurs équipes et la reconnaissance des mérites individuels. Lorsque c’est le cas, les quotas et plafonds en tous genres (promotion, primes), la paperasserie administrative interne (notation, sanction) ou la dilution des responsabilités en matière de changement de poste, par exemple, sont si pesants qu’il leur est difficile de piloter de manière efficace les équipes. Il faut alors bien souvent compter sur le sens du service public et la bonne volonté des uns et des autres pour que les dossiers avancent.
Pour avoir sous-estimé cette spécificité de l’administration, la RGPP n’a pas véritablement réussi, à notre sens, à faire adhérer l’encadrement intermédiaire et à démultiplier les forces mobilisées pour penser la réforme, l’expliquer aux agents et contribuer à sa mise en œuvre.
Inciter à changer
Dernier point qui mériterait d’être amélioré pour la poursuite de l’exercice RGPP : la gestion de l’incitation. Des exemples réussis peuvent être cités en matière d’incitation collective, à l’occasion des fusions de structures ou de fermeture d’implantations. Les primes de restructuration, l’alignement par le haut des salaires des équipes fusionnées, la quasi-garantie donnée aux agents de retrouver un emploi sur place en cas de fermeture d’implantation, le recours préférentiel au couper-coller d’organigrammes plutôt que la revisite d’emblée des structures sont autant de gestes d’apaisement ayant permis d’avancer dans la mise en œuvre des réformes.
Même s’il reste du chemin à parcourir pour réussir la réforme, le travail accompli depuis près de deux ans par les équipes des inspections en liaison avec les états-majors des administrations et avec l’appui de cabinets de conseil privés est un formidable élan pour construire le service public de demain : plus efficace sur les vrais sujets qui relèvent de sa responsabilité, moins dépensier, mais aussi plus motivant pour les agents qui y oeuvrent au quotidien. Mais parce que cet exercice relève davantage du marathon que du cent mètres, il ne faudrait surtout pas couper l’effort sous prétexte que la conjoncture économique est sinistrée ou différer la mise en œuvre des réformes dans les ministères : le temps est le pire ennemi de la réforme et ses détracteurs le savent bien.
Adminext
Adminext est une société de service spécialisée dans la » réingénierie » des processus publics et les systèmes d’information. Le cabinet rassemble des ingénieurs et des experts fonctionnels et techniques ayant occupé des fonctions de direction d’équipes ou de projets dans l’administration ou au sein des collectivités locales.