Réformer l’État à marche forcée

Dossier : Politiques publiques: la RGPPMagazine N°647 Septembre 2009
Par Nadi BOU HANNA (X91)

Le tra­vail accom­pli depuis près de deux ans est un for­mi­dable élan pour construire le ser­vice public de demain : plus effi­cace sur les vrais sujets qui relèvent de sa res­pon­sa­bi­li­té, moins dépen­sier, mais aus­si plus moti­vant pour les agents qui y oeuvrent au quo­ti­dien. Il ne fau­drait pas cou­per l’ef­fort sous pré­texte que la conjonc­ture éco­no­mique est sinis­trée ou dif­fé­rer la mise en oeuvre des réformes : le temps est le pire enne­mi de la réforme.

Le 10 juillet 2007, le Pre­mier ministre lan­çait la Révi­sion géné­rale des poli­tiques publiques. Cet exer­cice, consi­dé­ré par cer­tains comme le Graal de la réforme de l’É­tat, allait mettre en émoi toute l’ad­mi­nis­tra­tion. S’ap­puyant sur les ensei­gne­ments des tra­vaux pré­cé­dents, la RGPP vou­lait les sur­pas­ser en se ren­dant là où tous avaient échoué : » Anti­ci­per les attentes des admi­nis­trés, pla­cer la sim­pli­ci­té au cœur de son fonc­tion­ne­ment, faire sau­ter les murs entre les admi­nis­tra­tions, inno­ver dans tous les domaines, ren­for­cer la com­pé­ti­ti­vi­té de la France aux yeux des inves­tis­seurs étran­gers. » En somme, pas­ser du constat et de la pré­co­ni­sa­tion à l’ac­tion en trans­for­mant dura­ble­ment les pra­tiques administratives.

Dynamiser la fonction publique

En fili­grane des objec­tifs de décloi­son­ne­ment des ser­vices et d’a­mé­lio­ra­tion de la com­pé­ti­ti­vi­té et de la pro­duc­ti­vi­té de la Mai­son France figure le constat que le nombre de fonc­tion­naires a aug­men­té plus vite que la popu­la­tion fran­çaise (le ratio pro­gresse de 7,5 % en 1996 à 8,3 % en 2006), alors même que le défi­cit public conti­nuait à se creu­ser. On ne parle plus, tou­te­fois, de » dégrais­ser le mam­mouth » mais de » mus­cler la fonc­tion publique « , la dyna­mi­ser, éva­luer ses per­for­mances et modu­ler la rému­né­ra­tion de ses agents en fonc­tion de leurs résultats.

Pro­vo­quer un déclic psy­cho­lo­gique au sein des administrations

Vingt mois se sont écou­lés au cours des­quels la vie de l’ad­mi­nis­tra­tion cen­trale a été ryth­mée par les audits, déci­sions du conseil de moder­ni­sa­tion et comi­tés de sui­vi des réformes. Pas moins de 374 déci­sions ont été prises au plus haut som­met de l’É­tat. Les minis­tères ont été char­gés de leur mise en oeuvre sous l’oeil de la Direc­tion géné­rale de la moder­ni­sa­tion de l’É­tat qui s’as­sure que les pro­messes de gains affi­chées seront effec­ti­ve­ment tenues.

De l’analyse à l’action

Admi­next a eu l’oc­ca­sion de croi­ser les points de vue sur la réforme : au sein de l’ad­mi­nis­tra­tion aus­cul­tée, car un cer­tain nombre de ses consul­tants en sont issus ; au cœur du pro­ces­sus d’a­na­lyse car la socié­té a été rete­nue par­mi les cabi­nets de conseil de la réforme ; et enfin en aval du pro­ces­sus en accom­pa­gnant la mise en oeuvre d’un cer­tain nombre de déci­sions prises.

Ces angles de vue res­tent mar­qués par deux constantes : le carac­tère explo­sif de l’exer­cice RGPP du fait d’une coopé­ra­tion dif­fi­cile entre les par­ties, et dans le même temps la néces­si­té de main­te­nir une cer­taine uni­té de façade et d’af­fi­cher que la réforme avance.

Quel bilan tirer de la RGPP ? Il est évi­dem­ment encore trop tôt pour éva­luer le suc­cès de la réforme, la plu­part des déci­sions étant en cours de mise en œuvre.

La méthode, tout d’a­bord, doit être saluée : en concen­trant des moyens humains impor­tants (publics et pri­vés), en gérant la RGPP en mode pro­jet selon un calen­drier strict et des objec­tifs pré­cis à atteindre en matière de gains bud­gé­taires et d’ETP, en por­tant la réforme au plus haut niveau de l’É­tat, le gou­ver­ne­ment a vou­lu pro­vo­quer le déclic psy­cho­lo­gique au sein des admi­nis­tra­tions : » Cette fois-ci, c’est du sérieux ! »

Le prin­ci­pal adver­saire de la RGPP était le temps : en dérou­lant l’exer­cice à marche for­cée et en lui don­nant une visi­bi­li­té natio­nale, l’É­ly­sée a évi­té l’en­li­se­ment et a ame­né les ser­vices admi­nis­tra­tifs à se mobi­li­ser à haut niveau pour ins­truire les réformes et ques­tion­ner les pra­tiques admi­nis­tra­tives empi­lées au fil des décennies.

De nom­breuses déci­sions struc­tu­rantes, por­teuses de pro­grès, ont été prises dans le cadre de la RGPP et sont actuel­le­ment mises en œuvre – elles font l’ob­jet de plu­sieurs articles de ce numé­ro spé­cial et conti­nue­ront à faire l’ob­jet de publi­ca­tions d’a­van­ce­ment de la Direc­tion géné­rale de la moder­ni­sa­tion de l’É­tat (DGME).

Quatre com­po­santes paraissent tou­te­fois per­fec­tibles : la col­lé­gia­li­té, l’in­no­va­tion, le mana­ge­ment opé­ra­tion­nel et la ges­tion de l’incitation.

Un exercice collégial sans collège

L’am­bi­tion de la RGPP s’est heur­tée rapi­de­ment, dans un cer­tain nombre de minis­tères, à une forte résis­tance. Là où cer­tains y ont vu une oppor­tu­ni­té de tra­vailler plus effi­ca­ce­ment, d’autres ont iden­ti­fié une menace de désta­bi­li­ser les équi­libres en place et de remettre en cause les pra­tiques mana­gé­riales en vigueur.

Dans le même temps, l’emprise de Ber­cy sur l’exer­cice et le tro­pisme mar­qué sur les réduc­tions d’ef­fec­tifs et de dépenses ont ali­men­té les détrac­teurs qui ont bran­di la menace du déman­tè­le­ment du ser­vice public et de l’ob­jec­tif inavoué de » faire pareil avec moins « .

D’un exer­cice qui se vou­lait ini­tia­le­ment coopé­ra­tif entre les minis­tères et les pilotes de la réforme pour pro­gres­ser ensemble, les pos­tures des uns et des autres ont par­fois conduit à jouer le match avec un seul atta­quant et neuf défen­seurs. En pareille situa­tion les occa­sions de but ne sont pas nombreuses.

Innover pour moderniser

L’un des grands absents de la pre­mière phase de la RGPP a été l’innovation

L’un des grands absents de la pre­mière phase de la RGPP a été l’in­no­va­tion. Tom­bé aux oubliettes, le pro­gramme ADELE de déve­lop­pe­ment de l’ad­mi­nis­tra­tion élec­tro­nique com­por­tait pour­tant quelques pépites dis­po­sant d’un fort poten­tiel de gain de pro­duc­ti­vi­té mais aus­si d’a­mé­lio­ra­tion du ser­vice ren­du aux citoyens et aux entreprises.

L’ap­proche rete­nue a pri­vi­lé­gié la réduc­tion des coûts, la sup­pres­sion des dou­blons et la réduc­tion des tâches à faible valeur ajou­tée (lean mana­ge­ment). Il n’a été que mar­gi­na­le­ment ques­tion d’In­ter­net, d’ap­proche mul­ti­ca­nal, de mutua­li­sa­tion de l’in­for­ma­tion, d’ins­truc­tion des dos­siers en réseau et plus géné­ra­le­ment des oppor­tu­ni­tés du sys­tème d’in­for­ma­tion pour offrir un ser­vice à valeur ajou­tée à moindre coût.

Le management opérationnel

Le » flop » du pécule
Le pécule devait per­mettre à un fonc­tion­naire, sou­hai­tant quit­ter l’ad­mi­nis­tra­tion pour créer ou reprendre une entre­prise, de béné­fi­cier d’une indem­ni­té de départ (décret n° 2008–368 du 17 avril 2008). Le décret expli­ci­tait la prime maxi­male dont l’agent pour­rait béné­fi­cier, mais ne disait rien sur le mini­mum. Quel employeur ten­te­rait de van­ter les mérites de son entre­prise en pro­met­tant à des recrues poten­tielles que leur salaire ne sau­rait dépas­ser un cer­tain plafond ?

La réforme réus­sit dif­fi­ci­le­ment si elle n’est pas relayée acti­ve­ment par les mana­geurs de ter­rain, véri­tables cour­roies de trans­mis­sion entre les stra­tèges de la réforme et les opérationnels.

Ce pro­blème du middle mana­ge­ment qui se ren­contre fré­quem­ment en matière de ges­tion du chan­ge­ment est exa­cer­bé au sein du sec­teur public par l’ab­sence de leviers dont dis­posent ces mana­gers de proxi­mi­té : chefs de sec­tion, chefs de bureau et même sous-directeurs.

En effet, il est rare que les orga­ni­sa­tions publiques donnent à ces cadres les clés néces­saires à la ges­tion opé­ra­tion­nelle de leurs équipes et la recon­nais­sance des mérites indi­vi­duels. Lorsque c’est le cas, les quo­tas et pla­fonds en tous genres (pro­mo­tion, primes), la pape­ras­se­rie admi­nis­tra­tive interne (nota­tion, sanc­tion) ou la dilu­tion des res­pon­sa­bi­li­tés en matière de chan­ge­ment de poste, par exemple, sont si pesants qu’il leur est dif­fi­cile de pilo­ter de manière effi­cace les équipes. Il faut alors bien sou­vent comp­ter sur le sens du ser­vice public et la bonne volon­té des uns et des autres pour que les dos­siers avancent.

Pour avoir sous-esti­mé cette spé­ci­fi­ci­té de l’ad­mi­nis­tra­tion, la RGPP n’a pas véri­ta­ble­ment réus­si, à notre sens, à faire adhé­rer l’en­ca­dre­ment inter­mé­diaire et à démul­ti­plier les forces mobi­li­sées pour pen­ser la réforme, l’ex­pli­quer aux agents et contri­buer à sa mise en œuvre.

Inciter à changer

Der­nier point qui méri­te­rait d’être amé­lio­ré pour la pour­suite de l’exer­cice RGPP : la ges­tion de l’in­ci­ta­tion. Des exemples réus­sis peuvent être cités en matière d’in­ci­ta­tion col­lec­tive, à l’oc­ca­sion des fusions de struc­tures ou de fer­me­ture d’im­plan­ta­tions. Les primes de restruc­tu­ra­tion, l’a­li­gne­ment par le haut des salaires des équipes fusion­nées, la qua­si-garan­tie don­née aux agents de retrou­ver un emploi sur place en cas de fer­me­ture d’im­plan­ta­tion, le recours pré­fé­ren­tiel au cou­per-col­ler d’or­ga­ni­grammes plu­tôt que la revi­site d’emblée des struc­tures sont autant de gestes d’a­pai­se­ment ayant per­mis d’a­van­cer dans la mise en œuvre des réformes.

Même s’il reste du che­min à par­cou­rir pour réus­sir la réforme, le tra­vail accom­pli depuis près de deux ans par les équipes des ins­pec­tions en liai­son avec les états-majors des admi­nis­tra­tions et avec l’ap­pui de cabi­nets de conseil pri­vés est un for­mi­dable élan pour construire le ser­vice public de demain : plus effi­cace sur les vrais sujets qui relèvent de sa res­pon­sa­bi­li­té, moins dépen­sier, mais aus­si plus moti­vant pour les agents qui y oeuvrent au quo­ti­dien. Mais parce que cet exer­cice relève davan­tage du mara­thon que du cent mètres, il ne fau­drait sur­tout pas cou­per l’ef­fort sous pré­texte que la conjonc­ture éco­no­mique est sinis­trée ou dif­fé­rer la mise en œuvre des réformes dans les minis­tères : le temps est le pire enne­mi de la réforme et ses détrac­teurs le savent bien.

Admi­next
Admi­next est une socié­té de ser­vice spé­cia­li­sée dans la » réin­gé­nie­rie » des pro­ces­sus publics et les sys­tèmes d’in­for­ma­tion. Le cabi­net ras­semble des ingé­nieurs et des experts fonc­tion­nels et tech­niques ayant occu­pé des fonc­tions de direc­tion d’é­quipes ou de pro­jets dans l’ad­mi­nis­tra­tion ou au sein des col­lec­ti­vi­tés locales.

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