Regard sur trois ans à l’X avec le colonel Bernard TOURNEUR
Mon colonel, vous quittez l’École après trois années à la tête de la direction de la formation humaine et militaire. Que retenez-vous de ces trois années ?
D’abord, d’avoir participé à un grand chantier de transformation. Je suis arrivé à l’École au lendemain de la sortie du rapport Attali. Le directeur général Yves Demay m’a tout de suite désigné pour un des groupes de travail qui se mettaient en place pour préparer les évolutions consécutives à ce rapport. Je me suis ainsi retrouvé dans un groupe chargé de réfléchir à la relation de l’École avec l’État. Autant dire que, arrivant de mon temps de commandement aux Pompiers de Paris, je n’avais pas spécialement travaillé le sujet… Mais je me suis tout de suite rendu compte qu’il allait se passer des choses importantes, notamment du côté de la création des nouveaux cursus. Je me suis donc demandé ce que je pouvais faire, moi, à la tête de la DFHM, dans ce mouvement de transformation. Et j’ai choisi de me concentrer sur la préparation du nouveau programme des bachelors. C’était un enjeu très fort pour l’École : on ne pouvait absolument pas rater leur arrivée prévue en 2017 !
J’ai donc mis en place une petite équipe de 4 cadres volontaires, avec à leur tête un « commandant de promo », qui était d’ailleurs une X. Ces bachelors étaient vraiment une population toute nouvelle pour l’École, une population qui n’entrait pas dans les modèles existants. Ils étaient très internationaux, pour certains venant de très loin, sans attaches ici. Beaucoup d’entre eux étaient mineurs, au moins la première année. En fait, ce sont pour la plupart de grands ados. Il fallait donc organiser pour eux un modèle de formation humaine adaptée avec un accueil et un accompagnement sur mesure, différent du programme bien éprouvé du cursus ingénieur mais reposant sur les mêmes fondamentaux si bien synthétisés dans la belle devise de l’X. Nous leur avons donc proposé bien sûr un encadrement, du sport, mais aussi des activités le week-end (sorties culturelles, visites de Paris, sorties en forêt…). Ils ont eu un moment d’intégration sur cinq jours en Normandie, et un passage au centre d’entraînement commando de Mont-Louis (en version adoucie !) pendant l’hiver. Ils ont pu crapahuter dans la neige : ils ont adoré !
Tout ceci n’a pas été sans mal : l’arrivée de ces grands ados bousculait beaucoup d’habitudes sur le Platâl, aussi bien au sein du personnel de la DFHM elle-même, davantage habituée à gérer le parcours spécifique des élèves ingénieurs polytechniciens, que parmi ces derniers, qui ont vu avec quelque inquiétude – au moins au départ – arriver ces nouveaux venus, avec qui ils devaient partager nos ressources (sports, salles, moniteurs…). Mais, bon, au bout de deux ou trois ans à l’École, ces bachelors auront certainement bien trouvé toute leur place.
Dans votre expérience de commandement, que représente ce passage à l’X ?
En fait, je n’étais jamais repassé par la case « école » depuis Saint-Cyr. Il a donc fallu que je me remette « dans la tête » d’un jeune de vingt ans pour essayer de comprendre ce qui se passait autour de moi. Il y a eu des moments difficiles. Début 2016, nous avons eu à faire face au moment dramatique du double suicide, qui a évidemment beaucoup marqué les élèves, tout comme la direction : ce moment a été très dur. S’en est suivi un épisode de tension marquée entre les élèves et la direction, qui leur a un peu servi d’exutoire, et c’était normal. Il nous a quand même fallu plusieurs mois pour rétablir la confiance avec les élèves.
Et il y a eu ensuite l’affaire du harcèlement sexuel qui a éclaté en 2017, reprise largement dans les médias, avec enquête de commandement, sanctions, etc. J’étais bien sûr concerné, aussi bien comme chef de corps que comme responsable de la formation humaine. C’est un problème qui a beaucoup de composantes, l’emprise des réseaux sociaux n’étant pas la moindre. Je me suis gardé de m’aventurer sur le terrain du sexisme, où on peut facilement dériver, pour me tenir fermement à la lutte contre le risque HDVS (harcèlement, discrimination, violences sexuelles), telle qu’elle est mise en œuvre au sein des armées. Là, on est sur un terrain mieux balisé et plus solide : on lutte contre ce qui relève du délit ou du crime.
Et je n’oublie pas mes démêlés personnels avec la Khômiss, même si je garde globalement un excellent souvenir de mes relations avec les Géné K successifs !
Le colonel Tourneur et le directeur général lors de la cérémonie d’adieu à l’X.
S’il fallait résumer votre sentiment en trois points ?
D’abord, je suis frappé par ce modèle éducatif de liberté absolue proposé aux X (très loin de celui que j’ai connu pour la formation des officiers à Saint-Cyr…) : c’est vraiment un modèle à la carte taillé sur mesure, pour ceux qui ont la capacité de l’absorber. Mais autant ceux qui ont la maturité psychologique et humaine suffisante en profitent à plein et y fleurissent, autant ceux qui sont moins mûrs peuvent facilement y perdre pied et se perdre. Ceux-là, le système a du mal à les repérer et à les « accompagner ».
Ensuite, je reste fasciné par la capacité et la rapidité d’apprentissage des X : c’est vraiment fabuleux !
Enfin, et là encore cela tranche avec ce que j’ai moi-même connu dans mon parcours, quelle diversité de profils et d’aptitude ! Je suis toujours épaté de voir à quel point ces jeunes sont différents les uns des autres et partent en flèche vers des trajectoires aussi étonnantes et variées.
Commentaire
Ajouter un commentaire
colonel Bernard Tourneur
Bravo pour ce beau parcours.