Réguler la concurrence pour protéger l’innovation
L’économie numérique, qui représente en France 5,2 % du PIB et environ un tiers des investissements privés en recherche et développement, a profondément bouleversé le fonctionnement des marchés issus pour la plupart de la révolution industrielle, tout en offrant des opportunités inédites de croissance, d’innovation et de consommation.
Ce qu’on nomme également « révolution numérique » a créé une rupture entre une chaîne de valeurs traditionnelle et de nouveaux modes de création de valeur qui sont autant de défis que doivent relever les entreprises. Cette révolution est également un défi pour les autorités de régulation de la concurrence, qui doivent pleinement intégrer les enjeux liés à l’innovation dans leurs objectifs et leurs analyses. C’est, en effet, à l’aune de l’innovation que les positions se perdent et se gagnent.
REPÈRES
L’Autorité de la concurrence est une autorité administrative indépendante française chargée de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles et d’étudier le fonctionnement des marchés. Elle a pour but d’assurer le respect de l’ordre public économique.
Bien qu’elle ne soit pas considérée comme une juridiction, elle prononce des injonctions, prend des décisions et, le cas échéant, inflige des sanctions, susceptibles de recours devant la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation. L’Autorité peut également négocier des engagements avec les entreprises et les rendre obligatoires pour mettre fin aux préoccupations de concurrence. Elle conduit enfin des enquêtes sectorielles et rend des avis.
Faire face à l’hégémonie
Dans le domaine numérique, on assiste souvent à un phénomène dit « le gagnant rafle toute la mise » (winner-take-all), dans lequel un acteur innovant construit rapidement une position hégémonique sur le marché.
Le droit de la concurrence peut contribuer efficacement à équilibrer innovation et domination
Dans ce contexte, il faut laisser les innovations apparaître, en permettant aux acteurs d’investir, sans pour autant que leurs positions restent immuables ou soient mises à profit pour bloquer les innovateurs de demain. Le droit de la concurrence peut contribuer efficacement à cet équilibre. Ses outils méthodologiques et ses procédures lui permettent de s’adapter aux évolutions du marché et d’agir dans la phase de construction de celui-ci.
L’Autorité de la concurrence en a fait l’expérience à plusieurs reprises.
Publicité en ligne
Dans son enquête sectorielle sur le fonctionnement concurrentiel de la publicité en ligne – une première dans le monde –, elle a mis en évidence la position dominante de Google, à travers son service AdWords, sur le marché de la publicité liée aux moteurs de recherche, qui constitue un marché spécifique et non substituable à d’autres formes de communication.
Responsabilité particulière
La détention d’une position dominante n’est pas interdite en tant que telle, d’autant qu’elle résulte pour Google d’un formidable progrès technologique. Mais celui qui la détient ne doit pas en abuser, ce qui lui confère une responsabilité particulière.
Un marché à deux faces
Google bénéficie notamment du caractère biface du marché des moteurs de recherche. Sa popularité sur cette activité de recherche le rend attractif auprès des annonceurs pour y commercialiser des liens commerciaux, ce qui lui permet de financer l’amélioration de son algorithme de recherche, et ainsi de suite.
Afin que le jeu concurrentiel puisse s’exercer pleinement, les acteurs qui occupent une position dominante doivent d’abord s’abstenir de mettre en œuvre de possibles abus dits « d’éviction », destinés à décourager, retarder ou éliminer les concurrents par des procédés ne relevant pas d’une concurrence par les mérites (élévation artificielle de barrières à l’entrée, clauses d’exclusivité excessives par leur champ, leur durée ou leur portée, obstacles techniques, etc.).
Mais la responsabilité particulière qui incombe aux acteurs dominants concerne aussi leurs relations avec leurs clients, leurs fournisseurs ou leurs partenaires.
Sont ainsi visés les possibles abus dits « d’exploitation » : conditions exorbitantes imposées à des partenaires ou à des clients, discrimination, refus de garantir un minimum de transparence dans les relations contractuelles.
Plus de transparence
Par exemple, à l’occasion d’une affaire au contentieux, l’Autorité a obtenu de Google qu’il rétablisse le compte d’une PME française qui avait été abusivement fermé et a rendu obligatoire l’engagement pris par Google de rendre ses procédures plus transparentes et prévisibles pour ses clients annonceurs. Google a précisé que les modifications de ses contrats seraient apportées au niveau mondial et pour l’ensemble des secteurs annonceurs.
Effets de club
Les effets de club peuvent modifier la perception que les clients ont de la concurrence
On appelle effet de réseau ou effet de club le phénomène par lequel une offre devient plus attractive parce qu’un grand nombre de personnes y ont déjà souscrit. Par exemple, le réseau social Facebook est d’autant plus attractif que l’on a plus de chances d’y retrouver ses proches.
Externalité positive
Les effets de réseau contribuent à créer une « externalité positive » dans le sens où la décision de souscription de chacun profite à la collectivité. Mais ils peuvent aussi conduire au renforcement de positions dominantes, notamment dans le secteur des télécommunications, au travers de pratiques de différenciation tarifaire. Ces pratiques consistent à appliquer un tarif préférentiel aux appels dits on net, à destination des abonnés du même opérateur, par rapport aux appels dits off net terminés sur un réseau concurrent.
L’Autorité de la concurrence a mis fin à l’exclusivité de commercialisation de l’iPhone en France. Exclusivité et rigidité |
Éviter les cercles vicieux
Toute différenciation tarifaire n’est pas anticoncurrentielle. Mais, mis en œuvre par un opérateur en position dominante, des tarifs on net peu élevés peuvent attirer artificiellement les consommateurs, qui sont incités à rejoindre un réseau sur lequel un nombre croissant d’utilisateurs deviennent clients, et ainsi de suite. Un cercle vicieux s’instaure, qui peut conduire à éliminer les concurrents.
L’Autorité de la concurrence a appliqué ce raisonnement à la société Orange Caraïbe, considérant que cette dernière avait abusé entre 2003 et 2004 de sa position dominante sur le marché de la téléphonie mobile dans les Antilles et en Guyane en ayant pratiqué ce type de différenciation tarifaire.
Croiser les bases Le croisement de bases de clientèle consiste, pour une entreprise, à utiliser des informations relatives à ses propres clients recueillies sur un marché donné, pour commercialiser auprès de ces mêmes clients un autre produit sur un marché distinct. Si cette pratique n’est pas en soi anticoncurrentielle, l’utilisation croisée des bases de clientèle par une entreprise en position dominante sur l’un des marchés, aux fins de pénétrer un marché connexe, est susceptible d’être condamnable. En effet, cette pratique peut étendre la position dominante d’une entreprise en l’absence de concurrence par les mérites, sans que ses concurrents puissent reproduire ces informations privilégiées ou y avoir accès. L’Autorité de la concurrence a rappelé cette analyse, en particulier lorsqu’il s’agit d’opérateurs dits « historiques » qui exploitent des données détenues du fait de leur ancien monopole légal. |
Plusieurs enquêtes européennes L’Autorité de la concurrence mène actuellement une enquête sectorielle sur le secteur du commerce en ligne afin d’en analyser le fonctionnement concurrentiel, de la même manière qu’elle l’avait fait en matière de publicité en ligne. La Commission européenne a également lancé plusieurs enquêtes visant des pratiques d’opérateurs de l’économie numérique. Elle prépare, en collaboration avec les autorités nationales de concurrence, dans le cadre du réseau européen de la concurrence, la révision du règlement concernant les accords de transfert de technologie qui sont notamment utilisés dans l’économie numérique. |
Écosystèmes fermés
L’attention des autorités de concurrence se porte également sur le phénomène des écosystèmes fermés qui se sont développés avec l’économie numérique, et dans lesquels le choix du consommateur est guidé ou restreint en fonction de la plate-forme qu’il a choisie pour accéder aux contenus en ligne.
On peut citer les magasins d’applications pour les smartphones, les supports de lecture du livre numérique et les plates-formes d’achat et de vente en ligne. Cette organisation du marché dite « en silo » peut contribuer au dynamisme de l’économie numérique, car les acteurs sont fortement incités à investir ou à innover. Mais elle peut aussi bloquer l’entrée de nouveaux acteurs sur les marchés et réduire la qualité des biens et des services offerts aux consommateurs.
Du point de vue du droit de la concurrence, de telles situations appellent un examen au cas par cas, à travers une mise en balance des effets pro et anticoncurrentiels.
L’enjeu des bases de données personnelles
Les bases de données peuvent renforcer un pouvoir de marché et limiter la concurrence
L’exploitation de bases de données personnelles est également susceptible d’être à l’origine de pratiques anticoncurrentielles, et nécessite une vigilance particulière tant de la part des entreprises concernées que de celle des autorités de régulation de la concurrence.
De nombreux marchés de l’économie numérique reposent en effet sur l’exploitation de bases de données, principalement liées aux comportements de consommation et aux transactions, qui permettent, par exemple, un meilleur ciblage pour les démarches commerciales ou l’amélioration des algorithmes d’un moteur de recherche.
Les bases de données peuvent néanmoins être exploitées de manière à renforcer un pouvoir de marché et à limiter la concurrence sur un marché.
2 Commentaires
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Non M Lasserre !
Je dois rester anonyme pour éviter de possibles représailles.
M Lasserre s’enorgueillit de ses succès anti-Google et anti-France Télécom. Très bien.
Il a réussi surtout à faire perdre de la valeur à tout le monde, contribuables compris, au profit des requins de la finance. Il a favorisé les délocalisations de centres d’appel.
France Télécom aurait mieux fait de garder M Lasserre en son sein, dans un placard, plutôt que de le virer.
M Lasserre a prouvé dans son poste à la « concurrence » que celui qui veut faire l’ange fait la bête.
Google, un instrument au service de la créativité littéraire ?
Acteur dominant, la politique de Google est controversé.
Créateur et éditeur de pratiques professionnelles en gestion informatique (numérique) d’entreprise, nous oserons la thèse que le droit d’auteur existe grâce à Google avec les deux mécanismes suivants :
– la valeur économique d’une propriété littéraire naît notamment de son usage à des fins commerciales. Cet usage passe une publication sur internet. Le moteur de recherche de Google met immédiatement et directement en relation l’exploitant de la propriété littéraire et ses ayant-droits.
– la version Panda de Google semble instaurer un rééquilibrage entre créativité/pertinence et popularité.
Une expérience directe, immédiate,libre et gracieuse sur ce dernier point ?
Je vous invite à rechercher avec tous les mots : modèles affaires numériques
puis de consulter le page rank (PR) des sites retournés en première page…
Eventuellement, vous pouvez faire les mêmes tests avec d’autres moteurs de recherche.